COP21 – Carlos Lopes : « L’Afrique doit faire changer la nature des débats »

Le Bissau-Guinéen analyse la position du continent sur l’échiquier environnemental mondial. Entre la nécessité de faire entendre sa voix et l’immensité du chantier à venir.

À Paris, le 18 novembre. © VINCENT FOURNIER/J.A.

À Paris, le 18 novembre. © VINCENT FOURNIER/J.A.

Julien_Clemencot

Publié le 1 décembre 2015 Lecture : 4 minutes.

Un fermier sud-africain sur ses terres desséchées, le 12 novembre 2015, à Groot Marico © Themba Hadebe/AP/SIPA
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COP21 : qu’attendons-nous pour agir contre le dérèglement climatique ?

Du 30 novembre au 11 décembre, les pays du monde entier se réunissent à Paris pour faire face au dérèglement climatique. Reste à savoir s’ils sauront dépasser le stade des bonnes intentions.

Sommaire

Secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique depuis 2012, Carlos Lopes sera présent à Paris à l’occasion de la COP21 pour apporter, avec les équipes du Fonds spécial de Clim-Dév, un soutien aux négociateurs africains. Quelques jours avant l’ouverture de l’événement, il nous a rendu visite au siège de Jeune Afrique.

Avec franchise, il a reconnu le manque d’engagement du continent dans la lutte contre le changement climatique et l’échec des mécanismes de financement. L’économiste reste néanmoins optimiste sur la capacité de l’Afrique à bâtir un modèle de développement durable. Morceaux choisis.

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Jeune Afrique : À l’occasion de la COP21, presque tous les pays africains ont fait des propositions pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Mais le continent n’en représente que 3 %, ces engagements sont-ils importants ?

Carlos Lopes : Ces déclarations volontaires n’ont pas la même portée que des engagements contraignants. Bien sûr, on doit féliciter les gouvernements d’avoir des ambitions dans la lutte contre le changement climatique, mais il n’y a ni mécanisme clair de suivi ni moyen pour obliger les pays à tenir leurs promesses. C’est très décevant. La plus importante préoccupation des Africains porte sur la justice climatique : ils souhaitent obtenir des compensations en vertu du fait que le continent n’émet pas grand-chose…

Fallait-il alors faire ces déclarations ?

C’est un ticket d’entrée pour le show. L’Afrique doit profiter de cette conférence pour changer la nature des débats. Jusqu’à présent, le continent a été traité comme quantité négligeable parce qu’il n’émet pas beaucoup de gaz à effet de serre et que son poids financier n’est pas très important. Ses États se contentaient de quelques aides financières et offres de coopération technique. C’est aussi le résultat de leur manque d’implication dans la recherche scientifique sur le sujet.

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Le continent est-il le grand oublié de la lutte contre le changement climatique ?

On a créé le Fonds pour l’environnement mondial [GEF], qui devait être quelque chose d’extraordinaire pour l’Afrique. Mais seulement 7 % des sommes ont été investies sur le continent, ce qui est inférieur à ce qu’a reçu la Chine.

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Pourquoi l’Afrique doit-elle faire davantage entendre sa voix ?

Notre continent a besoin de s’industrialiser, et c’est la seule région du monde à pouvoir le faire en tenant compte de la contrainte climatique.

Le passage d’une technologie à une autre n’induit pas de coût supplémentaire en Afrique, car tout est à faire.

En quoi l’industrialisation africaine pourra-telle être plus responsable ?

D’abord, aucune révolution industrielle n’avait pu disposer d’une énergie renouvelable au même coût que l’énergie fossile avant aujourd’hui. Ce en tenant compte de la baisse du cours du pétrole. Ensuite, le passage d’une technologie à une autre n’induit pas de coût supplémentaire en Afrique, car tout est à faire. Le continent peut choisir les solutions les plus propres.

Face au risque climatique, il y a deux axes de réponse : l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement, et l’adaptation au changement climatique et à ses conséquences. Le premier trouve plus d’écho auprès des bailleurs de fonds. Cela vous inquiète-t-il ?

Beaucoup d’Africains voient une dérive dans le fait de privilégier l’atténuation du réchauffement sur l’adaptation à ses effets. Personnellement, je trouve que c’est bien. Les investissements ne sont pas là pour régler les problèmes qui existent, mais pour résoudre ceux à venir.

Quels pays africains tiennent le plus compte de l’environnement dans leur développement ?

Le Rwanda, le Gabon, le Congo, l’Afrique du Sud font du respect de l’environnement des axes importants de leur développement. Mais l’Éthiopie a la matrice la plus sophistiquée, car elle intègre tous les piliers du processus : l’économie, le social et l’environnement.

Le Fonds vert pour le climat vient d’annoncer ses premiers engagements. Comment voyez-vous ses premiers pas ?

Son grand défi, c’est de recevoir des contributions à la hauteur des promesses. Sa crédibilité en dépend. Il faut aussi inventer des mécanismes de déboursement simples tout en donnant des assurances en matière de qualité. Mais j’ai bon espoir. La dirigeante du Fonds vient de la BAD, elle est donc très sensible au continent. Par ailleurs, le conseil d’administration comprend plusieurs Africains bons connaisseurs des questions environnementales. Tout cela doit permettre d’éviter les problèmes rencontrés avec le GEF.

Ce qui se passe avec la géothermie, en particulier au Kenya, est considérable

En général, dans le Green Business, la taille des projets reste souvent modeste…

Pas toujours, notamment dans l’énergie. Ce qui se passe avec la géothermie, en particulier au Kenya, est considérable. Le concept de développement durable n’est pas né dans les pays en développement, mais cela n’est pas nécessairement mauvais pour l’Afrique. Il faut créer une autre culture du développement et mobiliser davantage les acteurs privés.

Comment ?

Il faut plus de mécanismes financiers pour aider les projets portés par le privé. Il faut également faire évoluer les cadres réglementaires. Le secteur de l’énergie doit être libéralisé. Plus on le fera, plus on aura des gains comparables à ceux des télécoms, dont la valeur ajoutée a augmenté jusqu’à faire de ce secteur l’un des plus gros contributeurs du PIB de certains pays. On peut obtenir les mêmes résultats avec les énergies renouvelables.

Quels autres secteurs peuvent sérieusement contribuer à la transformation de l’économie africaine ?

La construction. Le processus d’urbanisation du continent est le plus rapide de l’histoire de l’humanité. Si les villes n’utilisent pas les ressources énergétiques de manière plus réfléchie, des problèmes gigantesques vont se poser. L’agriculture est également un domaine clé. Il faut mieux irriguer, utiliser des fertilisants compatibles avec l’environnement, privilégier les productions bio… Enfin, des gains très importants peuvent être réalisés en matière de transport au niveau régional.

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