Burkina : Kaboré président, retour sur un destin de Roch star

Sa victoire, obtenue dès le premier tour de la présidentielle, ne doit rien au hasard. Kaboré s’y est consacré avec méthode depuis ce jour de janvier 2014 où il a rompu avec Blaise Compaoré. Créant, avec deux alliés, un parti dont il a fait une machine à gagner.

Roch Kaboré, après l’annonce des premiers résultats, le 1er décembre 2015, à Ouagadougou © Theo Renaut/AP/SIPA

Roch Kaboré, après l’annonce des premiers résultats, le 1er décembre 2015, à Ouagadougou © Theo Renaut/AP/SIPA

BENJAMIN-ROGER-2024

Publié le 11 décembre 2015 Lecture : 6 minutes.

Norbert Zongo l’avait prédit il y a plus de quinze ans. Avant de mourir assassiné dans sa voiture, le 13 décembre 1998, pour s’être intéressé de trop près au côté obscur du régime de Blaise Compaoré, le journaliste burkinabè avait écrit que le changement viendrait de l’intérieur du pouvoir. Il avait vu juste. Un peu plus d’un an après l’insurrection populaire qui a fait tomber l’ancien maître de Ouagadougou, ses compatriotes ont choisi un pur produit du système, un homme longtemps perçu comme le dauphin de Compaoré mais qui avait fini par lui claquer la porte au nez.

Pour Roch Marc Christian Kaboré, 58 ans, le pari était risqué. Il l’a pourtant gagné, et avec la manière. Le 29 novembre, il a été plébiscité dès le premier tour de la présidentielle, recueillant 53,5 % des voix. Comme lui et ses proches l’assuraient depuis quelques semaines, son duel avec Zéphirin Diabré a viré au KO. Entre les deux adversaires, il n’y a pas eu match. Une victoire nette et incontestable, que le perdant a dignement reconnue en allant féliciter en personne le nouveau président avant même l’annonce des résultats officiels.

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La création du MPP

« Nous savions que nous allions gagner, mais nous ne nous attendions pas à une telle marge », confie un intime de Kaboré. Ce succès a été patiemment construit par le futur chef de l’État et ses proches. Fin 2013, cet éléphant du régime Compaoré – ancien Premier ministre, ancien président de l’Assemblée nationale, ancien patron du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, l’ex-parti au pouvoir)… – mis sur la touche par l’entourage présidentiel est convaincu que « Blaise » fonce dans le mur avec son projet de modification de la Constitution. « Chez les Mossis [ethnie majoritaire, dont sont issus Compaoré et Kaboré], le roi est une figure très respectée. Mais lorsqu’il n’est plus en phase avec son peuple, c’est le rôle du prince d’émerger et d’assumer ses responsabilités », souligne un chef coutumier qui connaît bien les deux hommes.

Ces trois ténors du CDP font le même constat : le président est sur une mauvaise pente et ils ont une belle carte à jouer s’ils mettent leurs forces en commun

Avec Simon Compaoré, son compagnon de lutte estudiantine, maire de Ouaga pendant dix-sept ans, Roch se rapproche de Salif Diallo, ancien très proche de Blaise Compaoré et longtemps homme des basses œuvres, mis au placard quelques années plus tôt car en conflit trop ouvert avec son frère, François. Ces trois ténors du CDP font le même constat : le président est sur une mauvaise pente et ils ont une belle carte à jouer s’ils mettent leurs forces en commun. Le 4 janvier 2014, ils démissionnent du parti majoritaire, entraînant dans leur sillage plus de soixante-dix de ses cadres, pour créer leur propre formation d’opposition, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). La prédiction de Zongo commence à prendre forme.

Dans le camp présidentiel, on minimise cette fissure. À tort : elle se transforme rapidement en brèche et menace tout l’édifice. Le MPP a fait basculer le rapport des forces entre le pouvoir et l’opposition, alors menée par Zéphirin Diabré, le leader de l’Union pour le progrès et le changement (UPC). Les manifestations contre le « tripatouillage » de la Constitution rassemblent désormais des centaines de milliers de personnes, puis débouchent sur une insurrection populaire. Le 31 octobre 2014, Blaise Compaoré est contraint de fuir le pays, sous la pression de la rue.

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La conquête des urnes

Le scénario imaginé par le trio dirigeant du MPP se réalise. Reste à enclencher la seconde étape de leur plan : la conquête des urnes. Un jeu d’enfant pour Roch, Salif et Simon, trois animaux politiques aux personnalités complémentaires. Le premier, expérimenté, pondéré et connu pour son sens du consensus, a un profil de candidat à la magistrature suprême. Le second, plus radical et tranchant, est un stratège – certains le qualifient de Machiavel -, qui a sillonné tous les villages du pays lorsqu’il était ministre de l’Agriculture et de l’Hydraulique. Le troisième, apprécié de tous, est un professionnel de la politique locale. En coulisses, un quatrième personnage, plus discret mais tout aussi influent, complète le dispositif : le Larlé Naba Tigré, chef traditionnel respecté et ministre du Mogho Naba, le roi des Mossis. Lui est chargé de convaincre les autorités coutumières, dont le poids reste important.

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Anciens militants communistes se revendiquant aujourd’hui sociaux-démocrates, les trois fondateurs du MPP sont des politiciens aguerris. Ce sont notamment eux qui ont façonné le rouleau-compresseur du CDP avant de quitter le navire. « La politique n’est pas une improvisation, confie Roch Kaboré. C’est un travail de longue haleine, que nous faisons depuis longtemps ». Ensemble, ils reprennent les recettes qui ont fait le succès de l’ancien parti au pouvoir : implantation sur le terrain et solide architecture interne. En moins de deux ans, ils structurent le MPP et montent des comités dans les villages, les départements et les provinces. Un millefeuille hiérarchisé et bien huilé, chapeauté par un bureau exécutif national de plus de soixante-dix membres, où toutes les décisions sont discutées avant d’être adoptées. Selon ses dirigeants, le MPP compterait des milliers de sympathisants sur l’ensemble du territoire. « Nous avons mis sur pied une « machine de guerre » partisane et réussi à créer une synergie collective en un temps record », se félicite Simon Compaoré.

Taux de participation aux scrutins présidentiels depuis 1991 © J.A.

Taux de participation aux scrutins présidentiels depuis 1991 © J.A.

Convaincus que les élections se gagneront hors des villes (la majorité de la population vit en milieu rural), Roch et ses collaborateurs multiplient les déplacements. Pendant les trois semaines de campagne électorale, le candidat à la présidence tient des meetings dans les treize provinces. D’importants moyens sont déployés. L’orange, la couleur du parti, colore chaque manifestation du MPP. Des affiches et des tracts à l’effigie de Kaboré sont imprimés en grande quantité. Son équipe affirme que le budget de campagne ne dépasse pas les 2 milliards de F CFA (3 millions d’euros), mais son montant exact demeure un mystère.

Quant aux soutiens extérieurs, nul doute qu’entre son réseau personnel, l’important carnet d’adresses de Salif Diallo et ses relations au sein de l’Internationale socialiste, Roch Kaboré a pu compter sur de solides appuis dans les capitales de la sous-région, comme à Niamey, Bamako ou Conakry.

Les adversaires de Roch Kaboré

Le succès de ce catholique pratiquant, marié et père de trois enfants, tient aussi à sa personnalité. Roch est un poids lourd de la politique bien connu de ses compatriotes qui, en dépit de sa longue proximité avec « Blaise », le perçoivent comme un homme sympathique. En l’absence d’un concurrent qui aurait pu porter les aspirations de la jeunesse révolutionnaire descendue dans les rues en octobre 2014, son adversaire principal était Zéphirin Diabré. L’ancien leader de l’opposition incarnait davantage l’alternance, mais il n’a jamais écarté l’idée d’une alliance avec le CDP et des partisans de Compaoré, lesquels ont toujours tenu Roch Kaboré et ses alliés pour premiers responsables de leur chute.

Cette haine des caciques de l’ancien régime contre ceux qu’ils considèrent comme des traîtres a pu leur attirer les faveurs d’une partie de l’électorat. Tout comme le putsch manqué de la mi-septembre ourdi par le général Gilbert Diendéré, fidèle bras droit de Compaoré, dont l’un des objectifs était probablement d’empêcher l’accession au pouvoir de Kaboré et du MPP. « J’étais clairement une des cibles des putschistes. S’ils m’avaient attrapé, je ne serais probablement plus là pour vous parler », affirme Salif Diallo, dont la maison a été attaquée et brûlée durant ces jours de tourmente à Ouagadougou.

Malgré cette tentative de coup d’État qui aurait pu tout faire dérailler, la stratégie de Roch et du MPP a fonctionné à merveille. Élu dans un fauteuil avec un taux de participation record, le futur président est désormais auréolé d’une légitimité à double tranchant : si elle lui confère une autorité certaine, elle le place aussi sous pression à l’aube d’un mandat périlleux, où les défis seront aussi nombreux que difficiles à relever. Parviendra-t-il à construire le Burkina « nouveau » qu’il appelle de ses vœux ? S’il avait annoncé une implosion du régime Compaoré, Zongo n’avait en revanche pas prédit ce qui attendrait son successeur…

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