Sénégal – Mamadou Diop Decroix : « Il est choquant de constater que l’opposition est inexistante à l’Assemblée »

Le député et secrétaire général d’AJ/PADS coordonne les deux principales plateformes antigouvernementales. Et tente de leur donner une meilleure visibilité.

Fin novembre, à Dakar. © GUILLAUME BASSINET POUR J.A.

Fin novembre, à Dakar. © GUILLAUME BASSINET POUR J.A.

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Publié le 18 décembre 2015 Lecture : 3 minutes.

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Sénégal : à contre-courant

Alors que nombre de chefs d’États s’escriment à se maintenir au pouvoir, son président propose d’écourter son mandat. Le Sénégal est décidément un pays à part. Plongée dans une nation ouest-africaine qui mise sur le dynamisme de sa démocratie pour construire l’avenir.

Sommaire

Secrétaire général d’And-Jëf/Parti africain pour la démocratie et le socialisme (AJ/PADS), parti issu de la gauche révolutionnaire des années 1970, Mamadou Diop Decroix est aujourd’hui le compagnon de route du groupe parlementaire Libéraux et Démocrates, emmené par le Parti démocratique sénégalais (PDS), d’Abdoulaye Wade. Coordinateur des deux principales plateformes de l’opposition, le Front patriotique pour la défense de la République (FPDR) et le Cadre de concertation des leaders de l’opposition (C2O), il revient sur la stratégie des siens en vue des prochaines échéances électorales.

Jeune Afrique : En cherchant à écarter le réformateur du PDS, Modou Diagne Fada, de la présidence du groupe Libéraux et Démocrates, l’opposition ne s’est-elle pas tiré une balle dans le pied ?

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Mamadou Diop Decroix : Ce groupe parlementaire a été créé par le PDS en 2012. La seule chose qui a changé, c’est qu’en octobre Modou Diagne Fada, qui le présidait depuis le début, a été remplacé par Aïda Mbodj. Mais l’aspect le plus important, c’est que les députés de l’opposition jusqu’alors non inscrits ont décidé de rejoindre le groupe. Ce qui a conduit le président de l’Assemblée nationale à commettre une véritable forfaiture en déclarant irrecevable la liste de ce groupe élargi. L’opposition entend se battre pour mettre un terme à cette situation, illégale au vu du règlement de l’Assemblée.

Pourquoi la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY), largement majoritaire, s’inquiéterait-elle de l’existence d’un tel groupe ?

Le pouvoir ne veut pas d’une opposition structurée au Parlement. Sans doute voit-il d’un mauvais œil le rassemblement, au sein d’un même groupe, des différentes franges de l’opposition. Il est profondément choquant de constater qu’en 2015 l’opposition sénégalaise est inexistante à l’Assemblée nationale, comme si on était revenus au temps du parti unique.

Dans l’hypothèse où la prochaine présidentielle se tiendrait en 2017 et non en 2019 – si le référendum prévu en mai 2016 entérine le passage au quinquennat -, l’opposition présentera-t-elle un candidat unique ?

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Notre objectif est d’obtenir d’abord la majorité au Parlement. Pour y parvenir, les principaux partis de l’opposition se sont mis d’accord pour constituer une liste unique pour les législatives de 2017. De sorte que si le mandat de Macky Sall devait se prolonger jusqu’en 2019, nous lui imposerions la cohabitation.

Concernant la présidentielle, en revanche, nous ne prévoyons pas de candidature unique mais plutôt une pluralité contrôlée. Si nos candidats remportent des bastions importants, comme la Casamance, l’axe Dakar-Touba – sur lequel se concentre environ 70 % de l’électorat – ou quelques grandes localités du Nord, comme Saint-Louis, l’élection peut basculer. Donc nous travaillons en ce sens. Par ailleurs, au deuxième tour, les leaders de l’opposition appelleront à soutenir leur candidat le mieux placé face à Macky Sall.

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Ce dernier a été élu à une large majorité en 2012. En quoi aurait-il démérité ?

Partout où vous allez, les Sénégalais expriment leurs critiques vis-à-vis du régime. Le pays s’est appauvri. Avant même les récents chiffres du FMI classant le Sénégal parmi les vingt-cinq pays les plus pauvres du monde, nos compatriotes avaient perçu cette réalité.

Mais le fond du problème, c’est la nécessité de réformer les mentalités

Contrairement aux principaux partenaires techniques et financiers du Sénégal, vous ne croyez donc pas aux promesses de développement du plan Sénégal émergent (PSE) ?

On ne peut pas aller vers le développement sans avoir préalablement réformé ce pays en profondeur. Le président Wade avait fait beaucoup d’efforts en matière d’infrastructures routières, autoroutières, éducatives, sanitaires… Mais le fond du problème, c’est la nécessité de réformer les mentalités. Au Sénégal une culture contre-productive s’est installée, qu’il faut élaguer. Quant au PSE, c’est un produit d’importation, sur le modèle des plans du même ordre qu’on a vus fleurir ailleurs en Afrique. On parle d’émergence, alors que notre énergie est la plus onéreuse du continent. On parle d’agriculture, alors qu’on ne maîtrise pas l’approvisionnement en eau, que la mécanisation fait défaut, qu’on manque d’infrastructures de stockage ou d’une industrie légère de transformation…

Après les indépendances, nous n’avons pas su réinventer notre économie, notre agriculture, notre système de santé. Forcément, on est à bout de souffle ; il nous manque une « vision ». C’est pourquoi nous travaillons à une nouvelle offre programmatique susceptible de réformer les mentalités et les institutions.

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