Sénégal – Génération Foot : une fabrique de pros
Les Sénégalais Papiss Cissé, Sadio Mané et Diafra Sakho, le Togolais Emmanuel Adebayor… En partenariat avec le club français FC Metz, l’académie créée par Mady Touré forme des champions.
Sénégal : à contre-courant
Alors que nombre de chefs d’États s’escriment à se maintenir au pouvoir, son président propose d’écourter son mandat. Le Sénégal est décidément un pays à part. Plongée dans une nation ouest-africaine qui mise sur le dynamisme de sa démocratie pour construire l’avenir.
La reconversion est une préoccupation majeure des sportifs de haut niveau. Surtout s’ils n’ont pas amassé assez d’argent durant leur carrière pour s’assurer une retraite tranquille. Mady Touré, qui a joué pour des clubs français avant de devoir mettre fin prématurément à son activité à cause d’une blessure, connaît bien le problème : « Je me suis retrouvé un peu face à une page blanche. J’ai travaillé avec Nancy pour observer et, éventuellement, proposer des joueurs africains que j’aurais repérés. Quand le club est descendu en Ligue 2, cette collaboration s’est arrêtée. Ce qui m’a poussé à créer Génération Foot, en 2000, c’est de voir des jeunes arriver en Europe et se retrouver délaissés ou en difficulté pour trouver un club. »
Sans véritables moyens pour faire vivre un projet auquel « pas grand monde ne croyait », avoue-t-il, Mady Touré trouve une oreille attentive auprès du club lorrain de Metz (est de la France), où il fait admettre Dino Djiba, un grand espoir du football sénégalais vite usé par les blessures, Babacar Gueye, aujourd’hui en Chine, et Emmanuel Adebayor, le fantasque attaquant togolais.
« Au départ, il n’y avait pas de partenariat entre Génération Foot et le FC Metz. Je galérais beaucoup pour faire vivre mon académie… Quand je venais en France, j’avais du mal à me payer une chambre d’hôtel », se souvient Mady Touré. Avec Gueye, Djiba et Adebayor en tête de gondole, il prouve aux dirigeants messins que son académie, malgré des moyens limités, obtient des résultats.
Et Carlo Molinari, le président historique du FC Metz, décide de donner un coup d’accélérateur aux relations entre son club et Génération Foot. « À l’époque, l’académie était loin d’être aussi structurée que maintenant. Elle était située dans le centre de Dakar, les joueurs vivaient encore chez leurs parents », raconte Bernard Serin, qui a succédé à Molinari en 2009.
L’industriel, PDG du groupe international Cockerill Maintenance & Ingénierie (CMI), rappelle aussi que ce partenariat a plusieurs fois failli s’arrêter. « La question s’est posée quand le FC Metz a été relégué en Ligue 2 ou en National, alors même que Mady Touré avait trouvé un terrain de 16 hectares près du lac Rose [à Deni Biram N’Dao, à 20 km à l’est de Dakar]. Des travaux de modernisation avaient été entrepris, mais ont dû être suspendus. En effet, nous allouons un budget annuel à Génération Foot, mais il est évident que nos ressources ne sont pas les mêmes selon la division dans laquelle nous évoluons. La question s’est encore posée quand la réglementation Fifa a changé – désormais, un club européen ne peut plus faire venir un joueur africain avant ses 18 ans [contre 15 ans auparavant] -, mais nous avons décidé de poursuivre le partenariat. Au départ, c’était un centre de préformation. Or, avec le changement de statuts, c’est devenu un centre de formation. »
Une structure rentable et structurée
Aujourd’hui, Génération Foot dispose de structures modernes et fonctionnelles, inaugurées fin 2013 à Deni Biram N’Dao (le centre Amara-Touré), où elle accueille ses 120 pensionnaires, âgés de 13 à 19 ans. « Il y a des terrains gazonnés et parfaitement entretenus, une salle de musculation, un service médical, des bâtiments pour héberger les jeunes et des salles de classe, car nous voulons qu’ils suivent une scolarité normale, tient à souligner Bernard Serin. Certains deviendront professionnels en Europe, d’autres resteront en Afrique et pourront éventuellement y jouer et gagner un peu d’argent. Mais il faut aussi penser à ceux qui ne seront pas pros : ils doivent apprendre un métier. L’académie dispose de locaux administratifs et d’une cafétéria où les jeunes peuvent avoir accès à une alimentation équilibrée. »
Mais si le FC Metz injecte tous les ans une somme que ni Bernard Serin ni Mady Touré n’ont souhaité dévoiler, c’est qu’il espère un retour sur investissement en misant sur les futurs transferts. « À Génération Foot, qu’Olivier Perrin dirige depuis plus de deux ans, les joueurs sont formés selon les mêmes principes que ceux dispensés dans notre centre de formation. Ainsi, en arrivant à Metz, ne sont-ils pas trop perturbés, ajoute Philippe Gaillot, le directeur général adjoint messin. Nous voulons faire venir un ou deux joueurs par an. On ne prend que les meilleurs. Ils intègrent Metz à 18 ans et poursuivent leur formation afin de se préparer à évoluer au niveau professionnel. L’objectif est de les transférer dans des clubs plus huppés. »
Génération Foot est aujourd’hui une affaire rentable, même si on ne peut pas se permettre de rester trop longtemps sans sortir de joueurs ayant un gros potentiel, confie Mady Touré
Ce modèle économique a déjà permis au club messin, et donc à Génération Foot, de récupérer des sommes importantes. Plusieurs joueurs sénégalais, aujourd’hui tous internationaux, ont ainsi transité par la Lorraine avant de s’exporter à l’étranger. Papiss Cissé, actuellement à Newcastle United (Royaume-Uni), a transité par le SC Fribourg (Allemagne), accompagné par Fallou Diagne (qui évolue à Rennes). Plus récemment, Sadio Mané a été acheté par les Autrichiens de Salzbourg avant d’être revendu aux Anglais du FC Southampton. Et Diafra Sakho a quitté Metz en août 2014 pour West Ham et la Premier League anglaise. Des transferts qui ont rapporté un peu plus de 18 millions d’euros au FC Metz.
« L’argent récolté est ventilé entre Génération Foot et le FC Metz. Cela nous permet d’amortir nos investissements au Sénégal », explique le président messin. Et quand Mané ou Cissé passent de l’Autriche et de l’Allemagne à l’Angleterre, le FC Metz touche un intéressement forcément bienvenu dans le contexte économique difficile que connaissent beaucoup de clubs français. « Génération Foot est aujourd’hui une affaire rentable, même si on ne peut pas se permettre de rester trop longtemps sans sortir de joueurs ayant un gros potentiel et que nous savons capables de faire carrière en Europe », confie Mady Touré, qui n’a désormais plus de difficultés pour se payer une chambre d’hôtel quand il vient en France.
Génération Foot s’intéresse à d’autres pays d’Afrique de l’Ouest
Son académie, qui a mis en place un maillage efficace sur le territoire sénégalais, ne s’interdit pas de regarder ce qui se passe au-delà des frontières du pays de la Teranga. Les réseaux dont disposent Mady Touré et Olivier Perrin leur permettent de savoir si, au Mali, en Guinée, au Burkina Faso ou en Côte d’Ivoire, des adolescents plus doués que la moyenne peuvent aspirer à intégrer Génération Foot.
L’institution, dont l’équipe première évolue désormais en deuxième division sénégalaise, a également frappé un grand coup en remportant la Coupe nationale, ce qui lui donnera l’occasion de disputer pour la première fois de sa jeune histoire une compétition continentale en 2016 : la Coupe de la confédération. « Cette qualification et notre récente accession à la Division 2 vont peut-être nous ouvrir des portes. En Afrique, le sponsoring reste quelque chose d’assez marginal, nous essayons donc de trouver des financements supplémentaires. La réussite de Génération Foot en matière de formation est là. Et si l’équipe professionnelle fait parler d’elle au Sénégal et en Afrique, cela peut attirer de nouveaux partenaires », espère Bernard Serin.
Le président reçoit également quelques appels venus de l’étranger, émanant de clubs alertés par la réussite de ce partenariat entre Metz et l’académie sénégalaise. « Cela donne des idées… Certains clubs, notamment portugais, s’intéressent à notre modèle économique et viennent prendre des renseignements. »
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