Ces avocats sont au cœur de l’affaire Tanoh-Ecobank

À Abidjan, Londres et Lomé, des dizaines de juristes travaillent depuis plus d’un an sur le conflit qui oppose le groupe bancaire panafricain Ecobank à son ancien directeur général.

Le réseau panafricain Ecobank (ici son siège, à Lomé) couvre 36 pays africains. © Michel Aveline/JA

Le réseau panafricain Ecobank (ici son siège, à Lomé) couvre 36 pays africains. © Michel Aveline/JA

Publié le 18 décembre 2015 Lecture : 5 minutes.

Costume de marque, lunettes d’intellectuel, Arsène Dablé a tout de l’avocat moderne : un expert juridique à la fois sérieux et bling-bling.

Mi-novembre, lorsqu’il a reçu Jeune Afrique dans les locaux du cabinet Dogue-Abbé Yao, dont il est l’un des associés depuis dix ans, Arsène Dablé était souriant et détendu. Son métier, pourtant, n’a rien de joyeux. Le quadra, membre du barreau d’Abidjan depuis 1998, est un spécialise reconnu du règlement des contentieux et des litiges. Depuis près d’un an et demi, l’avocat ivoirien est au cœur de l’un des dossiers les plus chauds et les plus médiatisés d’Afrique de l’Ouest : la bataille juridique entre le groupe bancaire panafricain Ecobank et son ex-directeur général, Thierry Tanoh, poussé au départ en mars 2014 après une crise de gouvernance de plus d’un an.

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Mobilisés

À l’instar d’Arsène Dablé, ce sont au total une trentaine d’avocats et juristes qui planchent sur ce contentieux rien que sur la place ivoirienne, où se traite le volet « diffamation ». À Lomé, au Togo, quelques cabinets travaillent en parallèle sur la procédure liée au droit du travail. À Londres, une troisième partie de l’affaire est gérée par Matthew Coleman, du cabinet Steptoe & Johnson, conseil d’Ecobank, et Wendy Miles, de Boies, Schiller & Flexner, pour Thierry Tanoh.

Depuis qu’il conseille le groupe bancaire pan-africain, Arsène Dablé et ses équipes ont consacré plus de 400 heures à ce dossier. « Cette affaire dévore beaucoup de temps. Il faut à chaque fois élaborer des procédures contradictoires », explique-t-il, avant d’indiquer que six avocats et juristes de Dogue-Abbé Yao & Associés sont mobilisés en permanence.

Ce n’est pas le dossier du siècle, tempère Luc Adjé

En face, Thierry Tanoh, désormais secrétaire général adjoint à la présidence de la République ivoirienne, a choisi les cabinets Adjé-Assi-Métan (AAM) et Lex Ways pour représenter ses intérêts. Au sein d’AAM, c’est Luc Adjé qui pilote le dossier, mais cinq avocats et trois juristes au total sont mobilisés sur l’affaire. « Ce n’est pas le dossier du siècle », tempère Luc Adjé, qui, en tant que conseil de plusieurs barons déchus mis en cause dans des affaires de détournement dans la filière café-cacao, en a vu d’autres. « Le montant en jeu dans le contentieux ou la qualité des parties ne lui confèrent pas un caractère spécial. C’est un dossier normal », assure-t-il, feignant d’ignorer que le conflit a atteint les sphères diplomatiques.

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Du côté de Lex Ways, on joue la discrétion, gardant la médiatisation en réserve pour les moments où elle sera vraiment utile. « Au sein du cabinet, nous avons décidé de ne plus nous exprimer publiquement, déclare à J.A. Soualiho Lassoman Diomandé, venu de l’université Félix-Houphouët-Boigny de Cocody, à Abidjan, qui tient Thierry Tanoh informé en permanence du déroulement de la procédure. Notre mandataire nous a recommandé d’éviter la presse. »

Ennemi juré

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Malgré les innombrables fronts juridiques qui s’ouvrent toujours, la période récente semble en effet plus propice à la conciliation que l’année 2014, où les tensions étaient très fortes. Une évolution sans doute due à l’arrivée d’un nouveau directeur général au sein du groupe bancaire panafricain, même si, sur ce sujet, le maître du jeu reste Samuel Kumi Ayim, secrétaire général d’Ecobank et ennemi juré de Thierry Tanoh.

« Dès la condamnation d’Ecobank à Abidjan, nous avons courtisé la partie adverse en cherchant à protéger sa filiale ivoirienne. Excepté ses parts dans celle-ci, le groupe n’a en effet pas d’autre patrimoine en Côte d’Ivoire », analyse Arsène Dablé, qui a commencé sa carrière en 2002 au sein du cabinet de deux dinosaures du barreau ivoirien, Roger Ouegnin et feu Lucien Mathieu N’Gouin-Claih. « Ce contentieux n’est pas facile à régler dans la mesure où la diffamation n’existe pas dans le code civil ivoirien. Le seul texte où l’on parle de diffamation et d’atteinte à l’honneur est la loi sur la presse de 2004 », rappelle l’avocat, dont le cabinet est l’un des poids lourds du paysage juridique ivoirien.

Dogue-Abbé Yao & Associés conseille également Société générale, BNP Paribas ou Bank of Africa (BOA)

Choisi par Ecobank en raison de son référencement par Lex Mundi – l’un des plus importants réseaux mondiaux d’indépendants -, Dogue-Abbé Yao & Associés conseille également Société générale, BNP Paribas ou Bank of Africa (BOA), et Abbé Yao, l’un des associés, est l’actuel bâtonnier du barreau ivoirien.

En face, AAM compte lui aussi parmi les acteurs de référence du droit dans le pays. Il est d’ailleurs un partenaire régulier de l’État dans le conseil et la structuration de projets de partenariats public-privé. Louis Metan, l’un des associés, a été membre du Conseil constitutionnel ivoirien au cours de la décennie 2000-2010, conseil au sein duquel figure actuellement Emmanuel Assi, tandis que Luc Adjé fait partie des fondateurs de la Cour d’arbitrage de Côte d’Ivoire.

Lourdes rancoeurs

Comme dans beaucoup de batailles juridiques, l’essentiel du travail s’accomplit en dehors des prétoires, et loin des projecteurs. « Il y a beaucoup de recherches à faire sur des questions de droit et de jurisprudence. Nous avons souvent recours à des confrères », remarque-t-on chez AAM. « Rien n’est laissé au hasard. La conception des dossiers pour la procédure, la présentation des arguments en défense ou en demande est rédigée en étroite collaboration avec Ecobank pour harmoniser les points de droit avant toute action », affirme Arsène Dablé.

Pour lui comme pour ses collègues, le dossier se poursuit. Avec ses confrères des cabinets français Jeantet et Chauveau, il vient de lancer pour le compte d’Ecobank et du sud-africain Public Investment Corporation (PIC), l’un des principaux actionnaires du groupe bancaire, une nouvelle procédure contre Thierry Tanoh en saisissant la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada). Ses clients misent sur cette juridiction supranationale pour casser les décisions du tribunal de commerce d’Abidjan et du tribunal du travail de Lomé. Une vingtaine de millions d’euros sont toujours en jeu. Dès 2014, le président du tribunal de commerce d’Abidjan, François Koumoin, avait pourtant tenté d’arriver à concilier les deux parties. Mais c’était compter sans les lourdes rancœurs qui animent Ecobank et son ancien directeur général.

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