Franc CFA : vous avez dit « Afrexit » ?

On connaissait le « Grexit », qui désigne une éventuelle sortie de l’euro de la Grèce. Mais le débat concerne aussi l’UEMOA et la Cemac, dont la monnaie est d’une certaine manière gérée… à Francfort.

Qu’est-ce qui influence la monnaie africaine ? La conjoncture européenne… © SEYLLOU DIALLO/AFP

Qu’est-ce qui influence la monnaie africaine ? La conjoncture européenne… © SEYLLOU DIALLO/AFP

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 24 février 2016 Lecture : 5 minutes.

Faut-il sortir du franc CFA ? Cette question lancinante sur la monnaie commune à quatorze pays francophones d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale a resurgi en juillet 2015, lorsque tout le monde parlait d’une éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro, le fameux « Grexit ». Elle s’est même posée avec beaucoup plus d’acuité quand, en août, Idriss Déby Itno a violemment attaqué le franc CFA, dont la parité fixe par rapport à l’euro et la convertibilité sont garanties par le Trésor français. « Il faut que cette monnaie devienne réellement la nôtre », a asséné le président tchadien, ajoutant que, dans l’accord de coopération monétaire qui lie les pays de la zone franc CFA à la France, « certaines clauses sont dépassées et tirent l’économie de l’Afrique vers le bas ».

Certes, il faut replacer les déclarations de Déby Itno dans un contexte économique difficile pour le Tchad, qui doit faire face à de graves problèmes budgétaires. Frappé de plein fouet par la chute du cours du pétrole, il doit dans le même temps trouver des ressources pour financer la guerre contre le terrorisme. Mais le débat que soulèvent aujourd’hui les propos du président tchadien est aussi et surtout d’ordre structurel. Il s’inscrit dans des réflexions plus larges sur le financement de l’émergence des économies des pays de la zone franc CFA.

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Un système qui pénaliserait l’émergence

Le débat sur le franc CFA a évolué. Bien sûr, il y a toujours l’éternelle confrontation entre les défenseurs de ce système, qui vantent la stabilité macroéconomique qu’il apporte, et ses pourfendeurs, qui dénoncent le fait qu’il dote des pays parmi les plus pauvres au monde d’une monnaie forte, l’euro, tout en les obligeant à déposer 50 % de leurs réserves de change auprès du Trésor français.

Mais aujourd’hui, la principale critique formulée par les détracteurs du franc CFA peut être résumée en une question : en place depuis plusieurs décennies, le système monétaire utilisé par les pays membres de l’UEMOA et de la Cemac est-il pertinent à l’heure où tous les États de la zone sont engagés dans des programmes d’émergence, avec des investissements publics massifs pour développer leurs infrastructures ? Pour des économistes comme le Togolais Kako Nubukpo, le Camerounais Martial Ze Belinga ou le Sénégalais Demba Moussa Dembélé, la réponse est non.

Cette obsession de vouloir discipliner les États devient contre-productive, affirme Kako Nubukpo

D’après eux, la politique menée par la BCEAO et la Beac, émanation des clauses de la coopération monétaire avec le Trésor français, est trop restrictive pour des pays en développement. « Ces banques centrales devraient participer au financement des infrastructures dont les États ont besoin, sachant que le retour sur ce type d’investissement ne se fait ressentir que sur le long terme, soutient Kako Nubukpo, chercheur à l’université d’Oxford. On ne devrait pas envoyer ces États emprunter sur les marchés à des taux nettement supérieurs à ceux pratiqués par leurs banques centrales. »

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Une analyse rejetée par les défenseurs du franc CFA. Parmi eux, un cadre de la BCEAO : « Sur les marchés financiers, les États peuvent mobiliser beaucoup plus de ressources que ce que peut leur apporter la banque centrale. Par ailleurs, cette démarche est plus vertueuse parce qu’elle oblige les États à donner des gages de bonne gouvernance aux investisseurs. » Certes, mais « cette obsession de vouloir discipliner les États devient contre-productive », réplique Kako Nubukpo.

Ce que proposent les économistes

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Les détracteurs du franc CFA ne demandent pas forcément la suppression pure et simple de cette monnaie et de sa parité fixe par rapport à l’euro. Du moins pas tout de suite. Ils proposent dans l’immédiat de revoir les objectifs des deux banques centrales en les autorisant à utiliser une partie des réserves de change (estimées à plus de 13 000 milliards de F CFA, soit environ 20 milliards d’euros) déposées auprès du Trésor français pour financer le développement des pays de la zone.

« Ce qu’on nous demande à travers une telle proposition, c’est de créer de la monnaie », explique notre cadre de la BCEAO, selon lequel ce « choix de facilité » pourrait être très onéreux s’il était mal géré, comme cela a été le cas dans l’ex-Zaïre et au Zimbabwe. Mais ici aussi, les anti-franc CFA ont une réponse : « Il est possible d’obtenir un supplément de croissance économique par le biais d’une politique monétaire expansionniste, avec un taux optimal d’inflation de 8 %, bien au-dessus de la cible actuelle de 2 % visée par exemple par la BCEAO », écrit Kako Nubukpo.

À plus long terme, nombreux sont les économistes qui proposent d’apporter plus de flexibilité au régime de change, avec par exemple un arrimage du franc CFA à un panier de devises. Leur argument : aujourd’hui, le franc CFA est beaucoup plus déterminé par les événements au sein de la zone euro que par la conjoncture au sein de la zone franc CFA. D’ailleurs, Serge Michailof, ex-directeur opérationnel de la Banque mondiale et ancien de l’Agence française de développement (AFD), disait récemment à Jeune Afrique : « Il serait nécessaire que le franc CFA ne soit plus géré à Francfort [siège de la Banque centrale européenne, en Allemagne]. Adossée à l’euro, cette monnaie affaiblit la compétitivité des produits africains. »

Des déclarations et puis plus rien …

En octobre 2015 s’est tenue à Paris la première réunion des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales de la zone franc depuis la sortie de Déby en août. L’opinion s’attendait à une annonce, il n’en a rien été. Étonnamment, le communiqué final était centré sur la préparation de la Conférence des Nations unies sur le climat (COP21, à Paris, du 30 novembre au 11 décembre), conformément au vœu de François Hollande.

La question de l’évolution de certaines clauses de la co-opération monétaire entre les pays de la zone et la France a-t-elle été abordée ? D’après nos informations, oui. Michel Sapin, le ministre français des Finances, et les représentants de la Cemac ont échangé sur le sujet lors de cette réunion. Qu’en est-il sorti ? C’est le black-out total.

« Il est possible que les dirigeants africains aient obtenu quelques avancées, comme à chaque fois qu’un chef d’État émet des critiques à l’encontre du franc CFA », affirme un économiste d’Afrique centrale, qui dit cependant ne pas s’attendre à une révolution : « Nos dirigeants font de grandes déclarations, mais quand il faut prendre des décisions pour faire véritablement bouger les lignes, on ne les entend plus. »

Dans une note publiée fin octobre, Standard Chartered estime qu’un changement monétaire est « peu probable ». D’après la banque britannique, au-delà de la conjoncture actuelle, qui ne le justifie pas (l’euro a baissé de 20 % par rapport au dollar depuis le début de l’année), la majorité des responsables politiques de la région est en faveur du système actuel : « La Côte d’Ivoire et le Cameroun, les deux poids lourds régionaux, sont de puissants soutiens du franc CFA », indique l’institution.

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