Changement climatique : au Sénégal, Saint-Louis prend l’eau

Dans le nord du pays, le changement climatique a des effets très concrets. Entre la hausse du niveau de la mer, l’érosion et les erreurs humaines, c’est toute une ville et sa région qui sont menacées.

Des enfants à bord de bateaux, à Saint-Louis © Jacques Du Sordet/J.A.

Des enfants à bord de bateaux, à Saint-Louis © Jacques Du Sordet/J.A.

BENJAMIN-ROGER-2024

Publié le 26 décembre 2015 Lecture : 5 minutes.

De vieilles bâtisses de style colonial dominent de justesse les flots sablonneux. En contrebas, à quelques centimètres seulement du haut de la petite digue, coule le puissant fleuve Sénégal, gonflé par une abondante saison des pluies. Sur la pointe nord de l’île de Saint-Louis, l’eau s’étend à perte de vue, prête à enjamber les rives. Ici, comme à son extrémité sud, de nombreuses maisons sont construites au niveau de la mer. Déjà inondées par de précédentes crues, elles pourraient disparaître dans les années à venir.

La ville historique de Saint-Louis, telle la Nouvelle-Orléans, de l’autre côté de l’Atlantique, ou Venise, sur les bords de l’Adriatique, est aujourd’hui directement menacée par la montée des eaux. Bâtie sur une île étroite (2 km de long pour 300 m de large), elle est cernée par le fleuve et timidement protégée de l’océan par sa barrière naturelle : la Langue de Barbarie, banc de sable longiligne d’une trentaine de kilomètres séparant la mer de l’embouchure.

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Cette élévation du niveau de la mer perturbe l’écoulement fluvial. Selon une étude de 2013 menée par différents experts à la demande du ministère sénégalais de l’Environnement, 80 % de l’île sera en « risque fort » d’inondation d’ici à 2080. Il en va de même pour les quartiers périphériques, dont Guet Ndar, sur la Langue de Barbarie, où vivent nombre de pêcheurs et qui fait office de poumon économique régional avec ses milliers de tonnes de poisson vendues chaque année. Au total, 150 000 habitants de Saint-Louis et de ses alentours vivent dans des zones inondables et pourraient être affectés.

Une brèche ... dans le porte-monnaie ! © J.A.

Une brèche ... dans le porte-monnaie ! © J.A.

Parmi eux, Jean-Jacques Bancal, hôtelier franco-sénégalais descendant d’une vieille famille saint-louisienne. Il fait partie de ceux qui se sont mobilisés pour sauver leur ville. « La montée des eaux est très inquiétante, explique-t-il. Nous ne pouvons pas lutter contre le phénomène, mais nous pouvons nous y adapter. Le rôle de l’État est de prévenir, pas de guérir. Il faut donc anticiper les changements climatiques à venir et se poser les bonnes questions. Que protège-t-on ? Que déplace-t-on ? Où reloge-t-on les gens ? »

C’est toute une partie de l’histoire du Sénégal qui pourrait être engloutie. Fondée dans la seconde moitié du XVIIe siècle par les colons français, la ville a longtemps été un carrefour stratégique du commerce colonial jusqu’à devenir, en 1895, la capitale de l’Afrique-Occidentale française (AOF). Son plan quadrillé, ses villas d’époque, ses monuments historiques… Tout, à Saint-Louis, est témoignage du passé – un héritage qui lui vaut d’être inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco.

Ancienne ville étape de l’Aéropostale de Jean Mermoz et d’Antoine de Saint-Exupéry, Saint-Louis vit en fait sous la triple menace de la hausse du niveau de la mer, de l’érosion (aggravée par le pillage du sable utilisé pour les constructions) et des conséquences de ce que les Saint-Louisiens appellent la « nouvelle brèche ».

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Une « solution » catastrophique pour Saint-Louis

En octobre 2003, l’île est inondée par une énième crue. Différentes études sont menées pour tenter de répondre à cette situation d’urgence. Décision est prise, à la hâte, de retenir le scénario d’un ingénieur marocain : percer une brèche artificielle de 4 m de large dans la Langue de Barbarie, à quelques kilomètres en aval de la ville, pour favoriser l’écoulement du fleuve vers l’océan. Le résultat est catastrophique.

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Trois jours plus tard, la brèche s’est transformée, sous la force des vagues, en un trou béant de 250 m. Aujourd’hui, elle mesure 6 km de large, tandis que l’estuaire naturel s’est bouché. Saint-Louis a été sauvée de la noyade, mais l’océan pénètre désormais dans l’embouchure du fleuve à travers la nouvelle brèche, favorisant le grignotage de la terre par les flots. À cela s’ajoute la salinisation de l’eau et des nappes phréatiques, qui a décimé les cultures maraîchères sur ses bords, où poussaient naguère oignons, tomates et choux.

Poissons et crevettes ont déserté l’embouchure, laissant la place aux huîtres et à différents coquillages

Quant à la Langue de Barbarie, elle s’est retrouvée amputée de plusieurs kilomètres, dévorés par l’Atlantique. Trois villages, dont celui de Doun Baba Dièye (800 habitants), ont été engloutis par la mer. Deux campements touristiques, dont l’un appartenait à Jean-Jacques Bancal, ont aussi été rayés de la carte. « Nous avons d’abord essayé de mettre en place une digue, avec des pneus, pour tenter de repousser les vagues, se souvient-il. Mais cela s’est vite avéré inefficace. Quand l’eau était bloquée à un endroit, elle s’infiltrait par un autre. »

L’écosystème local en a également pris un coup. Des milliers de filaos qui hérissaient le banc de sable ont disparu. Poissons et crevettes ont déserté l’embouchure, laissant la place aux huîtres et à différents coquillages – dont la culture en développement est un des seuls impacts positifs de la nouvelle brèche. Enfin, plusieurs espèces d’oiseaux rares et des tortues de mer sont menacées par ce chamboulement de leur environnement naturel.

Une situation ignorée par les autorités

Au pied du vieux phare noir et blanc de Gandiol, le village de Pilote Barre semble le prochain sur la liste. Ses habitants le savent et attendent, inquiets, le moment où il leur faudra quitter leurs maisons. Ils vivent face à la nouvelle brèche et observent quotidiennement ses remous agités, provoqués par la rencontre des courants, et qui ont déjà causé la mort de nombreux pêcheurs. Alors que les grandes marées font monter l’eau jusqu’au seuil des portes, certains commencent à acquérir des terrains à l’intérieur des terres.

Souleymane, piroguier de l’un des campements touristiques engloutis, n’en a pas les moyens. Il reste chez lui et n’en bougera que quand il n’aura plus d’autre choix. « En attendant, je dors toujours avec un gilet de sauvetage à côté de moi, sourit-il. On ne sait jamais ! » Selon les habitants du village, la mer a gagné une trentaine de mètres en dix ans. Au loin, deux bulldozers s’agitent pour construire une digue et tenter de contenir les assauts de l’océan.

Critiquées, les autorités sont accusées de ne pas prendre le problème à bras-le-corps. Après avoir commis l’erreur de percer la « nouvelle brèche », elles sont aujourd’hui accusées d’ignorer la gravité des menaces d’inondation. Le maire de Saint-Louis n’est autre que Mansour Faye, ministre de l’Hydraulique et frère de Marième Faye, l’épouse de Macky Sall. « Il a donc les moyens d’agir, mais il est trop occupé à Dakar et ne passe pas assez de temps dans sa ville », lâche un notable local, qui affirme que les constructions se poursuivent en zones inondables.

Des études sont en cours pour tenter de s’adapter à ces changements environnementaux. Une équipe d’experts néerlandais réfléchit ainsi aux possibilités de stabiliser l’embouchure artificielle. Plusieurs pistes visant à limiter les risques de submersion et d’érosion côtière ont aussi été proposées : déplacement des populations les plus menacées, création de digues disposées en épis devant Guet Ndar, rechargement de la plage sur la Langue de Barbarie… Autant de mesures nécessaires à la sauvegarde du patrimoine de Saint-Louis et de sa région.

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