Alexandre de Juniac, PDG d’Air France-KLM : « En Afrique, nous ne prévoyons pas de suppressions d’emplois »
Développement des hubs d’Abidjan et de Nairobi, renforcement des liaisons en Angola et au Sénégal… Alors qu’en Europe le groupe franco- néerlandais doit se serrer la ceinture, il cherche à consolider ses positions sur le continent.
Du mieux chez Air France-KLM. Après un premier semestre décevant, le groupe franco-néerlandais a annoncé un bénéfice net de 480 millions d’euros au troisième trimestre de 2015. Un résultat porté par le faible prix du pétrole et par la hausse de la demande en juin, juillet et août. Mais si la situation du groupe s’est améliorée, elle reste un peu délicate puisque sur les neuf premiers mois de cette année, il affiche une perte nette de 158 millions d’euros. Air France-KLM doit faire face à une concurrence de plus en plus forte des transporteurs du Golfe et d’Asie et est empêtré dans un conflit social qui dure.
Dans ce contexte, la compagnie met plus que jamais le cap sur l’Afrique. Elle annonce par exemple le renforcement de ses fréquences en Angola, en Côte d’Ivoire et à Madagascar et souhaite faire d’Abidjan et de Nairobi ses hubs régionaux. Son objectif : consolider ses positions sur un continent où elle emploie (notamment via sa filiale Servair) près de 4 000 personnes. À l’occasion des 75 ans de sa ligne Paris-Abidjan, le 1er décembre, elle a voulu marquer le coup. Alexandre de Juniac, son PDG, s’est ainsi rendu sur place pour réaffirmer les ambitions et la stratégie du groupe pour la Côte d’Ivoire et pour le continent. Entre petits fours et rencontres officielles, il les a exposées à Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Air France-KLM a adopté cette année Perform 2020, un plan de restructuration qui prévoit la suppression d’environ un millier d’emplois. Dans quelle mesure l’Afrique est-elle concernée ?
Alexandre de Juniac : Perform 2020 est un plan de croissance. Pour que celle-ci soit possible, il y a forcément des économies à réaliser, afin d’avoir à la fois des moyens pour investir et des résultats à la hauteur de ceux de nos concurrents. Des suppressions d’emplois sont donc effectivement prévues. Elles auront lieu essentiellement en 2016 et 2017, principalement en France et aux Pays-Bas, et seront traitées sur la base du volontariat. La partie internationale du groupe contribue aussi à cet effort, de manière significative mais pas autant que ces deux pays. En Afrique, en revanche, seuls quelques ajustements ici et là sont à prévoir, mais ils seront minimes et réalisés là aussi sur la base du volontariat. Il n’y a pas de plan de suppressions d’emplois ou de départs volontaires prévu.
Comment se portent vos activités sur le continent ? L’année 2015 sera-t-elle bonne ?
Nos activités dans la partie occidentale du continent, principalement desservie par Air France, ont toujours bien fonctionné et c’est encore le cas cette année. Elles ont particulièrement bien repris dans les pays durement touchés par Ebola en 2014 et 2015, comme la Guinée. Et elles ont également bien redémarré au Sénégal, après une année 2014 difficile. Nous avons lancé des opérations de relance commerciale, comme nous nous y étions engagés auprès du ministre du Tourisme et nous avons eu de très bons résultats. En 2016, nous allons d’ailleurs ajouter sur la ligne Paris-Dakar un Boeing 777-300 de près de 400 passagers pour satisfaire davantage les besoins de la diaspora sénégalaise en France mais aussi des touristes. Nous sommes donc partis pour une très bonne fin d’année 2015 et une bonne année 2016 dans cette zone.
Qu’en est-il de l’Afrique de l’Est et du Maghreb ?
En Afrique de l’Est, nous avons rencontré un peu plus de difficultés. KLM, qui est notamment présent au Kenya, en Tanzanie et dans quelques États d’Afrique centrale, a pâti, il est vrai, de la concurrence mais aussi d’une certaine dégradation de la situation sécuritaire et du terrorisme. Toutefois, les choses s’améliorent en ce moment. Quant à la zone Maghreb, elle a particulièrement souffert et continue de souffrir, notamment l’Égypte et la Tunisie, desservies par Air France mais aussi par Transavia [sa compagnie low cost]. Du fait de l’insécurité grandissante dans certaines zones de la région, nous avons subi une baisse de trafic. Celle-ci a été terrible en Tunisie. Nous avons réorienté nos capacités vers l’Europe méditerranéenne, mais cela ne nous a pas permis de nous rattraper.
Le continent marche bien en matière de rentabilité
Peut-on dire que l’Afrique de l’Ouest est aujourd’hui la zone la plus rentable pour Air France ?
Sur l’Afrique, nous avons une vision globale. Disons que le continent marche bien en matière de rentabilité. Ceci est important pour la pérennité de nos activités. Nous faisons cependant bien attention à pratiquer une politique tarifaire responsable, d’ailleurs toutes les autorités africaines y tiennent. En Côte d’Ivoire, comme dans tous les autres pays, nous avons par exemple baissé de près de 50 euros le poids du carburant dans nos tarifs et nous faisons régulièrement des promotions, avec des vols Paris-Abidjan à environ 550 euros. Mais nous ne sommes pas du tout une compagnie subventionnée, nous ne pouvons donc pas proposer des tarifs très bas comme celles qui le sont. Sinon, cela conduit à des fermetures de lignes. Il n’y a pas de miracles, ce n’est pas du charity business …
Comment la chute du prix du pétrole a-t-elle affecté vos activités, notamment dans des pays producteurs comme le Gabon ?
De deux manières : positivement d’abord, car cela réduit un poste de coûts important pour toute compagnie aérienne. Et négativement ensuite, en conduisant à une baisse du trafic sur un certain nombre de destinations, particulièrement les pays pétroliers – les compagnies du secteur et les administrations de ces pays ont réduit leurs budgets voyage. Cependant, sur la ligne Paris-Libreville par exemple, nous avons constaté une évolution intéressante. La demande au départ de France et d’Europe a baissé, mais elle a augmenté au départ du Gabon grâce à des prix très attractifs. Le fait que les Européens soient moins venus dans ce pays a donc, finalement, permis de faire voyager plus de Gabonais en France.
Pourtant sur la liaison Abidjan-Paris, par exemple, de nombreux voyageurs disent que vos tarifs ont augmenté, notamment depuis que votre concurrent Corsair a suspendu ses vols…
Les prix n’ont pas augmenté et cela se vérifie facilement. D’autant plus que nous nous sommes engagés auprès du président Ouattara, que nous avons récemment rencontré à Paris, à proposer des tarifs raisonnables.
Au Maghreb, vous êtes confrontés à une forte concurrence des compagnies low cost. Celles-ci se développent aussi en Afrique subsaharienne, notamment à l’Est [avec Fastjet en Tanzanie ou les sud-africains Mango Airlines et Kulula]. Est-ce que cela vous inquiète ?
Nous faisons très attention et nous suivrons de près cette évolution, qui pour le moment se limite à l’Afrique de l’Est. Chez Air France, nous pensons qu’il faut d’abord développer les compagnies classiques, type Air Côte d’Ivoire ou Kenya Airways, et vite. Pour qu’il y ait dans plus de pays des compagnies régulières, compétitives et dotées d’un vrai réseau. De plus, en Afrique de l’Ouest, le trafic n’est pas encore de la taille de ceux qui existent au sein des États-Unis ou de l’Europe.
Aujourd’hui, je ne suis pas sûr que le marché soit prêt pour un trafic low cost sur une ligne Abidjan-Accra, par exemple. D’autant plus que celui-ci nécessite des coûts d’exploitation très bas pour permettre des allers-retours rapides, des infrastructures adaptées dans les aéroports, etc. Pour l’instant, je ne suis pas certain que ce soit le cas dans la région. Et d’ailleurs, lorsque l’on étudie le trafic de Fastjet ou des compagnies low cost sud-africaines, on voit bien qu’il est plus domestique qu’international.
Mais votre filiale Transavia, aujourd’hui active au Maghreb, pourrait-elle desservir le sud du Sahara un jour ?
C’est théoriquement possible et ce n’est pas insensé. Il y aurait une belle complémentarité entre les long-courriers Air France et les dessertes low cost de Transavia. Les Boeing 737-800/900 de Transavia permettent d’aller jusqu’à Dakar [à partir d’Orly], voire au Cap Skirring [sud du Sénégal], mais on ne pourrait pas aller beaucoup plus loin. Pour Abidjan, par exemple, c’est un peu juste, il faudrait un autre type d’avion.
Quel bilan dressez-vous des opérations de l’A380 vers l’Afrique du Sud [depuis 2011] et vers la Côte d’Ivoire [depuis début 2014] ?
C’est un succès pour Johannesburg, que nous renouvelons pour Abidjan. Le bilan est même meilleur en Côte d’Ivoire qu’il ne l’est en Afrique du Sud. Aujourd’hui, l’A380 dessert quotidiennement Johannesburg, mais à partir de janvier, nous allons procéder de la même manière qu’à Abidjan, en alternant A380 et B777.
Nous avons demandé au président Ouattara de veiller à ce que les taxes et les coûts de l’aéroport baissent
Comme vous l’avez souligné, vous avez rencontré le président ivoirien récemment. Outre les tarifs, quels sont les autres points sur lesquels vous vous êtes engagé ?
Le développement d’Air Côte d’Ivoire à travers notamment la participation à une augmentation de capital et au renouvellement de la flotte. Nous avons aussi demandé au président de veiller à ce que les taxes et les coûts de l’aéroport baissent. Ce qu’il s’est engagé à faire. C’est un point extrêmement important si l’on veut faire d’Abidjan un hub et ne pas assister au déplacement du trafic vers d’autres aéroports, comme cela s’est passé en Europe, avec une partie du trafic qui s’est rabattue vers les pays du Golfe.
Que diriez-vous justement du développement actuel d’Air Côte d’Ivoire, dont vous détenez 20 % des parts ? Et du partenariat qui le lie désormais à Kenya Airways, dont vous êtes actionnaire à hauteur de 26,73 % ?
Nous sommes très satisfaits d’Air Côte d’Ivoire et son bilan est très encourageant. C’est une entreprise bien gérée, les opérations sont carrées, la qualité de service et la ponctualité sont bonnes. Nous restons toutefois vigilants sur la capacité de cette jeune compagnie à devenir rapidement rentable. Le partenariat avec Kenya Airways était pour nous une aubaine. Avec bientôt un hub à Nairobi, un autre à Abidjan, un réseau qui alimente déjà l’Europe et un autre qui relie désormais les deux hubs, c’est évident que cette stratégie fonctionne. Et on se demande bien pourquoi cela n’a pas été fait avant. Avec nos partenaires, nous sommes les premiers à le faire et nous en sommes très fiers.
Air France compte-t-il aussi nouer un partenariat avec Congo Airways, qu’il a contribué à lancer cette année, via sa filiale conseil, Air France Consulting ?
Le Premier ministre congolais, Augustin Matata Ponyo, nous a demandé il y a quelques années de l’aider à monter le business case, ce que nous avons fait. Nous participons également à l’encadrement de la maintenance en ligne et avons proposé une formation des pilotes. Il s’agit donc d’un partenariat purement technique et nous n’avons, pour le moment, pas prévu d’aller plus loin.
LES COMPAGNIES ORIENTALES À L’OFFENSIVE
Le groupe Air France-KLM, qui dessert 46 destinations sur le continent, dont 34 au sud du Sahara, doit faire face à une offensive aérienne sans précédent de ses concurrents venus du Moyen-Orient. Depuis 2008, le géant Emirates, basé à Dubaï, n’a cessé d’augmenter ses capacités sur le continent, avec 23 destinations desservies aujourd’hui. Ses voisins et rivaux Qatar Airways, installé à Doha, et Etihad Airways, la compagnie d’Abou Dhabi, ont respectivement fait progresser leur nombre de places vers et depuis l’Afrique de 44 % et 100 % entre 2008 et 2013. Quant à Turkish Airlines, son trafic passager à destination du continent est en hausse de 20 % chaque année depuis une décennie, comme l’indiquait fin 2014 son PDG, Temel Kotil. Enfin, la compagnie low cost Flydubai a étendu en août 2014 son réseau jusqu’au Burundi, au Rwanda et en Ouganda.
Si pour le moment c’est surtout à l’est du continent que la concurrence s’intensifie, et donc plutôt KLM qui est touché, le Centre et l’Ouest, terrains de jeu d’Air France, ne sont plus épargnés. Le Burkina Faso et le Gabon vont ainsi ouvrir leurs cieux à Emirates et à Etihad. Le premier a signé en mars un accord « open sky » avec les Émirats arabes unis et le second a conclu un préaccord en août. Air France, qui a noué un partenariat privilégié avec la compagnie d’Abou Dhabi, notamment pour le partage de code en Europe, pourrait tenter de négocier avec cette dernière des zones réservées à chacun en Afrique pour éviter qu’ils ne se nuisent mutuellement.
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