Le Maroc, un pont d’or pour la Chine ?

Jusqu’à présent, la deuxième puissance économique mondiale se montrait timide vis-à-vis du royaume chérifien. Pour inverser la tendance, Rabat mise sur sa stratégie industrielle et sur sa position de partenaire privilégié de l’Afrique et de l’Europe.

Le pont Hassan II dans la ville de Rabat, projet d’aménagement de la Vallée du Bouregreg. © Hassan Ouazzani pour Jeune Afrique

Le pont Hassan II dans la ville de Rabat, projet d’aménagement de la Vallée du Bouregreg. © Hassan Ouazzani pour Jeune Afrique

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Publié le 29 décembre 2015 Lecture : 5 minutes.

Le port de Tanger Med © Tanger Med
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Maroc – Chine : une nouvelle histoire

Depuis bientôt deux ans, Rabat multiplie les initiatives pour doper ses relations d’affaires avec Pékin. Ses arguments ont-ils fait mouche ? Ils semblent en tout cas avoir éveillé l’intérêt des investisseurs chinois.

Sommaire

«Depuis un an, le Maroc a mis en place une véritable stratégie à destination de la Chine. Nous misons sur un partenariat main dans la main, avec la volonté d’établir des rapports permettant la création de davantage de valeur ajoutée. » C’est en ces termes que Moulay Hafid Elalamy s’est exprimé à la tribune du premier Sommet sino-africain des entrepreneurs (SAES), organisé les 26 et 27 novembre à Marrakech. Le ministre marocain de l’Industrie ne cache pas les nouvelles ambitions du pays, qui a en effet ardemment milité auprès des organisateurs du forum pour que ce dernier se déroule au Maroc.

Si les échanges entre les deux pays ont fortement progressé ces dernières années (voir p. 68), ils restent quasiment trois fois inférieurs à ceux entre Alger et Pékin. Par ailleurs, la balance commerciale est largement déficitaire pour le royaume (de 27,2 milliards de dirhams en 2014, soit 2,47 milliards d’euros), la hausse des échanges résultant principalement de l’augmentation des importations vers le Maroc, passées de 7,9 à 29,5 milliards de DH entre 2004 et 2014.

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Côté investissements, le constat est pire. Selon des données du ministère chinois du Commerce, entre 1998 et 2012, le Maroc n’a jamais fait partie des 20 destinations africaines préférées des entreprises chinoises. Le China-Africa Development Fund, qui a accompagné plus de 80 projets d’entreprises chinoises sur le continent, n’a pour l’instant mené aucune opération dans le royaume. Et entre 2009 et 2013, les investissements directs chinois dans le pays n’ont représenté que 63,6 millions de DH, soit 12,7 millions par an (quand ceux de la France en ont atteint 30,1 milliards pour la seule année 2013). Un chiffre facilement explicable : le royaume est dépourvu d’or noir et bien moins doté que nombre de pays du continent en ressources minières, dont Pékin raffole.

Rapprochement

Pourtant Rabat estime que le moment est propice à un rapprochement avec le géant asiatique. « Les investissements directs étrangers [IDE] chinois dans le monde ont doublé depuis 2004, explique Sun Shuzhong, ambassadeur de Chine au Maroc. Et, surtout, le gouvernement encourage désormais clairement les entreprises à sortir du pays. » Raison de cette nouvelle politique : la mutation économique de la Chine, contrainte de passer d’un modèle « usine du monde » à celui d’une économie produisant davantage de valeur ajoutée et tournée vers son marché intérieur, à cause notamment de l’explosion des salaires chinois et, donc, des coûts de production.

Les délocalisations qui devraient se produire et porter sur quelque 85 millions d’emplois profiteront sans doute d’abord aux régions de la Chine intérieure, où les coûts salariaux restent encore inférieurs à ce qu’ils sont dans le reste du monde. Beaucoup de pays émergents, Maroc compris, comptent cependant sur la relocalisation de centaines d’usines sur leur sol et, donc, sur la création de nombreux emplois locaux.

Ce projet officiellement baptisé One Belt, One Road, d’un budget de 890 milliards de dollars (environ 820 milliards d’euros), vise à établir de nouveaux axes économiques partant de Chine

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Sur le papier, le royaume n’est pourtant pas le mieux placé pour bénéficier de ce basculement. Le pays est en effet très éloigné de la « nouvelle route de la soie ». Ce projet officiellement baptisé One Belt, One Road, d’un budget de 890 milliards de dollars (environ 820 milliards d’euros), vise à établir de nouveaux axes économiques partant de Chine. La voie maritime dessert notamment l’Afrique de l’Est, puis la Méditerranée, mais pas dans sa partie la plus occidentale.

Le marché intérieur du royaume reste de surcroît trop étroit pour passer le cap des échanges commerciaux et débloquer des investissements sur place. « Pour que les entreprises chinoises passent à une production locale, il faut un marché d’au moins 100 millions de personnes », souligne Jean-Christophe Iseux von Pfetten, professeur d’économie politique à l’Université du peuple (école d’élite de l’État chinois) et réputé proche du pouvoir chinois.

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Plateforme

Malgré ce constat, le Maroc, qui cherche à diversifier ses partenaires économiques, entend bien jouer la carte de sa situation géographique stratégique, aux portes de l’Europe et de l’Afrique subsaharienne francophone, mais aussi d’autres grandes zones économiques. « En produisant du textile au Maroc, vous pouvez exporter sans taxe vers les États-Unis », a ainsi plaidé Mamoune Bouhdoud, ministre délégué auprès du ministre de l’Industrie, devant la centaine d’investisseurs chinois présents au SAES. Petit marché à l’échelle mondiale, le Maroc est parvenu à se positionner comme un interlocuteur et un partenaire économique privilégié de pays européens comme la France ou l’Espagne, mais aussi de la plupart des pays francophones subsahariens. D’où l’idée, évoquée à Marrakech, de développer une plateforme sino-maroco-africaine.

Échanges en hausse ... © J.A.

Échanges en hausse ... © J.A.

À plus court terme, Rabat pourrait en tout cas convaincre des groupes chinois sous-traitants de l’aéronautique et de l’automobile de rejoindre les nombreux acteurs étrangers déjà présents dans le nord du pays. « Le royaume doit tabler sur des activités plus sophistiquées que celles qui se sont développées au Vietnam ou au Cambodge, pays avec lesquels il n’est pas compétitif en matière de coûts. Il faudrait également trouver des niches bien spécifiques qui le différencieraient de certains pays de la région comme la Tunisie, la Jordanie ou la Turquie », commente Uri Dadush, chercheur associé à l’OCP Policy Center de Rabat.

Il y a quelques semaines, Moulay Hafid Elalamy accueillait ainsi une délégation d’une cinquantaine d’opérateurs chinois du secteur automobile. « Plus de 90 % d’entre nous venaient au Maroc pour la première fois », raconte Michel Li Guisheng, président du groupe ISI-GF (lire p. 80), qui participait à cette mission et qui fournit des machines de soudage à l’usine de Renault à Tanger.

Surprise

De leur côté, les autorités et les sociétés chinoises lorgnent les possibilités qu’offrirait l’énorme chantier d’un tunnel sous la Méditerranée, un vieux projet extrêmement coûteux pour lequel la recette pékinoise de « construction-financement » pourrait s’appliquer. Mais la surprise pourrait venir du secteur des services, bien plus développé au Maroc que celui de l’industrie. Alors que les grandes banques du royaume dominent désormais la scène bancaire en zone francophone, l’investissement d’une grande banque chinoise dans l’une de ses homologues marocaines (sur le modèle de l’investissement d’ICBC dans Standard Bank en 2007, pour 5,6 milliards de dollars) reste une piste de rapprochement plausible.

Par ailleurs, la stratégie économique chinoise en Afrique restant largement conçue pour servir des intérêts géopolitiques, Jean-Christophe Iseux von Pfetten avance un autre point fort du royaume. « Les Chinois ont énormément de difficultés pour entrer au Moyen-Orient, explique-t-il. Le roi du Maroc ayant d’excellentes relations avec les pays du Golfe, Rabat pourrait être vu par la Chine comme un bon moyen de se développer dans le monde arabo-musulman. » Un point important pour la nouvelle stratégie chinoise du Maroc, même si, à ce jour, les ambitions sont encore bien au-delà de la réalité.

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