Armée tchadienne : le répit des guerriers

En première ligne dans la lutte contre Boko Haram, l’armée du Tchad doit désormais trouver ses marques au sein de la nouvelle force d’intervention conjointe.

Soldats de retour                         du Nigeria, le 11 décembre. © BRAHIM ADJI/AFP

Soldats de retour du Nigeria, le 11 décembre. © BRAHIM ADJI/AFP

Madjiasra Nako

Publié le 30 décembre 2015 Lecture : 3 minutes.

Où va le Tchad ? © Philippe Desmazes/AFP
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Où va le Tchad ?

Idriss Déby Itno va briguer un cinquième mandat à la tête de son pays. Qu’en a-t-il fait pendant ses 25 ans de pouvoir ? Plongée au coeur d’un grand pays pauvre et stratégiquement majeur dans la région.

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C ‘ est avec la même allégresse que celle qui les a accompagnés lorsqu’ils ont quitté la capitale, mi-janvier, pour aller combattre Boko Haram sur le front nord des rives du lac Tchad que 2 000 soldats tchadiens de retour du Niger et du Nigeria ont été accueillis, le 11 décembre, sur la place de la Nation, à N’Djamena. Comme leurs camarades rentrés un mois plus tôt, entre youyous et musique militaire, ils ont été acclamés par la foule et félicités par les autorités pour avoir libéré les populations prisonnières de la folie de la secte islamiste. Dans la tête de chacun de ceux qui assistaient à ce grand retour résonnent encore les noms des villes nigérianes de Gambaru, Dikwa, Damasak, Malam Fatori… Autant de cités arrachées aux jihadistes en seulement quelques mois grâce aux interventions des troupes tchadiennes.

Depuis la fin de la saison des pluies, les islamistes ne contrôlent plus de territoires. Réduits à lancer des attaques surprises menées par des kamikazes dont l’objectif est de faire le maximum de dégâts, ils ne sont pas neutralisés pour autant. De juin à décembre, près d’une dizaine d’explosions ont endeuillé les rives du lac Tchad, faisant près de 200 morts et plus de 300 blessés (civils, militaires et terroristes confondus).

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Le Tchad, une puissance militaire régionale

Ce retour au pays de plus de 4 000 soldats tchadiens, en novembre et en décembre, s’inscrit dans le cadre du réajustement préalable au déploiement de la Force d’intervention conjointe multi-nationale (MNJTF), qui doit remplacer la coalition régionale de lutte contre Boko Haram. Cette force regroupe les pays du bassin du lac Tchad (Cameroun, Niger, Nigeria, Tchad) et le Bénin. Elle sera composée de 8 700 hommes, dont 3 000 Tchadiens. Son commandement, basé à N’Djamena, sera assuré par un Nigérian et divisé en « secteurs ». Le « secteur numéro un » a été installé début septembre à Mora, dans l’Extrême-Nord du Cameroun (région frontalière du Nigeria).

Parmi les tout premiers à intervenir au Nord-Mali, début 2013, et au Nord-Cameroun, en janvier 2015, et après avoir « broyé du jihadiste » dans tout le Sahel, le Tchad a confirmé sa réputation de grande puissance militaire régionale. Pourtant, il n’en récolte pas toujours les dividendes. En effet, malgré le succès de ses campagnes, le Tchad n’a obtenu ni le commandement militaire de la Mission des Nations unies pour la stabilisation du Mali (Minusma) ni celui de la MNJTF, que le Nigeria a remporté en pesant de tout son poids auprès de l’Union africaine. N’Djamena devra se contenter d’en être le QG.

Dans les Ifhogas, je savais qu’on allait perdre des hommes, mais il fallait y aller, sinon la guerre allait durer au moins six mois de plus », expliquait Idriss Déby Itno

Ces échecs s’expliquent par le peu d’offensives diplomatiques déployées par le Tchad, mais aussi par le manque de professionnalisme régulièrement reproché à ses soldats, auxquels on reconnaît par ailleurs une témérité sans pareille lorsqu’il s’agit d’aller au combat. « Dans les Ifhogas, je savais qu’on allait perdre des hommes, mais il fallait y aller, sinon la guerre allait durer au moins six mois de plus », expliquait Idriss Déby Itno quelques semaines après l’offensive de son armée dans le nord du Mali, fin février-début mars 2013, qui fut fatale au chef jihadiste Abou Zeid. Mais au courage indéniable des soldats tchadiens, certains observateurs opposent leur indiscipline et, parfois même, leur propension au pillage. L’argument, utilisé à tort et à travers par certains acteurs de la crise centrafricaine a d’ailleurs poussé le président Déby Itno, en avril 2014, à ordonner ab irato le retrait de ses forces de RCA, où elles se trouvaient depuis plus de dix ans.

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Réformer l’armée

Beaucoup de Tchadiens estiment en outre que le traitement des hommes de troupe est trop modeste et « peu enviable ». Fin mai, alors qu’il était question de prolonger le mandat du corps expéditionnaire en mission contre Boko Haram, nombre de députés d’opposition ont soulevé ce problème. « Il est vrai que le soldat tchadien n’est pas toujours bien traité. Mais nous nous penchons sur la question », a admis le général Benaindo Tatola, ministre délégué à la présidence, chargé de la défense nationale.

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Depuis vingt ans, l’armée n’a jamais eu le temps d’achever sa réforme, ses efforts de reconstruction et de modernisation ayant été régulièrement interrompus par des guerres – lesquelles ont pu conduire à intégrer au sein des troupes, voire à des postes de commandement, des hommes sans qualification ou pas assez compétents. Les autorités sont donc conscientes qu’il va falloir mener à son terme ce processus de réorganisation et de professionnalisation pour que l’armée tchadienne devienne une armée moderne dont les soldats seront d’aussi louables gardiens de la paix qu’ils sont de valeureux guerriers.

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