Allemagne : Angela Merkel, la femme qui dit non
Angela Merkel a réussi à étouffer la fronde qui couvait au sein de son parti, mais sa politique favorable à l’accueil des migrants passe mal dans l’opinion. La chancelière n’a pourtant pas l’intention d’en changer.
Pour le magazine américain Time, Angela Merkel (61 ans) est la personnalité de l’année 2015. Une manière de saluer la capacité de la chancelière allemande à faire face aux défis auxquels l’Europe est confrontée, qu’il s’agisse de la crise de l’euro ou de celle des migrants. « On peut être d’accord ou pas avec elle, mais personne ne peut dire qu’elle choisit le chemin le plus facile », justifie Nancy Gibbs, la directrice de la publication. De fait, de Barack Obama aux associations humanitaires en passant par la presse internationale, tout le monde à l’étranger salue son courage.
Une crise politique en rapport avec les migrants
Mais ce concert d’éloges tranche avec l’ambiance plutôt lourde qui prévaut en cette fin d’année en Allemagne. L’euphorie des mois d’été a laissé la place au doute : comment intégrer le million de migrants débarqués en 2015 ? Personne ici n’a oublié le « nous allons y arriver » lancé par Merkel il y a quelques mois. Et du coup, la chancelière se retrouve avec une grave crise politique sur les bras. Pour calmer les esprits, elle s’est, dans un premier temps, résolue à placer les Balkans sur la liste des « pays sûrs », ce qui exclut leurs ressortissants du droit d’asile.
Mais pour les frondeurs, c’est insuffisant. Parmi les plus acerbes, Thomas de Maizière, son ministre de l’Intérieur, souhaite rétablir l’examen individuel des dossiers des migrants syriens, limiter la durée de leur séjour et mettre fin au regroupement familial. Horst Seehofer, le chef de la CSU (cousine bavaroise de la CDU, le parti au pouvoir), réclame de son côté la création de « zones de transit » à la frontière, où seraient hébergés les demandeurs d’asile afin de refouler ceux qui viennent des Balkans. Il faut dire que la grande majorité des réfugiés arrivent en Allemagne par la Bavière… Soutenue par les sociaux-démocrates du SPD, Merkel s’y oppose.
Au nom d’« impératifs humanitaires », elle a refusé de fermer les frontières et de fixer un quota annuel
Au congrès annuel de son parti, à Karlsruhe, les 14 et 15 décembre, elle a d’ailleurs tenu bon. Avec l’art du compromis qui la caractérise, elle a plaidé pour une « réduction perceptible » du nombre des migrants, afin de ménager les contestataires et de rassurer les élus locaux totalement débordés, mais, au nom d’« impératifs humanitaires », elle a refusé de fermer les frontières et de fixer un quota annuel, comme le réclame avec insistance la CSU.
« Angela Merkel vient d’une famille de pasteur, elle a grandi dans un environnement social particulier, rappelle Thomas de Vachroi, directeur d’un centre d’hébergement d’urgence et membre de la CDU. Elle a choisi d’agir humainement, même si, politiquement, elle pourrait s’en mordre les doigts. » Son discours nourri de références morales (après tout, le sigle CDU ne signifie-t-il pas Union chrétienne-démocrate ?) était très émouvant. Contre toute attente, il a été suivi par une longue ovation – pas moins de neuf minutes.
Une politique désavouée par l’opinion
La base de son parti fait donc à nouveau bloc derrière la chancelière. Pour l’ensemble des Allemands, c’est beaucoup moins sûr. À en croire les sondages, 60 % d’entre eux désapprouvent sa politique migratoire, alors qu’ils n’étaient que 30 % à la fin de l’été. L’afflux continu des réfugiés (jusqu’à 10 000 par jour) et l’écho de bagarres entre les différentes communautés ont suffi à inverser la tendance. Ni les dons ni l’engagement des volontaires ne faiblissent, mais les agressions contre les migrants se multiplient. Le quotidien Die Zeit en a recensé plus de 220 depuis le début de l’année. Logiquement, le mouvement populiste AfD (Alternative pour l’Allemagne) profite de ce climat et recueille désormais plus de 10 % des intentions de vote.
Angela Merkel est donc à un tournant. Elle dont la stratégie a toujours été d’être en accord avec l’opinion se retrouve, pour la première fois, à contre-courant. Elle pourrait le regretter si, d’aventure, elle se résolvait à briguer un quatrième mandat. Mais c’est peut-être aussi le moyen d’accroître sa stature et de laisser une trace dans l’histoire de l’Allemagne.
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