Andrew Lynch : « À Lomé, MSC inaugure un nouveau concept »

Un « hub unique ». Voilà ce que l’armateur italo-suisse veut faire du port togolais, qui sera le seul arrêt en Afrique de l’Ouest pour ses navires en provenance d’Asie. Explications de son directeur au Nigeria.

Avant d’être directeur général de MSC au Nigeria, le Britannique, qui sort de la prestigieuse université de Plymouth, occupait les mêmes fonctions au Ghana. © Lukas Lokut pour Jeune Afrique

Avant d’être directeur général de MSC au Nigeria, le Britannique, qui sort de la prestigieuse université de Plymouth, occupait les mêmes fonctions au Ghana. © Lukas Lokut pour Jeune Afrique

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Publié le 23 décembre 2015 Lecture : 8 minutes.

Un vent nouveau souffle depuis avril 2014 sur la desserte maritime de la côte ouest-africaine. Outsider sur le continent derrière Maersk Line (Danemark) et CMA CGM (France), l’italo-suisse Mediterranean Shipping Company (MSC) a opéré un véritable changement d’échelle dans ses activités africaines de transbordement de conteneurs avec le lancement de son service Africa Express. « Pour la première fois, une compagnie maritime propose une liaison directe entre l’Asie et l’Afrique de l’Ouest », explique Yann Alix, délégué général de la fondation Sefacil, spécialisée dans les questions de logistique.

En 2013, le deuxième plus grand opérateur mondial, fondé en 1970 et toujours détenu par la famille Aponte (dont la fortune était estimée en 2014 à 2,8 milliards de dollars par la presse suisse, soit 2,3 milliards d’euros), avait déjà affiché ses ambitions en utilisant Las Palmas, aux Canaries, et San Pedro, en Côte d’Ivoire, comme hubs afin de redistribuer les marchandises venant d’Europe et des Amériques dans les différents ports de la sous-région. Une stratégie de massification des trafics qui lui a permis, selon une logique de transbordement Nord-Sud, de se faire une place à l’ombre de ses deux principaux concurrents, qui trustent près de 60 % du trafic en Afrique.

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Début 2015, MSC a encore accéléré en utilisant des navires deux fois plus gros, dont la capacité est au minimum de 6 500 équivalents vingt pieds (EVP), pour relier Lomé, via des escales à Durban et au Cap, aux principaux ports asiatiques. Du jamais vu dans la sous-région, même si pour l’instant les volumes transbordés par MSC dans le port togolais sont bien inférieurs aux 300 000 EVP espérés. Ils pourraient néanmoins augmenter à la faveur de la baisse des tarifs portuaires à Lomé. En plus de tailler des croupières à Abidjan (qui a perdu 25 % de ses volumes transbordés en 2015), cette diminution des prix devrait favoriser la conteneurisation des trafics minier et forestier, jusqu’alors effectués en vrac.

« MSC a mis en place une stratégie 100 % intégrée autour de son hub de Lomé, point de rencontre unique sur cette partie du continent entre les flux d’Europe et d’Asie », précise Yann Alix. Ses filiales, Terminal Investment Limited (TIL) pour la manutention portuaire et Medlog pour le transport terrestre, sont déjà installées au Togo. Reste à mettre en place le réseau de caboteurs qui permettra de desservir les autres ports de la sous-région. En innovant, MSC compte bien monter encore en puissance en Afrique de l’Ouest, notamment grâce sa présence sur un axe Afrique-Asie encore négligé par ses concurrents.

Jeune Afrique : La compagnie MSC n’a jamais autant fait parler d’elle en Afrique que ces dernières années. Le continent est-il devenu une priorité ?

Andrew Lynch : Nous desservons l’Afrique depuis les années 1970, d’abord via l’Afrique du Sud, et sommes présents depuis vingt ans sur la côte ouest-africaine. Mais c’est en effet un marché de plus en plus important pour nous. L’Afrique dans son ensemble représente actuellement 5 % de nos volumes et nous prenons en charge environ 12 % du trafic continental. Nous avons réalisé des investissements très significatifs ces dernières années afin de disposer d’un réseau d’agences et d’installations portuaires et terrestres. Grâce à cela, le port de Lomé est devenu l’un des premiers de la côte occidentale entre Gibraltar et Le Cap [avec 381 000 EVP en 2014].

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En 2013, MSC expliquait que la desserte de l’Afrique se ferait via les ports de Las Palmas et de San Pedro. L’an dernier, vous avez inauguré vos installations à Lomé, en précisant que le port togolais allait devenir votre hub unique dans la sous-région. Pourquoi ce changement de stratégie ?

Dans un premier temps, nos services étaient organisés selon un axe Nord-Sud. Les marchandises en provenance d’Asie et des Amériques étaient toutes transbordées dans les ports européens ou directement à Las Palmas, avant de descendre vers l’Afrique. San Pedro servant davantage de plateforme de redistribution vers les ports secondaires du golfe de Guinée comme Takoradi [au Ghana], Freetown ou Monrovia. Désormais, tous les flux venant d’Asie arrivent à Lomé.

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Pourquoi avoir choisi le port togolais ?

Pour son tirant d’eau, qui permet d’accueillir les navires les plus grands mis en ligne dans la sous-région ; pour l’espace disponible à proximité du port, afin de pouvoir nous développer ; et pour sa position très centrale, au cœur des principaux marchés sous-régionaux. L’axe reliant l’Afrique à l’Asie est aujourd’hui très concurrentiel et nous sommes obligés de réaliser des économies d’échelle pour rester compétitifs. Pouvoir utiliser des navires de grande capacité nous donne un avantage certain en matière de coût. Lomé inaugure un nouveau concept dans la sous-région.

MSC est la première compagnie maritime à pousser aussi loin le concept de hub unique en Afrique

Lequel ?

Déjà pionnière en matière de transbordement à Las Palmas et à San Pedro, MSC est la première compagnie maritime à pousser aussi loin le concept de hub unique en Afrique. Lomé devient l’unique arrêt en Afrique de l’Ouest pour les bateaux en provenance d’Asie, alors que jusqu’à présent les services proposaient entre trois et cinq escales dans le golfe de Guinée avant de prendre le chemin du retour. Lomé représente une nouvelle génération de port en Afrique, avec des normes équivalentes à celles des grands terminaux d’Asie ou d’Europe.

Quels sont les montants investis par MSC à Lomé ?

Nous avons déjà investi 350 millions de dollars, sur un total prévu de 500 millions. Nous gérons directement le terminal à travers notre filiale TIL, comme c’est le cas à San Pedro et dans nos ports nigérians de Lagos et de Badagry. Avec cette organisation, nous sommes en mesure de sécuriser les services portuaires dont nos navires ont besoin, notamment dans les plus grands ports, qui peuvent être rapidement congestionnés.

Comment a réagi le marché à l’arrivée de votre service Africa Express ?

Ce service fonctionne déjà de façon très satisfaisante et il a rapidement trouvé sa place sur la route Afrique-Asie. Le marché a vite vu les avantages de notre rotation, qui met Lomé à vingt-six jours de Singapour, contre plus de trente-cinq jours auparavant.

Et en matière de tarifs pour les utilisateurs ?

Nous sommes très compétitifs sur cet axe, car nous travaillons avec des navires de plus grande capacité que ceux qu’utilisent les autres armateurs dans la région. Lomé accueille déjà des porte-conteneurs capables de transporter 9 000 EVP, quand les autres ports ne dépassent pas les 6 000. C’est la meilleure façon pour nous de rentabiliser notre flotte.

Les atouts de Lomé : son tirant d'eau, l'espace disponible à côté du port et sa position centrale en Afrique de l'Ouest © MSC

Les atouts de Lomé : son tirant d'eau, l'espace disponible à côté du port et sa position centrale en Afrique de l'Ouest © MSC

Cela signifie-t-il que les ports de la sous-région verront accoster un jour des porte-conteneurs de 12 000 EVP, comme dans les plus gros hubs du monde ?

Absolument ! L’Afrique a devant elle une longue période de croissance économique, et le marché va bien évidemment en profiter. Le nombre de conteneurs transportés à travers le continent doit tripler d’ici à 2030, pour dépasser les 20 millions d’EVP chaque année. Le port de Lomé est déjà dimensionné pour recevoir des navires de 15 000 EVP.

Dans l’océan Indien, vous semblez avoir jeté votre dévolu sur Port-Louis comme hub régional. Vous y appliquez la même stratégie qu’à Lomé ?

Chaque port dispose de ses propres caractéristiques, et ce qui marche pour l’un ne fonctionne pas forcément pour un autre. Mais la logique est identique. Maurice est géographiquement très bien placée, entre l’Asie et l’Afrique du Sud, et propose de bonnes conditions nautiques et des infrastructures de qualité. Il faut tenir compte de nombreux facteurs pour définir les ports d’escale d’une route maritime, et pour beaucoup de raisons Port-Louis apparaît comme une très bonne solution.

En dehors de la croisière, MSC s’est uniquement concentré sur le transport maritime des conteneurs. Avez-vous des projets concernant le volet terrestre ?

Nous disposons déjà d’une filiale baptisée Medlog, très active en Côte d’Ivoire avec une flotte de 200 camions et un réseau de dépôts et de plateformes logistiques depuis San Pedro. Medlog est également présent au départ des ports que nous desservons dans la région, ainsi que dans les pays enclavés d’Afrique de l’Ouest. Plus généralement, nous souhaitons évidemment développer nos activités terrestres. L’annonce de la future boucle ferroviaire en Afrique de l’Ouest a notamment été décisive dans notre choix concernant Lomé. C’est un projet très prometteur dont devraient bénéficier l’ensemble des ports de la sous-région.

Le Nigeria est un marché à lui tout seul et non pas un terminal à transbordement

Quelle place tient le Nigeria dans votre dispositif ?

Après l’Afrique du Sud, c’est certainement le pays du continent qui représente les plus importants volumes pour nous, avec plus de 100 000 EVP par an. Le Nigeria est un marché à lui tout seul et non pas un terminal à transbordement. Nous regardons de très près la côte orientale du pays, autour de Port Harcourt, où il reste encore beaucoup de place pour se développer.

Pour un transporteur global comme MSC, quelle est aujourd’hui la principale différence entre le secteur maritime en Afrique et sur les autres continents ?

Essentiellement le potentiel de croissance des trafics. La consommation de biens va augmenter de manière exponentielle. Aucun continent ne présente actuellement de meilleures perspectives de développement. Et MSC compte bien y augmenter ses parts de marché.

Croisières australes

Confortablement installé dans le tiercé de tête des plus grands armateurs de porte-conteneurs, MSC s’est également fait un nom dans le secteur très sélectif des croisières. Créée en 1988, la filiale dévolue à cette activité est devenue rapidement l’une des compagnies les plus dynamiques. Disposant d’une flotte ultramoderne de treize paquebots, elle est actuellement leader en Europe et occupe la quatrième place à l’échelle mondiale, avec un chiffre d’affaires estimé à 1,3 milliard de dollars en 2014 (environ 1,1 milliard d’euros).

Présent essentiellement en Europe, en Méditerranée et dans les Caraïbes, l’opérateur mouille également, depuis le début des années 1990, le long des côtes méridionales de l’Afrique. Au départ de Durban, le MSC Sinfonia propose à ses 2 600 passagers différents circuits le long du littoral, en direction du Cap mais aussi de Lüderitz (Namibie) et de Maputo, sans oublier la Réunion et Maurice. Plus de 1 million de personnes ont déjà pu profiter des croisières MSC dans la région. Un chiffre qui devrait progresser à un rythme élevé dans les prochains mois puisque MSC, associé au sud-africain Transnet, vient de terminer les travaux d’agrandissement du terminal de croisières de Durban.

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