Le DJ centrafricain Boddhi Satva, un diamant brut

Cet enfant de Bria (est de la Centrafrique), de son vrai nom Armani Kombot-Naguemon, est aujourd’hui l’un des DJ africains les plus en vogue.

« J’ai envie de croire qu’on peut nourrir sa famille, bien vivre et, en même temps, changer la vie des gens. » © BRUNO LEVY pour J.A.

« J’ai envie de croire qu’on peut nourrir sa famille, bien vivre et, en même temps, changer la vie des gens. » © BRUNO LEVY pour J.A.

MATHIEU-OLIVIER_2024

Publié le 24 décembre 2015 Lecture : 3 minutes.

Fils d’un diamantaire franco-centrafricain, petit-fils de Nestor Kombot-Naguemon, ancien ministre et ambassadeur de Centrafrique en France, Armani Kombot-Naguemon n’était pas forcément attendu derrière les platines des meilleurs clubs de la planète. Né à Bangui en 1983, ayant grandi à Bria, il n’a jamais eu une enfance difficile… ce qu’il n’a d’ailleurs jamais prétendu. Élevé dans le diamant, fils d’une mère d’origine belge et américaine, productrice de bijoux pour de grandes maisons de haute couture, il vivait même dans une relative opulence à Bria, où, jeune basketteur, il profitait de l’aisance familiale pour chausser les dernières baskets à la mode.

Dans les années 1990, il s’essaie au hip-hop et découvre les musiciens centrafricains ainsi que les Beatles, Marvin Gaye ou Public Enemy. Mais à cette époque où les attentes de son paternel comptent beaucoup, il espère encore devenir avocat.

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À 18 ans, envoyé en Belgique pour passer son baccalauréat au lycée français de Bruxelles, il échoue toutefois, avec 6 de moyenne. Pas de quoi se lancer dans les études. Rentré en Centrafrique, il travaille dans l’entreprise familiale comme tailleur de diamant, pendant deux ans et demi. Jusqu’au coup d’État de François Bozizé, en 2003.

Un nouveau départ après 2003

Considérés comme des opposants, les Kombot-Naguemon sont tenus de prendre un nouveau départ et de quitter le pays, où Armani ne retournera qu’en 2012. Avec un père ruiné et emprisonné pour détournement de fonds, à la suite d’une « accusation montée de toutes pièces », l’entreprise familiale s’écroule et l’exil débute, entre la Belgique et le Mali. « Du jour au lendemain, on a tout perdu, mais cela n’était pas une mauvaise chose : la musique s’est imposée », relativise aujourd’hui Kombot-Naguemon.

« Quitte à être pauvre, autant l’être en produisant du son », se dit-il alors. Ayant découvert la house et la deep house en écoutant les sons des DJ américains de Détroit et de Chicago, il va en chercher les origines africaines. « Étant né blanc et ayant grandi en Afrique avec un quart de sang noir, je voulais préserver ma négritude alors que, en Europe ou aux États-Unis, on allait me considérer comme blanc », raconte-t-il.

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Lancé dans la musique, en partie grâce aux connexions de son père, Armani Kombot-Naguemon devient Boddhi Satva, du surnom d’une connaissance bouddhiste de ses parents, de passage à Bria, selon la légende, lors de sa « conception ». La suite est une succession de rencontres. En 2005, à 22 ans, il fait la connaissance d’Alton Miller, l’un des pionniers de Chicago, dont il devient le colocataire et le protégé. « Il m’a formé, et j’ai commencé à rouler ma bosse et à travailler en tant que producteur. »

Inspiré par le son des claviers de Fela Kuti, cherchant un mélange authentique entre musique traditionnelle et modernité de la house, Boddhi Satva va se diriger vers l’Américain Osunlade, très influencé par les sonorités d’Afrique de l’Ouest, qu’il mixe depuis plus de vingt ans. Les deux artistes se rapprochant notamment dans la religion yoruba, dont l’aîné est prêtre, la collaboration, spirituelle et artistique, se met aussitôt en place. Suivent le New-Yorkais Little Louie Vega, le DJ de Détroit Carl Craig ou encore Bob Sinclar, en France.

Boddhi Satva impose sa musique afro house aux influences disco, qu’il baptise ancestral soul

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S’il n’est pas encore connu du grand public, même dans la diaspora africaine, l’ancien de Bria se fait un nom auprès des pontes de la production musicale. « Je cherchais à avoir leur reconnaissance, à amener la musique africaine dans des clubs occidentaux qui ne connaissent pas forcément les artistes du continent comme les Canon Star de Centrafrique », explique-t-il.

Tournée aux États-Unis, concert privé pour la Fondation Samuel Eto’o à Londres, représentation dans une discothèque appartenant au fils de José Eduardo dos Santos, en Angola… Boddhi Satva impose sa musique afro house aux influences disco, qu’il baptise ancestral soul. Le 19 septembre dernier, il se produisait lors de la cérémonie de clôture des 11e Jeux africains, devant près de 60 000 personnes, dont Denis Sassou Nguesso, au stade olympique de Kintele, au Congo-Brazzaville.

« Il faut accepter de mettre un pied dans le système pour le faire changer », se justifie-t-il. Indigné par l’état des hôpitaux de Centrafrique, il estime aujourd’hui que la musique pourrait contribuer à des améliorations dans les secteurs de la santé et de l’éducation, si les artistes africains acceptaient d’y allouer une partie de leurs cachets, comme l’a fait le DJ Black Coffee avec une fondation en Afrique du Sud.

« La dernière fois que je suis rentré en Centrafrique, je me suis senti impuissant face à la pauvreté, et j’aimerais mettre fin à cette frustration », confie le producteur. Et de conclure : « En Afrique, beaucoup se contentent de faire de l’argent, de « bouffer ». Moi, j’ai vraiment envie de croire que l’on peut nourrir sa famille, bien vivre, et, en même temps, changer la vie des gens. »

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