Leopold Ngarlenan Docdjengar, ministre des Finances : « La situation sécuritaire a lourdement pesé sur l’économie »
Modernisation des services, réduction des exonérations fiscales, lutte contre la fraude… Le nouveau ministre des Finances dévoile ses priorités. Et revient sur l’élaboration du budget 2016.
Où va le Tchad ?
Idriss Déby Itno va briguer un cinquième mandat à la tête de son pays. Qu’en a-t-il fait pendant ses 25 ans de pouvoir ? Plongée au coeur d’un grand pays pauvre et stratégiquement majeur dans la région.
Nommé à la tête du portefeuille des Finances et du Budget lors du remaniement du 24 août, Leopold Ngarlenan Docdjengar (50 ans) présidait le comité technique de négociation avec le FMI et la Banque mondiale, qui, le 29 avril, a permis au Tchad d’atteindre le point d’achèvement de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Une bonne nouvelle pour l’État, qui bénéficie ainsi d’un allégement de dette de 1,1 milliard de dollars (auquel s’est ajouté, en juin, une annulation de dette de 62,6 millions de dollars, de la part du Club de Paris), alors qu’il se trouve confronté à la chute des cours du pétrole (dont la vente fournit près de deux tiers des recettes fiscales) et à la grogne de ses agents, qu’il n’arrivait plus à payer dans les temps. C’est d’ailleurs en pleine grève des fonctionnaires que Leopold Ngarlenan Docdjengar a reçu Jeune Afrique, le 11 décembre. La mine soulagée, il venait de s’assurer du paiement des salaires de novembre et annonçait que, compte tenu des fêtes de fin d’année, ceux du mois de décembre seraient versés en avance.
Jeune Afrique : L’année 2015 a-t-elle été aussi difficile qu’annoncé ?
Leopold Ngarlenan Docdjengar : Elle a été marquée par deux chocs majeurs, le déclin des prix du pétrole et l’insécurité causée par la secte Boko Haram, qui ont annihilé les efforts entrepris pour améliorer les conditions de vie de la population et le climat des affaires. La chute des cours du baril a entraîné une baisse des recettes pétrolières et, donc, du budget. Par conséquent, les ressources pour financer les projets d’investissement public ont été très faibles.
La situation sécuritaire a lourdement pesé sur l’économie. Elle a engendré une baisse des exportations de bétail vers le Nigeria, a rendu difficiles les importations en provenance de pays voisins en proie à des violences ou à des guerres et, avec l’intervention du Tchad au Cameroun, au Niger et au Nigeria, elle a aussi eu des conséquences sur les dépenses de l’État. Pourtant, malgré ces chocs, le pays a pu atteindre le point d’achèvement de l’initiative PPTE.
Quelles sont les perspectives pour 2016 ?
La préparation du budget 2016 s’inscrit dans une dynamique de renforcement des bases de la croissance et intègre le contexte que nous venons d’évoquer. Depuis 2011 et jusqu’en 2013, notre économie a affiché des signes positifs grâce aux réformes menées dans plusieurs secteurs et aux progrès réalisés pour assainir l’environnement économique et financier. À la fin de 2014, ces résultats ont été « pervertis » par la chute brutale des cours du brent et l’interruption de projets porteurs de croissance, notamment dans le BTP. Le taux de croissance a connu une amélioration notable, passant de 3 % en 2013 à 6,1 % en 2014, mais les estimations ont dû être revues à la baisse à 4 % pour 2015, au lieu des 7 % prévus.
Une des priorités est de travailler à la constitution d’une épargne et d’améliorer les recettes non pétrolières
Le projet de loi de finances 2016 tient compte de la production totale de brut [estimée à 140 000 barils/jour], du cours du brent et du taux de change. L’une des priorités est de travailler à la constitution d’une épargne et d’améliorer les recettes non pétrolières, afin d’assurer à l’État des ressources pérennes pour qu’il puisse couvrir ses dépenses ordinaires en cas de conjoncture défavorable. Les principales actions viseront à réduire les exonérations fiscales et douanières, à maîtriser le fichier des contribuables et à lutter contre la fraude, mais aussi à mettre en place une structure de veille pour éviter les dérapages en matière de contrôle fiscal.
La baisse des ressources ne risque-t-elle pas de provoquer des tensions sociales à l’approche de la présidentielle ?
Le projet de loi de finances est en cours d’examen à l’Assemblée nationale et doit être adopté dans les prochains jours. Des dispositions relatives aux dépenses incompressibles ont été prises en compte, pour qu’il n’y ait pas de perturbations. Établi sur la base des paramètres et des actions que nous venons d’évoquer, le budget 2016 présente une augmentation de 18 % des ressources et une baisse de 5 % des dépenses par rapport à la loi de finances rectificative de 2015.
L’activité devrait par ailleurs être relancée par la mise en œuvre des projets du chef de l’État, avec une hausse des investissements publics et privés dans le cadre de nouveaux partenariats public-privé. L’objectif est de continuer à renforcer les infrastructures de base, l’appui au développement rural et à la création d’emplois, et d’améliorer l’offre dans les domaines de la santé et de l’éducation.
Les plans relatifs à la réforme de l’impôt sur le revenu, de l’impôt foncier et des dépenses fiscales ont déjà été rédigés et validés
Le séminaire gouvernemental d’octobre sur la stratégie de mobilisation des ressources et de maîtrise des dépenses publiques a-t-il donné des résultats ?
Plusieurs mesures pour améliorer la gestion des finances publiques ont été identifiées et déclinées en plans d’action, pour lesquels nous avons défini des entités responsables, une durée d’exécution et des objectifs à atteindre. Les plans relatifs à la réforme de l’impôt sur le revenu, de l’impôt foncier et des dépenses fiscales ont déjà été rédigés et validés. Avec l’appui de l’Union européenne, un appel d’offres a été lancé pour le recrutement d’un consultant [les résultats sont attendus pour la fin du premier semestre de 2016]. Par ailleurs, le ministère des Finances entend réduire le nombre de ses délégations régionales.
Boko Haram étant affaibli sur le plan militaire, peut-on s’attendre à une reprise des exportations vers le Nigeria ?
On espère bien entendu que les échanges avec le Nigeria vont retrouver leur cours normal, en particulier nos exportations de bétail, qui ont baissé de 75 % entre 2012 et 2014. Par ailleurs, nous mettons tout en œuvre pour que le nouvel abattoir de Moundou [dans le sud-ouest du pays] soit opérationnel en janvier 2016. Il ne sera alors plus question d’exporter le bétail sur pied, ou alors seulement dans une proportion limitée : le bétail, la viande et les produits dérivés seront traités sur place, puis exportés.
Il s’agira aussi de rendre effective la bancarisation de tous les agents de l’État
Quels sont vos objectifs en matière d’assainissement des finances publiques ?
Plusieurs réformes ont déjà été engagées. Nous poursuivons l’automatisation de l’ensemble des procédures fiscales, ainsi que l’informatisation des régies financières et leur interconnexion – en particulier l’interconnexion entre l’administration de la douane et celle des impôts, et entre leurs services déconcentrés dans les régions.
Nous souhaitons en outre donner aux régies financières les moyens de suivre, de sécuriser et d’améliorer le rendement des recettes administratives de la police, des représentations diplomatiques, des mines, des cadastres et du domaine, etc.
Il s’agira aussi de rendre effective la bancarisation de tous les agents de l’État, d’effectuer un audit informatique et comptable de la Direction de la solde, afin de maîtriser les dépenses liées au personnel de l’État, tout en mettant en application les dispositions du nouveau code des marchés publics.
Certains estiment que les mesures prises contre les détournements de fonds publics sont électoralistes. Que leur répondez-vous ?
Que ce n’est pas le cas. Nombre d’entre elles ne sont pas nouvelles. Certaines ont été prises il y a plusieurs années par l’ex-ministère de la Bonne Gouvernance et de l’Assainissement public. Aujourd’hui, un comité technique vient de valider le code de conduite et de bonne gouvernance – qui sera prochainement adopté en Conseil des ministres – et c’est dans cette continuité que s’inscrit l’Inspection générale d’État [IGE, créée en octobre], rattachée à la présidence de la République. Cette batterie de mesures permettra de juguler la fraude et les détournements.
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