Grande distribution : CFAO prend ses marques en Côte d’Ivoire

C’est en Côte d’Ivoire que le géant panafricain, allié à Carrefour, vient d’ouvrir son premier centre commercial. L’initiative parviendra-t-elle à séduire cette classe moyenne que tous les grands groupes lorgnent ?

Après ses supermarchés ivoiriens (photo), Carrfour s’installe au Cameroun. © François-Xavier Gbré/J.A.

Après ses supermarchés ivoiriens (photo), Carrfour s’installe au Cameroun. © François-Xavier Gbré/J.A.

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Publié le 30 décembre 2015 Lecture : 7 minutes.

«Ya pas match, vous avez vu le standing ? » Fiacre Asseke savoure son choix d’avoir quitté le complexe Polygone-Orca pour son nouveau voisin du boulevard Valéry-Giscard-d’Estaing, dans le quartier de Marcory : le centre commercial PlaYce. Le bijoutier ivoirien, formé en Italie, avait déjà tenté de s’implanter dans un autre complexe de la grande artère abidjanaise, Cap Sud, mais la présence de son principal concurrent avait tout bloqué.

Dans le nouveau centre, développé par le groupe de distribution CFAO, son magasin AssekeOro sera la seule bijouterie de la galerie marchande, 58 m2 attenants à un hypermarché Carrefour. Un gage de succès ? « C’est un investissement à long terme. Ce qui m’a vraiment plu, c’est que tout cela est fait très sérieusement et que CFAO a globalement choisi des entreprises qui ne sont pas encore connues sur le marché local », explique l’artisan qui figure, avec le créateur de mode Pathé’O, parmi les enseignes africaines de PlaYce.

Le carrefour de Marcory est le premier hypermarché subsaharien du numéro deux mondial de la grande distribution © François-Xavier Gbré/J.A.

Le carrefour de Marcory est le premier hypermarché subsaharien du numéro deux mondial de la grande distribution © François-Xavier Gbré/J.A.

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L’hypermarché et les 51 magasins et boutiques de services que compte le centre commercial ont ouvert le 19 décembre. Avec trois mois de retard par rapport à la date annoncée – autant dire pas grand-chose pour ce genre de projets -, mais en remportant une victoire symbolique : le Carrefour de Marcory est le premier hypermarché subsaharien du groupe français éponyme, numéro deux mondial de la grande distribution, l’ouverture de celui de Nairobi ayant été repoussée à début 2016. Annoncé en 2013, PlaYce était attendu : sur Facebook, une jeune femme, Kareyl, explique s’y être rendue neuf jours avant l’inauguration à la suite d’une fausse annonce d’ouverture. La veille, l’agence immobilière AICI, contrôlée par Dominique Ouattara, la première dame ivoirienne, évoquait publiquement la « dernière touche » des travaux « avant l’ouverture officielle demain, 9 décembre 2015 ».

Sobriété

CFAO espère attirer chaque année au moins 3 millions de visiteurs. Mais il ne s’est pas laissé gagner par la folie des grandeurs. D’un point de vue architectural, les promoteurs ont joué la carte de la simplicité. Pas de vitrines extérieures en verre, aucun signe tapageur sur ces grands cubes blancs au design inspiré d’un troupeau d’éléphants marchant en file indienne. Quant à la taille du centre (20 000 m2 de surface hors parking) et à l’investissement engagé (plus de 50 millions d’euros), ils sont « au-dessus de la moyenne des centres commerciaux du continent mais en ligne avec les plus récents », explique Julien Garcier, directeur général du cabinet de conseil Sagaci Research. La surface de vente de Cap Sud, son concurrent le plus direct, géré par Prosuma, est à peu près similaire mais est occupée par près de deux fois plus d’enseignes.

Du côté des marques, CFAO a aussi fait le choix de la sobriété, tout en misant sur l’originalité. « Toutes ces marques sont nouvelles dans le pays et c’est ce qui est intéressant », estime Julien Garcier. L’hypermarché Carrefour, avec ses 30 000 références, jouera le rôle de locomotive. Tout comme le Burger King, première enseigne du groupe américain au sud du Sahara (hors Afrique du Sud), qui a finalement été préféré au KFC imaginé un peu plus tôt.

Ce centre, c’est un anti-Morocco Mall, lâche un spécialiste du secteur

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En définitive, et même si le centre doit comporter quelques enseignes plus haut de gamme (comme AssekeOro ou L’Occitane en Provence), rien de tape-à-l’œil. « Ce centre, c’est un anti-Morocco Mall », lâche un spécialiste du secteur en référence au méga centre commercial d’inspiration dubaïote qui a ouvert à Casablanca en 2011, avec aquarium, patinoire, parc d’attractions, Galeries Lafayette et des centaines de marques, dont certaines parmi les plus luxueuses. À Marcory, CFAO a opté pour des enseignes aux marques puissantes mais aux prix accessibles. C’est le cas notamment de La Halle, Morgan ou Jules, dans l’habillement, amenés directement sous forme de franchises par le groupe.

Logistique

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CFAO sait que l’une des clés du succès sera le rapport qualité-prix. Carrefour aurait beaucoup travaillé à trouver dans ses gammes de produits – et notamment parmi ceux sous marque distributeur – les plus adéquats pour la clientèle locale. L’autre élément essentiel sera la logistique. Dans ce domaine, la multinationale rappelle son expertise historique, en tant qu’ancien comptoir mais surtout grâce à son travail quotidien dans le domaine de l’importation de véhicules et de médicaments. « Nous avons travaillé sur les questions douanières afin de réduire les temps d’attente », indique Xavier Desjobert, directeur général de CFAO Retail, filiale chargée de la grande distribution, qui ajoute : « CFAO maîtrise la chaîne logistique entre le monde et l’Afrique. » Le groupe assure que ses magasins de mode présenteront les collections les plus récentes.

Dans le domaine de l’alimentaire, CFAO a dû faire un effort supplémentaire. Afin de réduire au minimum les délais de livraison (mais aussi pour afficher une production ivoirienne), il a noué des relations avec des fournisseurs locaux : 170 contrats auraient été signés. « Carrefour a une forte expertise dans le domaine de la structuration de filières, ce qui passe par la mise en place de normes de qualité, de respect du froid, etc., affirme Xavier Desjobert. Nous ne nous contentons pas de dicter ces normes, nous faisons venir des spécialistes pour accompagner les fournisseurs. »

Au Kenya, Carrefour s’est attiré les foudres des fournisseurs locaux en voulant leur imposer des conditions financières jugées trop strictes par rapport aux pratiques habituelles dans le pays

L’hypermarché Carrefour annonce reposer à 70 % sur l’import et à 30 % sur la production locale. Une combinaison honorable pour un démarrage, mais avec davantage de dépendance aux importations que son concurrent direct Casino, géré en franchise par Mercure International et qui bénéficie de son ancienneté en Côte d’Ivoire. « Ce sera d’ailleurs l’une des vraies difficultés de Carrefour, car les acteurs de la grande distribution déjà actifs dans le pays travaillent ensemble en matière de sourcing et ils ne vont pas se laisser faire », assure un spécialiste du secteur. Au Kenya, Carrefour s’est attiré les foudres des fournisseurs locaux en voulant leur imposer des conditions financières jugées trop strictes par rapport aux pratiques habituelles dans le pays, beaucoup plus mûr que la Côte d’Ivoire en matière de grande distribution.

À Abidjan, un groupe agro-industriel joint par Jeune Afrique et fournisseur de Carrefour comme de ses concurrents explique n’avoir subi aucune pression de quelque côté que ce soit… Mais cela pourrait venir. Du coup, CFAO et Carrefour ont logiquement cherché à sécuriser leur approvisionnement local. Dans le domaine de la viande de bœuf et de la volaille, les associés ont ainsi aidé un entrepreneur local, Gédéon Logon, à construire un abattoir et à acheter un camion frigorifique. Dans le domaine des fruits et légumes, le groupe bénéficie à plein d’une initiative lancée par la Compagnie fruitière, qui a créé une marque (Oceana) pour la production locale de légumes issue de sa ferme, située dans le nord du pays, et celle des paysans alentour (lire encadré). L’entreprise française fournit selon nos informations l’intégralité du rayon fruits et légumes de Carrefour.

Projets

« Je ne veux pas seulement inaugurer un beau centre commercial, insiste Xavier Desjobert. Notre objectif est que dans cinq ans le centre soit toujours aussi beau, aussi fréquenté et que chaque visiteur y trouve toujours quelque chose à acheter. » Avec actuellement, selon les calculs de Sagaci Research, 55 m2 pour 1 000 foyers appartenant à la classe moyenne, la Côte d’Ivoire conserve un potentiel important en matière de surfaces de vente modernes, même si le Nigeria ou l’Algérie sont – sur le papier – encore plus prometteurs.

Pour les consommateurs abidjanais, le surcroît de concurrence face à un bloc quasi monopolistique – formé par Mercure International et Prosuma – a déjà eu du bon : ce dernier, qui gère de nombreuses surfaces alimentaires et plusieurs centres commerciaux, s’est activé. Situé à quelques pas de PlaYce, Cap Sud s’est agrandi l’année dernière et a vu s’ouvrir ces derniers mois deux enseignes phares : Go Sport et la Fnac. En octobre, il a inauguré l’enseigne de mode à petits prix Kiabi, concurrent direct de La Halle…

Concentrés sur le succès de Marcory, CFAO Retail et ses équipes continuent à travailler à leurs futures implantations. Avant de mettre un pied au Cameroun et au Nigeria – le plus gros morceau de son plan stratégique -, c’est toujours à Abidjan, mais plus au nord, que devrait avoir lieu la prochaine grande ouverture : un second centre commercial qui, selon nos informations, ouvrirait ses portes d’ici un an. CFAO refuse pour l’instant d’indiquer le lieu précis, mais des travaux seraient en cours sur la route de Bingerville, au nord-est de la capitale économique ivoirienne. Avec PlaYce Marcory, la dynamique est lancée. « Un jour, nous arriverons à une dizaine d’ouvertures par an », lâche Xavier Desjobert. Fiacre Asseke ne rêve que de cela : grandir avec les centres commerciaux de CFAO.

Une équipe made in Carrefour

CFAO a fixé la barre haut : réaliser 1,5 milliard d’euros de revenus dans le domaine de la grande distribution, soit environ 40 % de son chiffre d’affaires actuel (le reste venant de l’automobile et de la santé). Après avoir fait valider ce projet stratégique par son actionnaire japonais – d’abord un peu réticent – et signé avec Carrefour, le groupe a mis sur pied une véritable machine de guerre pour développer ses centres commerciaux et ses grandes surfaces alimentaires. « Il y a deux ans et demi, lorsque le projet a été annoncé, j’étais tout seul. Aujourd’hui, CFAO Retail compte 600 personnes », insiste Xavier Desjobert, directeur général de cette filiale chargée de la grande distribution.

Le groupe a notamment trouvé chez son partenaire Carrefour nombre de profils très expérimentés comme Jean-Paul Denoix, patron de CFAO Retail Côte d’Ivoire venu de Carrefour Indonésie, et Fabrice Le Boulenger, un ancien du numéro deux mondial de la distribution alimentaire en Argentine, en Thaïlande, au Japon ou encore au Qatar, devenu directeur de l’expansion chez CFAO Retail. C’est toujours chez Carrefour que Xavier Desjobert a recruté Virginie Patry, pour lui attribuer la charge hautement stratégique de la politique commerciale, du développement de l’offre et des achats pour les surfaces du groupe. Laurent Vigneron, le directeur des franchises du « Club des marques » – 15 enseignes (hors Carrefour) gérées par CFAO -, vient quant à lui des 3 Suisses. Il a mis en place à Paris une équipe qui centralise l’ensemble des relations avec ces enseignes, facilitant la mise en place des projets de développement dans huit pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale.

Africa CEO Forum © J.A.

Africa CEO Forum © J.A.

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