Reportage : un modèle nommé « Tanger Med »
Mis en service en 2007, ce complexe sert de modèle aux autorités pour leur stratégie portuaire. Nador et Kenitra, notamment, devraient profiter de son expérience. Reportage.
Transport maritime : un vent nouveau sur les côtes africaines
Focus sur le transport maritime en Afrique : de la percée d’armateurs européens sur la côte ouest-africaine à l’essoufflement des armateurs asiatiques dans la région, des secrets du succès époustouflant du port marocain Tanger Med aux ambitions renouvelées du Port de Dakar, au Sénégal.
Le ciel est dégagé, ce matin, sur le détroit du Gibraltar. De la terrasse panoramique où les responsables de l’Agence spéciale Tanger Méditerranée (TMSA) reçoivent les visiteurs, on distingue clairement les côtes espagnoles, à 14 km seulement, sur l’autre rive de la Méditerranée. Au large, un gros cargo avale les milles nautiques sur cette route maritime qu’empruntent chaque année quelque 100 000 navires. « Non, celui-là ne rentre pas chez nous, lance Mounir Mouradi, responsable d’exploitation du port. Généralement, nos jours de rush sont le jeudi et le vendredi. »
Mis en service en 2007, Tanger Med reçoit chaque semaine en moyenne 43 navires à conteneurs sur ses 1 600 mètres de quais. Un trafic qui lui permet d’être connecté à plus de 140 ports dans le monde (dont 37 en Afrique). De ce hub maritime devenu le quatrième en Méditerranée, les boîtes peuvent rallier Rotterdam en trois jours, Seattle en dix jours ou encore Shanghai en vingt jours. « Notre temps de transit est l’un des atouts qui nous ont permis de nous hisser au 55e rang des ports mondiaux », explique Rajae El Ayachi, responsable de l’activité conteneurs.
Même si la journée est relativement calme, les cavaliers sur roues et les grues ne chôment pas sur les deux quais à conteneurs dont l’exploitation a été confiée pour l’un au danois Maersk Line, pour l’autre à un groupement d’une dizaine d’armateurs dirigé par le français CMA CGM. Dans un ballet robotique parfaitement synchronisé, ils déchargent des milliers de boîtes de deux cargos arrivés la veille, pour les stocker sur les 80 hectares de terrain où des conteneurs s’entassent à perte de vue. Tanger Med tourne actuellement à plein régime : à fin 2014, il a atteint sa capacité maximale de 3 millions d’équivalents vingt pieds (EVP) par an, profitant de la croissance mondiale du transport maritime de marchandises.
Copie conforme
Une extension est d’ailleurs en cours de réalisation. À l’extrémité des 13 km de clôture qui encerclent le complexe portuaire, les engins s’activent sur le chantier du futur Tanger Med 2, qui devrait porter la capacité totale à 8,2 millions de conteneurs par an. De quoi permettre à Tanger Med d’aborder le top 20 mondial. C’est que le Maroc est bel et bien décidé à faire valoir sa position géographique exceptionnelle, à la croisée de la Méditerranée et de l’Atlantique, pour s’imposer comme un hub incontournable. Une stratégie portuaire à l’horizon 2030 a été arrêtée par le gouvernement, qui prévoit des investissements de 70 milliards de dirhams (6,4 milliards d’euros) articulés autour de six pôles répartis sur les 3 500 km de côtes du royaume.
Celui de Nador West Med devrait être une copie conforme de Tanger Med. Lui aussi sera doté de quais à conteneurs, pétrolier et vrac, mais aussi d’une gare maritime pour les passagers et le transport roulier. Une fois mis en service, il est question d’y décharger chaque année jusqu’à 5 millions de conteneurs, 25 millions de tonnes d’hydrocarbures et 3 millions de t de marchandises diverses.
Mais au-delà de son infra-structure, quasi identique à celle de Tanger Med, son mode de gouvernance a également été repris de TMSA. Nador West Med est aussi une société publique, adossée à une agence spéciale qui regroupe différents départements ministériels. TMSA est d’ailleurs l’un des actionnaires de cette nouvelle société, aux côtés de l’État et du Fonds Hassan II pour le développement économique et social. « Nous avons capitalisé sur notre expérience à Tanger pour la reproduire dans ce nouveau port. Et les choses sont allées plus vite, que ce soit en matière d’acquisition de foncier, d’études de faisabilité ou d’élaboration du cahier des charges », répètent en chœur les responsables de Tanger Med.
Parmi les hommes et femmes qui font tourner ce port modèle, Tarik Dourasse, directeur pilotage. Sous ses ordres, seize commandants aguerris se chargent quotidiennement de conduire les cargos qui rentrent ou sortent du port. Son équipe a été fortement impliquée dans la conception de Nador West Med.
« Du point de vue de la navigation, c’est à Tanger Med que nous avons conçu le port de Nador. Et il est fort probable que les futurs pilotes de Nador soient formés ici », explique celui qui gère aussi le centre de formation de Tanger Med, où un simulateur à 2 millions d’euros a été installé en 2011 pour assurer les entraînements des pilotes. « Tanger Med nous a permis de nous hisser aux normes internationales, affirme Tarik Dourasse. Nos premiers pilotes ont été formés dans les plus grands ports du monde, et aujourd’hui nous transférons ce savoir-faire à nos collègues marocains mais aussi à d’autres capitaines qui viennent d’Afrique. »
Zones franches
Autre grand port qui devrait bénéficier de l’expertise développée à Tanger Med : Kenitra Atlantique. Annoncée en juillet, cette nouvelle infrastructure, d’un coût de 8 milliards de dirhams, s’articule autour de l’usine Peugeot-Citroën prévue dans la région. Et là encore, c’est le modèle de Tanger, avec son usine Renault, qui a inspiré la future plateforme.
À Tanger Med justement, sur l’un des quais, des centaines de voitures Lodgy ou Sandero (marque Dacia) attendent d’être embarquées sur un navire voiturier. Ces véhicules sortent tous des chaînes de montage situées à une vingtaine de kilomètres, dans la zone franche. L’arrivée de l’usine Renault a donné un coup d’accélérateur à l’installation des différents sous-traitants automobiles qui travaillent pour le constructeur français et livrent, via Tanger Med, leurs produits aux unités industrielles implantées en Europe. Aujourd’hui, les zones franches adossées au complexe portuaire comptent pas moins de 650 entreprises. À Nador comme à Kenitra, les pouvoirs publics aimeraient réitérer la réussite.
Cap sur 2030
Cinq ports à construire, cinq autres à élargir et quatre installations portuaires à moderniser. Pour la nouvelle stratégie du royaume à l’horizon 2030, pas moins de 70 milliards de dirhams (6,4 milliards d’euros) d’investissement sont prévus, avec un seuil minimum de 3 milliards par an issus du budget de l’État. Les agences portuaires et les opérateurs privés seront aussi sollicités.
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