La France en 2016
Ici même, et dans La Revue tout récemment, j’ai affirmé que la France ne me paraissait pas aller dans la bonne direction et que ses dirigeants actuels avaient fait de mauvais choix.
Aux yeux des Africains, tout au moins ceux des anciennes générations, le pays de Charles de Gaulle et de François Mitterrand revêt encore une certaine importance. Ils se désolent donc de le voir affaibli et faisant fausse route.
La France de 2016 a-t-elle une chance d’être plus forte ?
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Beaucoup savent et ont déjà noté que la participation de ce grand et riche pays à l’aide publique au développement stagne ou régresse depuis plusieurs années, loin des engagements pris et jamais tenus : l’Agence française de développement (AFD) a moins de moyens financiers et humains qu’elle ne devrait et l’on ne prévoit pas d’amélioration.
La Francophonie ? La France en tire d’immenses avantages et spécule sur le nombre grandissant d’Africains francophones. Mais sa contribution au financement de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) ne cesse de reculer, tandis que progresse celle du Canada.
Verra-t-on ce dernier pays consacrer à la Francophonie plus de dollars que la France n’y investit d’euros ?
S’étant progressivement retirée d’Afrique (sur « décision stratégique » prise en 1993 par le Premier ministre de l’époque, Édouard Balladur, et entérinée ensuite par Lionel Jospin), elle n’a plus les moyens humains et financiers d’y retrouver la place qui fut naguère la sienne.
Sauf, peut-être, sur le plan militaire.
Cela rappelé, pour avoir une idée précise et juste de la situation actuelle de la France, il convient d’interroger ceux qui sont en mesure d’en parler avec autorité et compétence.
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Jean Tirole, 62 ans, est devenu, en octobre 2014, le troisième Français à recevoir le prix Nobel d’économie. Il est professeur à Toulouse, continue de fuir les mondanités, mais s’exprime sur la situation économique de son pays.
À la question « Où va la France ? », le plus qualifié des Français répond qu’il est inquiet :
« Trois coups durs attendent l’économie française. Primo, la dette, qui atteint déjà 96 % du PIB, un record ! Combien de temps pourrons-nous continuer à dépenser autant, alors que le chômage poursuit sa progression ? Deuxièmement, l’arrivée des migrants. En tant qu’économiste, je pense que l’immigration est une bonne chose, à une petite réserve près : si vous n’avez pas de travail pour eux, vous obtiendrez des gens qui seront très malheureux d’être en France. Troisièmement, enfin, la destruction d’un grand nombre d’emplois par l’économie numérique. »
Et Tirole d’ajouter, ne plaisantant qu’à moitié : « Peut-être que mon poste n’existera plus. Peut-être que tout l’enseignement se fera depuis Harvard. »
« Je pense que nous avons encore des atouts, ajoute-t-il. Nous disposons toujours d’un formidable capital humain, à condition de retenir les gens. Notre service public est efficace, même si les effectifs sont bien trop importants. J’aime beaucoup nos systèmes de protection sociale et de santé, tous deux performants, et l’accès à l’éducation est très large.
La crise économique va conduire la France à réformer son marché de l’emploi, comme ce fut le cas en Allemagne, en Suède, au Canada, et même récemment en Italie. »
Et si le Front national et sa présidente, Marine Le Pen, remportaient l’élection présidentielle de 2017, perdrait-il tout espoir ? « Cela nuirait à l’image du pays et conduirait à sa ruine économique », répond Tirole, avant de préciser : « La sortie de l’euro, la nationalisation des entreprises, l’injection de plus d’argent dans des emplois publics, l’arrêt de l’immigration et des importations creuseraient le déficit public et nous perdrions la discipline budgétaire liée à l’euro. »
Jean Tirole analyse la situation actuelle et se projette dans le proche avenir. Il aurait été plus pessimiste encore si son regard s’était porté sur le passé.
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Le graphique ci-contre nous permet de le faire : il décrit la croissance économique par habitant de seize pays sur les vingt-cinq dernières années (1990-2015).
Deux pays, l’un asiatique, la Corée du Sud, l’autre européen, l’Irlande, se détachent, bénéficiant d’une croissance annuelle par habitant supérieure à 3 % en moyenne. Ils sont talonnés par l’Australie.
La France ? Elle est en queue de peloton, juste devant la Grèce, dont on connaît les déboires, et l’Italie, qui a stagné à cause de Berlusconi.
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L’état actuel de l’économie française qui suscite l’inquiétude de Jean Tirole s’explique donc par une langueur qui date de la fin du XXe siècle.
Le mal dont elle souffre n’est pas conjoncturel mais structurel.
La décision prise, fin 2015, par François Hollande et Manuel Valls de renoncer au pacte de stabilité, qu’ils avaient eux-mêmes mis en place deux années auparavant et dont ils ont souligné l’impérieuse nécessité, est bien cette « fuite devant l’effort » que j’ai relevée ici même.
J’ai observé, la semaine dernière, qu’elle annonçait un retour aux « démons et délices » d’un déséquilibre budgétaire aggravé par un endettement encore plus lourd et par un maintien du chômage à son niveau insupportable de 2015.
Au lieu de profiter des baisses du prix de l’énergie et du cours de l’euro pour sortir l’économie française de ses déséquilibres, François Hollande et Manuel Valls vont les utiliser, en 2016 et 2017, pour recruter encore plus de fonctionnaires.
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