Londres : Rivington Place, l’art et l’engagement

Siège de deux associations caritatives, Iniva et Autograph ABP, ce lieu de rencontres et d’expositions explore les notions d’identité, de représentation et de droits de l’homme dans les arts visuels.

Black and White : Two, série « Syrcas », de Maud Sulter (1993). © COURTESY OF THE MAUD SULTER ESTATE

Black and White : Two, série « Syrcas », de Maud Sulter (1993). © COURTESY OF THE MAUD SULTER ESTATE

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 5 janvier 2016 Lecture : 4 minutes.

Image d’illustration © Kalpesh LathIgra pour J.A.
Issu du dossier

Londres, l’Africaine

Il y a du wax dans le smog ! Depuis quelques années, la capitale britannique vibre aux couleurs de l’Afrique. Soutenus par des institutions publiques et des initiatives privées, les créateurs de tout poil y trouvent matière à s’exprimer. Visite à travers une ville plus vibrionnante que jamais.

Sommaire

À l ‘est de Londres, dans le quartier de Shoreditch s’élève Rivington Place, une ruche anthracite dont la façade se compose de rectangles enchâssés avec une élégante irrégularité. Ouvert au public depuis octobre 2007, ce bâtiment est l’œuvre de l’architecte ghanéen David Adjaye, l’une des figures les plus connues et les plus médiatisées de la scène artistique londonienne. Les 1 500 m2 du lieu abritent une galerie, des espaces éducatifs, un café, des salles de réunion et une bibliothèque, la Stuart Hall Library du nom du sociologue d’origine jamaïcaine, figure centrale des Cultural Studies britanniques, décédé en 2014. À l’époque de sa conception, le centre représentait un investissement de 8 millions de livres, essentiellement financé sur fonds publics, une première depuis la construction de la Hayward Gallery (Southbank Centre) quarante ans auparavant.

Qu’Adjaye, symbole d’une diversité enrichissante, ait été choisi pour le dessiner ne pouvait surprendre : il s’agissait d’imaginer les locaux d’un centre accueillant deux associations caritatives aux objectifs similaires, Iniva (Institute of International Visual Art, www.iniva.org) et Autograph ABP (autograph-abp.co.uk). La première, créée en 1994, « explore la question raciale et les identités globales à travers les arts visuels » et cherche « à diversifier les points de vue et à questionner le statu quo en travaillant de manière croisée avec des artistes, des commissaires, des producteurs culturels, des écrivains et le public ». La seconde, créée en 1988, entend « défendre les pratiques photographiques historiquement marginalisées » et se veut active « internationalement parlant dans le domaine des identités culturelles, des questions raciales, de la représentation et des droits de l’homme ». Son centre d’archives et de recherches a ainsi été établi pour « combler le fossé entre la représentation visuelle de l’histoire culturelle britannique et ses diverses communautés ». En résumé, Rivington Place est d’une certaine manière le pendant contemporain des Black Cultural Archives (lire page 156) de Brixton.

la suite après cette publicité

Engagement

Si les deux associations ne sont pas seulement actives dans leurs locaux de Rivington Place, les expositions qu’elles y ont organisées témoignent de la haute qualité de leur engagement. Entre septembre et novembre 2014, par exemple, « Black Chronicles II » – qui pour le coup aurait pu être présentée à Brixton ! – dévoilait une stupéfiante collection de plus de 200 images d’Africains passés par le Royaume-Uni, pour la plupart jamais exposées et toutes antérieures à 1938. Exceptionnelles, 35 d’entre elles étaient des portraits des membres de The African Choir, un groupe musical qui se produisit en Grande-Bretagne entre 1891 et 1893. Une façon, pour Autograph ABP, d’écrire le « chapitre manquant » de l’histoire britannique… sans oublier de le lier au présent. « Black Chronicles II » était présenté avec une œuvre de l’incontournable artiste nigérian Yinka Shonibare MBE (Member of the Order of the British Empire), une image d’Africain en tenue de juge anglais intitulée Effnik.

Plus récemment, Rivington Place accueillait simultanément « Rock Against Racism », une collection d’images signées Syd Shelton sur l’engagement antiraciste d’une partie du monde musical à la fin des années 1970, et le travail photographique de l’Algérien Bruno Boudjelal sur l’essayiste martiniquais Frantz Fanon, longtemps actif au sein de l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville, en Algérie.

En 2016, la programmation de Rivington Place (www.rivingtonplace.org) – essentiellement due à Autograph ABP – promet de nouveaux voyages à la découverte d’identités historiques complexes et toujours mouvantes. Du 15 janvier au 2 avril, « A Serene Expectation of Light » rassemblera deux séries de 20 photos (« The Eternal Now » et « Laróyè ») du plasticien brésilien Mario Cravo Neto (1947-2009). Adepte du candomblé, religion afro-brésilienne aux racines yorubas, cet ancien sculpteur, passé à la photographie après un accident de voiture, était fasciné par l’héritage culturel de la population de Bahia, premier État colonisé par les Portugais et point d’entrée de nombreux esclaves africains entre le XVIe et le XIXe siècle. Ses images en noir et blanc, jouant sur le clair-obscur et la dimension sculpturale des corps humains, suscitent toujours un sentiment d’étrange puissance et semblent vouloir explorer la dimension physique du sacré.

la suite après cette publicité

Parallèlement, Autograph ABP présentera aussi 16 photomontages originaux (« Syrcas ») de l’artiste d’origine ghanéo-écossaise Maud Sulter (1960-2008). Troublantes, elles aussi, ses images juxtaposent des paysages alpins, des objets d’art africains et des œuvres canoniques tirées de l’histoire de l’art européen. Intéressée par la faible représentation de la femme noire dans cette dernière, Sulter se permet aussi de rappeler le lourd tribut payé par les Noirs européens à l’idéologie nazie. L’exposition s’accompagne d’un long poème écrit par Sulter, Blood Money, et inspiré par les photographies de l’Allemand August Sander sur les travailleurs du cirque (« Circus Workers », 1926-1932). « L’argent du sang » raconte la terrible histoire d’une jeune femme africaine prise dans l’horreur de la guerre, affrontant discriminations et persécutions. Pour Sulter, il s’agissait, en associant images et texte, de présenter une sorte de scrapbook illustré, en référence directe au Journal d’Anne Frank. Pas de doute, Rivington Place est bien l’endroit où même ceux qui ne veulent pas voir devront ouvrir les yeux.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image