Laura Slimani, la force intranquille
Antilibérale dans un parti de plus en plus libéral. Européiste dans une union affaiblie. Antiraciste alors que les idées de l’extrême droite progressent… La présidente des Jeunes Socialistes européens reste ferme dans ses convictions.
C ‘ est un modeste bureau sous les toits, au siège parisien du Parti socialiste (PS). Sur les murs blancs, quelques punaises témoignent des affiches de campagne qui l’ont décoré pendant deux ans. Le jour de notre entretien, Laura Slimani y fait l’un de ses derniers passages. Elle s’apprête alors à terminer son mandat à la présidence du Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS) et à passer le flambeau à Benjamin Lucas (élu en décembre 2015). Depuis, elle se consacre entièrement aux Jeunes Socialistes européens (YES), qu’elle préside depuis avril 2015, et à sa ville natale de Rouen (nord-ouest de la France), où elle est élue municipale.
Bien sûr, elle aurait pu quitter la tête du MJS sur une note plus positive. Lors des dernières élections, le PS a perdu sept des douze régions métropolitaines, et jamais le Front national n’avait séduit autant d’électeurs.
Laura Slimani s’est battue autant qu’elle a pu. En Normandie, où elle était présente sur la liste socialiste, la victoire a échappé au PS de 0,3 % des voix – moins de deux par commune. Frustrant. Mais l’abattement, ce n’est pas son genre. Depuis que l’auteur de ces lignes l’a rencontrée, dans une université britannique, en 2008, la jeune femme n’a jamais semblé découragée. « Après les défaites, elle est toujours la première à regonfler tout le monde, avec son énergie et ses projets », témoigne Jessica Gérondal, trésorière du MJS.
La déconvenue des régionales n’est ni une première ni une surprise pour elle. Son élection à la tête du MJS, en 2013, « principalement due à sa force de travail », selon une camarade, a coïncidé avec les grands renoncements de la gauche au pouvoir : le droit de vote des étrangers aux élections locales, la remise en cause du pacte budgétaire européen, la contestation de l’austérité… Depuis, le PS a enchaîné les défaites. « L’électorat de gauche est déçu de notre incapacité à agir », analyse Laura Slimani. Elle qui a adhéré au MJS en 2010 par opposition à Nicolas Sarkozy est également opposée à la déchéance de nationalité pour les binationaux coupables de terrorisme, voulue par son gouvernement – « une mesure purement symbolique qui crée une inégalité entre citoyens français ».
Mais elle a aussi condamné le rôle de la France au Rwanda en 1994. En avril 2014, lorsque la France annule sa participation aux vingtièmes commémorations du génocide – à la suite des accusations du président Paul Kagamé dans Jeune Afrique -, le MJS dénonce « une erreur indigne de la France ». Laura Slimani se rend alors au Rwanda et signe une tribune réclamant « la vérité sur le génocide des Tutsis » dans Libération. « Je me suis heurtée à des cadres socialistes qui ne connaissent pas cette histoire et ne veulent pas s’y intéresser, déplore-t-elle. Certains conseillers de l’époque de François Mitterrand restent influents… »
C’est par le féminisme que je suis venue à la politique, assure Laura Slimani
À 26 ans, il faut un certain aplomb pour tenir tête aux pontes de sa famille politique. Elle n’en manque pas. Tout comme ses parents qui ont dû, avant elle, affronter leur famille. Tous deux professeurs, laïques, de gauche, ils étaient issus de milieux très différents. Catholique traditionnel côté maternel. Musulman conservateur côté paternel. Le grand-père normand était médecin ; le grand-père immigré algérien, plombier chez Saint-Gobain. La petite famille de ce dernier vit, un temps, dans un de ces bidonvilles qui enserrent encore les grandes villes françaises dans les années 1960. Mais les deux grand-mères ont en commun une condition : celle de mère au foyer d’une famille très nombreuse. « C’est par le féminisme que je suis venue à la politique », assure Laura Slimani.
L’union de ses parents ne se fait pas sans heurts. La famille de son père boycotte le mariage de ce fils en rupture qui ne s’est plus rendu en Algérie depuis ses 14 ans. « La conséquence, c’est que je ne parle pas l’arabe, explique la jeune femme. C’est un regret. » Mais cela n’empêche pas Laura de se tourner vers d’autres horizons. Après une scolarité à Rouen, elle réussit, en 2008, le concours de l’Institut d’études politiques de Bordeaux et débute un cursus en alternance avec l’université de Cardiff, au Royaume-Uni.
À 18 ans à peine, la voilà jetée dans le tourbillon festif d’une année Erasmus. Mais à la différence de ses congénères elle travaille vraiment et tisse des liens durables. Elle fonde ainsi, en 2010, la première section galloise des Jeunes Socialistes européens avec ses colocataires, une Britannique et une Allemande. La première est devenue assistante parlementaire d’un élu travailliste à Londres. La seconde travaille au sein de l’Union pour la Méditerranée à Barcelone.
Son appartenance spontanée à l’Europe n’empêche pas Laura Slimani de garder un œil critique. Après avoir vu la contrainte qu’exerçaient les règles de l’Union sur la gauche au pouvoir, elle va se consacrer à y défendre son point de vue. « C’est à ce niveau que l’on peut véritablement agir », assure-t-elle. Toute sa détermination ne sera pas de trop.
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