Photographie : Bruno Barbey, le monde en mémoire
Parcourant le globe, revenant inlassablement sur les lieux où il est passé, le photographe de l’agence Magnum Bruno Barbey est devenu l’un des témoins privilégiés d’un demi-siècle d’Histoire.
Des mouvements sociaux de Mai 68 à la « révolution des parapluies » en 2014 à Hong Kong, en passant par les camps de réfugiés palestiniens de Jordanie, les funérailles de Nasser au Caire ou encore la guerre du Vietnam, en cinquante ans de carrière, le photographe Bruno Barbey est devenu l’un des témoins privilégiés de notre époque. Jusqu’au 17 janvier, la Maison européenne de la photographie, à Paris, consacre une rétrospective remarquable à celui qui a rejoint l’agence Magnum en 1966 à seulement 25 ans. Au fil des 150 tirages exposés, on traverse ébahi un demi-siècle d’Histoire.
Mais l’une des clés de compréhension du travail de Bruno Barbey se trouve certainement dans cet aveu qu’il répète inlassablement : « Je refuse de me poser comme un photojournaliste. » Si son inspiration lui vient de la figure tutélaire d’Antoine de Saint-Exupéry, pionnier de l’aviation, sa méthodologie implacable pourrait s’apparenter à celle d’un tisseur. Un tisseur d’histoires qui consciencieusement, point par point, façonne son métier, faisant œuvre de mémoire : explorer et revenir inlassablement là où il est passé.
« C’est l’idée de cette exposition, « Passages », explique-t-il. Il y a des régions du globe où je suis allé tous les dix ans. J’aime revenir sur les lieux où j’étais autrefois, voir comment ça a changé. Je choisis souvent des pays qui vont vers la modernité, mais qui en même temps sont soucieux de leur héritage culturel. C’est le cas du Maroc, par exemple, où les traditions sont très fortes, pas seulement dans l’islam, mais dans l’artisanat, l’architecture. C’est un pays qui a toujours attiré les peintres, les cinéastes. Evidemment on pense à Delacroix qui s’est baladé à dos de mulet jusqu’à Meknès. Il faisait des croquis et des aquarelles merveilleuses. Il y a eu ensuite Matis qui a fait un séjour à Tanger en 1906. Il a dit qu’à la suite de ce voyage il a dû changer sa manière de voir les couleurs, de changer donc sa palette de couleurs ».
Fasciné par le cinéma néoréaliste italien qu’il découvre avec ses amis Éric Rohmer et Barbet Schroeder, rencontrés pendant ses années de lycée à Henri-IV, à Paris, il commence en 1962 son premier travail au long cours sur les Italiens avec une volonté de capter « l’esprit du lieu », naviguant dans toutes les couches de la société, dans un pays encore très clivé entre le Nord et le Sud. Une sensibilité qui le conduira sa vie durant à photographier les acteurs des grands conflits mondiaux, avec un humanisme dépouillé de tout sensationnalisme.
C’est pour Jeune Afrique qu’il partira notamment en Jordanie photographier les réfugiés palestiniens : « Mes premiers voyages là-bas, je les ai faits avec l’une de leurs grandes collaboratrices, Ania Francos, qui était parmi les premiers écrivains à s’intéresser aux problèmes des Palestiniens. J’y suis allé avec elle en 1969. Puis quelques années plus tard nous sommes partis de nouveau ensemble. Cette fois-ci à Alger, toujours pour Jeune Afrique, photographier Arafat. » Bruno Barbey parcourt le continent, du Nigeria, lors du Festival mondial des arts nègres en 1977 à Lagos, au Gabon, en passant par le Burkina Faso.
Adepte de la couleur, depuis 1966 et son séjour brésilien pour une commande du magazine Vogue, Bruno Barbey saisit un monde en pleine mutation, au plus près de ceux qui l’animent. Au sujet de son pays natal, auquel il a consacré une belle partie du catalogue de l’exposition (éd. La Martinière), il confie : « Le Maroc, ça a vraiment été des années de patience. C’est un pays de textures, de lumière. Beaucoup de photographes y vont, mais ils n’ont pas de vision, leur travail reste superficiel. Si tu ne connais pas la culture, les usages, tu passes à côté de beaucoup de choses. »
>> « Passages » de Bruno Barbey jusqu’au 17 janvier à la Maison européenne de la photographie, 82 Rue François Miron, 7503 Paris.
>> Le catalogue de l’exposition présente le travail de Bruno Barbey avec de nombreuses photos et une excellente présentation de l’historienne égyptienne Carole Naggar. Passages, éditions de La Martinière, 384 pages, 79 euros.
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