Déchéance de nationalité : Hollande, l’apprenti sorcier
Pour piéger la droite et favoriser sa réélection en 2017, François Hollande reprend à son compte une vieille revendication du Front national : la déchéance de nationalité pour les binationaux coupables de terrorisme. C’est ce qui s’appelle jouer avec le feu.
C ‘était il y a à peine un mois. Après le séisme des élections régionales, ce fut une avalanche de promesses, la main sur le cœur. Il était temps, disait-on, de renoncer aux postures et de faire de la politique autrement. Si possible, dans le consensus car il y avait urgence : plus de la moitié des Français venaient de s’abstenir, et le Front national, désormais premier parti de France, menaçait d’arriver tôt ou tard au pouvoir.
On en est loin. Le débat public est de nouveau accaparé par un débat hystérique, dont l’intérêt pratique est pour le moins limité : la déchéance de nationalité pour les binationaux coupables de terrorisme. Depuis que, le 16 novembre, trois jours après les effroyables attentats de Paris, François Hollande a lancé cette idée devant une nation en état de choc et un Parlement réuni en congrès, la polémique ne cesse d’enfler. De quoi s’agit-il ?
Même le Premier ministre, qui en est un chaud partisan, en convient : la mesure, d’abord proposée par le FN avant d’être reprise par Les Républicains, est purement symbolique. Elle ne concernerait que peu de monde et ne serait sûrement pas de nature à dissuader d’éventuels jihadistes de passer à l’action. Elle consiste à priver les binationaux nés français de leur nationalité dès lors qu’ils sont reconnus coupables d’actes terroristes. Dans un tel cas, le gouvernement a déjà la possibilité de déchoir par décret de leur nationalité des individus naturalisés, ce qu’il a d’ailleurs fait à huit reprises depuis 2000. Il souhaite désormais étendre cette possibilité à tous les binationaux.
Saisi, le Conseil d’État l’a clairement mis en garde, le 17 décembre : une telle réforme risque de contrevenir à la Constitution. Est-ce ce qui a incité Christiane Taubira, le 22 décembre, en Algérie, à annoncer imprudemment l’abandon du projet ? Dès le lendemain, la ministre de la Justice a en tout cas été contrainte de manger son chapeau. À la surprise générale, Manuel Valls, le Premier ministre, a en effet annoncé que le chef de l’État, pour parvenir à ses fins, envisageait d’amender la Constitution.
La stratégie de la « triangulation »
Du coup, la droite se retrouve prise au piège – ce qui était sans doute l’un des objectifs présidentiels – et ses dirigeants cherchent fébrilement le moyen d’en sortir. Alain Juppé, qui entend incarner une droite « modérée », se contredit quelque peu. Dans le Journal du dimanche du 2 janvier, il se refuse à soutenir le « coup politique » de Hollande, alors que, dans le livre (Pour un État fort) qu’il fera paraître quatre jours plus tard, il se déclare favorable à la multiplication des déchéances de nationalité… Son principal rival à droite, l’ancien président Nicolas Sarkozy, est depuis longtemps un partisan déclaré de cette mesure. Il peut donc difficilement s’y opposer aujourd’hui. Mais il entend conditionner le vote des députés républicains à l’adoption de nouvelles mesures sécuritaires, plus draconiennes et liberticides. Bref, entre Hollande et l’extrême droite, l’espace se réduit, et la droite est menacée d’asphyxie.
Dans le jargon politicien, ce type de manœuvre cynique porte un nom : la « triangulation ». L’opération consiste à reprendre à l’adversaire l’une de ses propositions afin de le déstabiliser. Ce qui est nouveau pour un gouvernement de gauche, c’est que Hollande n’hésite pas à reprendre à son compte une proposition empruntée à l’extrême droite. Et qu’il est prêt pour cela à retoucher la loi fondamentale !
Certains socialistes souhaitent substituer à la déchéance de nationalité une « indignité nationale » applicable à tous
Conséquence logique : c’est dans son propre camp que la contestation est le plus vigoureuse. La majorité des socialistes estime que cette réforme aboutirait à la création de deux catégories de Français de naissance : ceux qui n’ont que la nationalité française et ne risquent donc pas de la perdre, quelque atrocité qu’ils puissent commettre ; et les autres, quelque 3,3 millions de personnes dont la loyauté envers la France est ainsi mise en doute. Et qu’est-ce qui garantit que, une fois gravée dans le marbre constitutionnel, la déchéance des binationaux restera cantonnée aux cas de terrorisme ? Le texte proposé par l’exécutif évoque des « crimes constituant une atteinte grave à la vie de la nation ». Mais c’est le Parlement qui devra définir cette notion. Or, dans un pays où le FN est le premier parti, une possible extension de son acception n’a rien d’une vue de l’esprit. Numéro deux de ce parti, Florian Filippot s’est d’ailleurs réjoui de la proposition hollandaise et a réclamé son application à tous les crimes de sang.
Pour sortir de l’ornière, certains socialistes souhaitent substituer à la déchéance de nationalité une « indignité nationale » applicable à tous. Le sanctionné conserverait sa nationalité, mais perdrait une partie de ses droits. D’autres préconisent l’extension de cette mesure à tous les Français coupables de terrorisme. La « déchéance pour tous », en somme ! Manuel Valls s’y est déclaré hostile.
Sur un plan strictement juridique, l’opération paraît hasardeuse. La Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) reconnaît en effet le « droit à la nationalité ». Et plusieurs conventions internationales interdisent la création d’apatrides. La France les a signées mais pas ratifiées, précisément pour se réserver la possibilité de légiférer sur la question. Faut-il pour autant enfreindre ce principe et prendre le risque d’une condamnation internationale pour une mesure dont la portée est essentiellement symbolique ? Manifestement préparée dans la précipitation, la proposition soulève d’ailleurs de nombreuses questions. Quelle est l’utilité de retirer sa nationalité à un condamné à la perpétuité ? Que faire d’apatrides qui, par définition, ne pourront être expulsés ? Quel pays acceptera d’accueillir un terroriste notoire ?
Une mesure qui divise la gauche
Hollande n’a pas tranché. Mais il laisse dire à ses lieutenants que la « déchéance pour tous » est « un élément du débat ». Comment croire cependant que, après s’être engagé dans cette voie de manière aussi spectaculaire, il puisse faire machine arrière ?
In fine, députés et sénateurs socialistes auront bien du mal à s’opposer à la volonté présidentielle. Pour faire adopter une réforme constitutionnelle, il faut recueillir trois cinquièmes des voix au Parlement. En cas d’échec, les contestataires risquent d’être accusés d’ouvrir une crise politique dans une situation hautement périlleuse pour le pays… Quant aux écologistes, aux communistes et aux membres du Front de gauche – tous indignés par sa proposition -, Hollande n’en fait à l’évidence pas grand cas. À l’issue des régionales, la gauche de la gauche se retrouve encore plus affaiblie que le PS. Et le chef de l’État ne doute pas que le spectre du FN finira tôt ou tard par la faire rentrer dans le rang.
Les partisans de la réforme font valoir que, selon certains sondages, les Français y sont favorables à 85 % – sans peut-être avoir bien mesuré toutes ses implications pratiques. Ce que révèle cette polémique, c’est donc avant tout la spectaculaire droitisation de la société. Et pas seulement depuis les attentats du 13 novembre. Avec un Front national aussi puissant et des partis de gouvernement qui se bousculent pour reprendre ses propositions, il est permis de se poser la question : la France est-elle encore la France ?
EN TOUTES LETTRES
Si le projet d’amendement est adopté, l’alinéa 3 de l’article 34 de la Constitution serait à l’avenir rédigé en ces termes : « La loi fixe les règles concernant la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la nation »
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