Tunisie : cinq ans après la révolution, tout reste à faire

Une économie paralysée, une classe politique dépassée, une jeunesse déboussolée… L’espoir suscité par la chute de Ben Ali en 2011 a laissé place à une profonde désillusion. Pourtant, la flamme de la révolution n’est pas près de s’éteindre.

En mars 2011, dans une rue de Sfax. Depuis, et malgré le chemin parcouru, l’heure n’est plus au romantisme. Cible des critiques : les politiciens. © EMILIO MORENATTI/AP/SIPA

En mars 2011, dans une rue de Sfax. Depuis, et malgré le chemin parcouru, l’heure n’est plus au romantisme. Cible des critiques : les politiciens. © EMILIO MORENATTI/AP/SIPA

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Publié le 18 janvier 2016 Lecture : 4 minutes.

En mars 2011, dans une rue de Sfax. Depuis, et malgré le chemin parcouru, l’heure n’est plus au romantisme. Cible des critiques : les politiciens. © EMILIO MORENATTI/AP/SIPA
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Tunisie : la révolution, cinq ans après

Une économie paralysée, une classe politique dépassée, une jeunesse déboussolée… L’espoir suscité par la chute de Ben Ali en 2011 a laissé place à une profonde désillusion. Pourtant, la flamme de la révolution n’est pas près de s’éteindre.

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«Je suis convaincu que la Tunisie va s’en tirer et qu’elle ira de l’avant, sur la voie de la consolidation de la démocratie. » Le chef de l’État, Béji Caïd Essebsi (BCE), se veut résolument optimiste. Il est bien le seul : cinq ans après la « révolution » – une révolte, à vrai dire – et la chute de Zine el-Abidine Ben Ali, le pays semble en proie à une profonde désillusion. Malgré le chemin parcouru, les nombreux obstacles surmontés et les affres rencontrées par les autres nations secouées par le Printemps arabe (Libye, Égypte, Syrie, Yémen…), qui obligent à relativiser le désenchantement tunisien, les héros sont bel et bien fatigués. Épuisés même…

Bien sûr, le lustre écoulé ne s’est pas nourri que d’échecs, loin s’en faut. Le pays a vécu un tel bouleversement de paradigmes ! Les premières élections démocratiques de l’histoire du pays, en 2011 puis en 2014, l’adoption de la Constitution la plus moderne du monde arabe ; une résilience certaine dans un environnement rendu particulièrement hostile par le chaos libyen ; le développement, quand les crises politiques se sont succédé, d’une vraie culture du compromis et du dialogue ; une transition, malgré les nombreux couacs qui menacèrent le fragile équilibre d’un petit pays lancé vers l’inconnu, finalement réussie ; la « découverte » d’une société civile dynamique, talentueuse et vigilante… Autant de motifs de satisfaction qui incarnent la face vertueuse de la révolution.

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Aujourd’hui, cependant, l’heure n’est plus au romantisme ni aux célébrations de l’espoir suscité par les Tunisiens à l’aube de l’année 2011. Gouvernement décrié pour son immobilisme ou son impréparation, parti au pouvoir en pleine implosion, opposition qui ne joue pas son rôle ou qui se borne à pousser des cris d’orfraie, menace terroriste grandissante, économie paralysée et croissance zéro, incurie d’une classe politique obnubilée par ses ego, les postes à arracher et les prébendes qui vont avec, élite aux abonnés absents, extrémismes de tous bords qui se développent, absence de perspectives, jeunesse déboussolée et orpheline : la mécanique nationale est grippée et les Tunisiens, habitués depuis l’indépendance à être guidés par des zaïms autoritaires qui s’occupaient de tout, ont le sentiment, chaque jour plus prégnant, d’être abandonnés par leurs dirigeants ou, pis, que ces derniers ont atteint depuis longtemps leur seuil de Peter…

Les politiques, les principaux fautifs

Le cœur du problème est, à l’évidence, essentiellement politique. Et, pour être plus précis, parlons du personnel politique, tous partis confondus. Si personne ne s’attendait à l’émergence d’une génération spontanée et talentueuse dans un pays sans véritable culture en la matière autre que celle décrétée par ses deux seuls présidents, Habib Bourguiba puis Ben Ali, force est de reconnaître le niveau médiocre de ceux qui, depuis cinq ans, ont été amenés à exercer des responsabilités et de ceux qui y aspirent. L’absence de profondes et audacieuses réformes dont la Tunisie a le plus grand besoin s’explique ainsi moins par le manque de volonté ou de courage que par l’absence de véritables réformateurs tout court.

Avec ses 66 ans, le Premier ministre, Habib Essid, passerait presque pour un petit jeune

Pas de vision globale, pas d’idées novatrices, pas de projets pour le pays, pas de débat de fond. En lieu et place, la sempiternelle politique politicienne, les joutes verbales d’un niveau affligeant et le culte du « il n’y a qu’à, il faut qu’on »… Autre problème, le profond décalage entre les hommes ou les femmes politiques du pays et leurs concitoyens et électeurs. Le chef de l’État a 89 ans. Le président de l’Assemblée, Mohamed Ennaceur, 81 ans. Rached Ghannouchi, le patron d’Ennahdha, deuxième parti du pays, approche, lui, des 75 ans. Avec ses 66 ans, le Premier ministre, Habib Essid, passerait presque pour un petit jeune. Et ainsi de suite, sur l’ensemble de l’échiquier, du moins au niveau des chefs ou des cadres de parti… Comment, même avec la meilleure volonté du monde, pourraient-ils être réellement en phase avec une population dont la majorité a moins de 35 ans ?

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La société civile pour sortir de l’ornière

La Tunisie a plus que jamais besoin de reprendre sa marche en avant. Si BCE semble en être convaincu et s’il n’y a aucune raison de douter des capacités du pays, cela ne va pas non plus se faire en claquant des doigts, en décrétant le retour de la croissance ou en implorant l’aide d’une communauté internationale il est vrai peu engagée auprès des Tunisiens. La transition qui, par définition, cultivait le provisoire et l’éphémère tout en aiguisant les appétits des politiciens pour l’« après », est terminée depuis un an. Il est donc plus que temps d’arrêter de se contenter de gérer, à courte vue, les affaires courantes et les desiderata des appareils politiques pour se mettre sérieusement au travail.

Il faut plutôt chercher du côté de la société civile et du secteur privé : les dirigeants seraient bien inspirés de leur ouvrir les portes de l’État

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Le gouvernement vient, le 6 janvier, d’être profondément remanié, avec plus d’une douzaine de maroquins modifiés, soit au niveau de leur contenu soit au niveau des titulaires. Mauvais signal, ce changement d’équipe semble, encore une fois, plus répondre à des impératifs de cuisine interne entre formations arrivées en tête des dernières législatives et à la crise que traverse Nidaa Tounes, le parti au pouvoir, qu’aux réels besoins de relance et aux attentes de réformes de la population. Les compétences, le dynamisme et les cerveaux, pourtant, existent. En grand nombre même. Pour les trouver, il faut plutôt chercher du côté de la société civile et du secteur privé. Les dirigeants seraient bien inspirés de leur ouvrir les portes de l’État, du gouvernement et de l’administration car sans eux, et sans un investissement général de tous, difficile d’imaginer sortir de l’ornière. Quand une recette ne fonctionne pas, rien ne sert de s’obstiner. Il suffit parfois de simplement modifier quelques ingrédients…

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