Documentaire : « Je suis le peuple », à 700 km de la place Tahrir…
Dans un documentaire réussi, Anna Roussillon revient sur les événements qui ont marqué Le Caire et sur leur écho dans les campagnes égyptiennes.
Le 27 janvier 2011, la cinéaste en herbe Anna Roussillon, qui était venue en Égypte préparer son premier long-métrage consacré à la vie d’un village de la haute vallée du Nil, quittait Le Caire, prenant l’avion pour Paris. Un sacré rendez-vous manqué pour cette documentariste : le lendemain débutait la Révolution qui allait enflammer la place Tahrir et conduire à l’effondrement du régime Moubarak.
Au milieu de la « majorité silencieuse »
Deux mois plus tard, en mars, lors des vacances universitaires, elle foule de nouveau le sol du pays de son enfance. Après avoir humé quelques jours les vapeurs révolutionnaires de la place Tahrir, elle comprend qu’elle doit revenir à son projet initial, loin de la capitale : un documentaire sur les effets du tourisme de masse sur la vie des Égyptiens, qui l’avait entraînée dès 2010 jusqu’aux environs de Louxor, dans un village où elle s’était liée d’amitié avec un paysan, Faradj, prêt à l’aider pour ses repérages. Un personnage attachant dont la fréquentation l’avait déjà incitée à changer de sujet et à évoquer plutôt son sort et celui de ses proches dans ce lieu déshérité à 700 km du Caire. Poursuivant ce projet, Anna Roussillon a fini par réaliser Je suis le peuple (titre d’une chanson populaire d’Oum Kalsoum), une chronique au long cours du vécu de la révolution égyptienne au milieu de la « majorité silencieuse » de la population, entre le début de 2011 et la mi-2013, où un nouveau soulèvement parti de la place Tahrir a conduit au renversement du président islamiste élu Mohamed Morsi.
En filmant, avec talent, le quotidien et les discussions de villageois, elle nous en apprend plus sur ce qui s’est véritablement passé dans le pays pendant ces trois années que tous les longs-métrages qui ont tenté d’en rendre compte en dirigeant leur caméra vers l’agitation et les discours enflammés de la place Tahrir. Parce que, sagesse paysanne et recul par rapport aux événements en cours aidant, les villageois réagissent parfois avec passion mais toujours avec beaucoup de bon sens à la situation. Tout en faisant preuve d’un humour et d’une ironie aussi développés que ceux, légendaires, de leurs compatriotes cairotes.
Sans illusion
Certes, tout est vu à travers le seul canal d’information facilement disponible en pleine campagne : la télévision. Mais loin d’être naïf, Faradj comprend vite que, pour ne pas être manipulé, il faut se fier à d’autres échos que ceux véhiculés par les chaînes officielles et s’emploie rapidement à installer la première parabole du village. Ce qui l’aide à se forger sa propre opinion, comme le prouve l’évolution de sa position. Favorable a priori à Morsi – car au moins « il est nouveau » et « l’islam, c’est bien » puisque « Dieu est beau et aime la beauté » -, il est vite déçu par l’absence de changement réel qui suit l’arrivée au pouvoir du représentant des Frères musulmans, approuvant finalement le retour d’un homme fort comme le général Sissi à la tête du pays. Mais sans illusion. Lors d’une énième coupure d’électricité, la télévision s’éteint au milieu du fameux discours de Sissi réclamant, après l’éviction de Morsi, un soutien inconditionnel de la population aux militaires. Loin du Caire, même et surtout face à un écran noir, tout est lumineux…
>> Je suis le peuple, de Anna Roussillon, en salle le 13 janvier.
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