Maroc : à la rencontre des poètes urbains

Qu’ils s’expriment en darija, en français ou en arabe classique, les adeptes d’une certaine poésie urbaine sont de plus en plus nombreux au Maroc. Rencontre avec quelques-uns d’entre eux.

Mustapha Slameur slame en arabe et en français © Zakaria Karkafi/Facebook

Mustapha Slameur slame en arabe et en français © Zakaria Karkafi/Facebook

Publié le 21 janvier 2016 Lecture : 3 minutes.

«Ktibt hayati bi idi. » (« J’ai écrit ma vie de ma main »), c’est avec ce vers que Mohamed Hilal, jeune Fassi de 25 ans, ancien rappeur converti au slam, décrit sa nouvelle passion. Sur scène, sans aucun accompagnement sonore, il déclame en darija (arabe dialectal) ses rimes ciselées et profondes pendant plusieurs minutes. Comme lui, ils sont nombreux à s’être lancés dans cette forme d’expression minimaliste et à s’affronter par joutes oratoires interposées lors de soirées slam organisées à travers tout le royaume.

À l’instar des rappeurs, ces nouveaux poètes du bitume expriment le désenchantement de la jeunesse marocaine. « La contestation est la même, mais le slam est plus subtil, plus second degré. L’écriture y est plus travaillée », précise Bassim Khaber, slameur francophone de 38 ans. Sexe, religion, « Makhzen » (le régime), galères de la vie quotidienne… Les préoccupations de la jeunesse inspirent les slameurs, qui revisitent parfois les moments sensibles de l’histoire du pays. Pour Mustapha Slameur, surnommé le Grand Corps malade marocain pour son intonation qui rappelle celle du Français Fabien Marsaud, le slam est une histoire de maturité. « Mon engagement artistique a évolué. J’ai 34 ans et je suis papa. J’ai longtemps fait danser mon public sur mes clips de ragga, j’ai maintenant envie de le faire réfléchir », explique celui qui dit pratiquer un « art de la sincérité ».

la suite après cette publicité

Le slam en darija

Lui qui a l’habitude de slamer en arabe s’essaye au français dans le titre « L’habit ne fait pas le moi » de son prochain album, Halouassa, (« hallucination »), qui sortira en juin. Mustapha Boukrouna, de son vrai nom, est l’un des rares slameurs à donner des ateliers, en partenariat avec le réseau de l’Institut français du Maroc. Une manière d’apprendre la langue de Molière différemment.

Contre-culture récente, cette pratique artistique souffre d’un manque certain de visibilité

Mais slamer en arabe ou en français, est-ce la même chose ? Pour Mustapha Slameur, qui maîtrise parfaitement les deux langues, non seulement la darija est plus facile à manier, mais elle crée une plus grande connexion avec le public marocain. « Il y a des mots de darija qui sont intraduisibles. Et même si on arrivait à les traduire, ils en perdraient tout leur sens », rend compte celui qui s’est mis à slamer en arabe classique et en français pour toucher un public plus large. « Les slameurs francophones attirent un public plus bourgeois, une élite qui maîtrise le français ; ceux qui s’expriment en darija touchent des classes plus populaires », explique Bassim Khaber, qui slame uniquement en français.

Contre-culture récente, cette pratique artistique souffre d’un manque certain de visibilité. Pour Momo, fondateur de L’Boulevard, l’un des rares festivals de musiques urbaines du pays, « le slam est un art intimiste, je ne vois pas un slameur monter sur une énorme scène et se produire devant des milliers de personnes ». Les radios hésitent encore à diffuser un style peu commercial, privant du même coup les artistes d’une part des cotisations qu’elles versent au Bureau marocain du droit d’auteur (BMDA). « Les seuls revenus que je touche viennent de mes prestations à l’étranger ou de festivals organisés par des étrangers au Maroc, confie Mustapha Slameur. Je ne vends pas de CD, je mets tous mes albums en ligne. Cet engagement, je l’ai pris et annoncé en 2012 dans mon premier texte, « Chri Chri » (« achète achète »), et je n’ai pas changé de politique depuis. » Une façon pour l’artiste, engagé jusqu’au bout de ses rimes, de lutter contre un système capitaliste qu’il dénonce.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image