Pour redresser Anglo American, Mark Cutifani sommé de faire des choix

Après un parcours sans faute de Rio Tinto à AngloGold Ashanti, le patron de ce géant basé à Johannesburg va-t-il se désengager de certaines filières ? Les résultats catastrophiques de 2015 l’ont mis au pied du mur.

Image172923.jpg © SERGIO DIONISIO/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES

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ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 28 janvier 2016 Lecture : 5 minutes.

En prenant les manettes du géant minier Anglo American en janvier 2013, Mark Cutifani ne pensait pas se retrouver dans une telle galère. Fin connaisseur des logiques industrielles, l’Australien souhaitait être jugé sur ce qu’il savait faire le mieux : couper les coûts et optimiser l’exploitation des gisements, comme il l’avait fait avec brio chez Rio Tinto, Vale puis AngloGold Ashanti. Mais en ces temps de chute drastique des prix des matières premières, être un bon chef des opérations n’est pas suffisant pour un dirigeant minier.

Car trois ans après sa nomination, le groupe fondé en 1917 en Afrique du Sud par le magnat Ernest Oppenheimer a affiché des résultats catastrophiques. Au premier semestre de 2015, la compagnie dirigée depuis Londres a annoncé des pertes de 2,7 milliards d’euros. Selon les analystes, la situation s’est encore détériorée au second semestre, et les pertes sur l’année entière devraient dépasser les 3,7 milliards d’euros. Quant à la capitalisation boursière, qui atteignait 4,3 milliards d’euros début janvier 2016, elle a fondu, avec des actions en baisse de 69 % et 75 % en 2015 sur les places financières de Londres et de Johannesburg, signe du manque de confiance des investisseurs dans la capacité de Cutifani à redresser la barre.

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Anglo American en difficulté

Après un quasi-sans-faute à la tête du sud-africain AngloGold Ashanti de 2007 à 2013, dont il a restauré la rentabilité, ce brillant ingénieur, originaire d’un milieu modeste, formé à l’université de Wollongong (près de Sidney) tout en travaillant dans une mine de charbon, est mis à rude épreuve. Il est confronté à une baisse sans précédent de tous les cours des matières premières de son portefeuille, pourtant l’un des plus diversifiés qui soient. « Il n’y a pas un seul mois de l’année où j’ai vu l’un de nos minerais reprendre durablement de la valeur », se lamentait Cutifani fin 2015, alors qu’il escomptait un rebond au moins sur certaines filières. L’année dernière, le fer a perdu 33 % de sa valeur, le cuivre 29 %, le platine 28 % et le charbon 11 %. Même la filière diamant, épargnée jusqu’au début de l’année 2014, souffre : les prix moyens des pierres précieuses non taillées ont baissé en moyenne de 15 %. Et désormais, la compagnie De Beers, rachetée en 2012 par Anglo American, tangue aussi.

Le groupe n’est pas plus affecté par la chute des cours que ses grands rivaux, Glencore, Rio Tinto, Vale ou BHP Billiton, eux aussi en pleine déroute. Mais la compagnie pilotée par Cutifani est, aux yeux des investisseurs, plus fragile, notamment du fait de son empreinte sud-africaine dans le platine – via sa filiale Anglo Platinum, numéro un mondial du secteur -, dans le fer – avec Kumba Iron Ore – et dans le charbon. Car la nation Arc-en-Ciel, avec ses fortes tensions sociales et la dégradation de ses infrastructures, qui semble inexorable, est vue par les investisseurs comme un territoire trop risqué, dont il faudrait sortir.

Mark Cutifani s’est finalement résolu à annoncer un plan de cession massif visant la vente ou la fermeture de l’équivalent de 60 % de ses actifs miniers

Une exigence qui semble contradictoire à beaucoup. « On demande à Mark de scier la branche sud-africaine sur laquelle il est assis. S’il le fait, c’est la mort de sa compagnie car il ne sera plus leader d’aucune de ses filières minières, notamment dans le platine, le diamant et le charbon », estime un ancien cadre dirigeant africain du groupe, qui connaît bien le PDG et pour qui « l’âme d’Anglo American est sud-africaine, et non pas anglaise ».

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Le patron australien pensait prendre son temps pour restructurer ses mines avant d’en céder quelques-unes à un prix attractif et se concentrer sur les plus rentables. Mais la conjoncture est désastreuse, et la pression de ses actionnaires trop forte pour cet homme facile d’accès, supporter inconditionnel du club de football de Chelsea. Mark Cutifani s’est finalement résolu à annoncer le 8 décembre 2015 un plan de cession massif visant la vente ou la fermeture de l’équivalent de 60 % de ses actifs miniers, avec la réduction de ses effectifs de 135 000 à 50 000 salariés. « Il nous faut aller plus vite et plus fort », a-t-il admis.

Mais le calendrier et les gisements visés par ce plan sont loin d’être précis. Pour le moment, seules les mines sud-américaines de cuivre, de phosphates et de nobium apparaissent clairement être dans le collimateur de Cutifani. La partie sud-africaine du plan de cession reste incertaine et politiquement compliquée à négocier. « On garde une impression de flou, comme si Mark et le président du conseil d’administration, le Britannique sir John Parker, ne savaient pas quelle direction prendre », regrette l’ancien cadre d’Anglo American.

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Le patron de Glencore, favori des analystes

Dans ce contexte, les analystes préfèrent à l’opérationnel Mark Cutifani le profil plus tranchant du trader Ivan Glasenberg, patron de Glencore, qui a pris plus tôt que lui des décisions de suspension ou de fermeture de mines, notamment dans le cuivre en RD Congo et en Zambie, en septembre 2015. De plus, Glencore peut s’appuyer sur sa branche de négoce, rentable en ces temps de forte volatilité des prix, contrairement à Anglo American, qui n’a pas cette roue de secours.

Bon connaisseur de l’Afrique du Sud – il fut président de sa chambre des mines entre 2012 et 2013 -, Cutifani semblait bien armé pour réussir la mutation cruciale de ses opérations dans le pays, avec un a priori positif des autorités à son égard. Après le massacre de la mine de platine de Marikana, en 2012, il était le seul patron minier blanc présent à l’enterrement des ouvriers tués par la police. Il apparaissait comme un dirigeant courageux et franc, capable de mener des discussions constructives avec les syndicats dans un pays où l’industrie minière représente plus d’un demi-million de salariés et 7 % du PIB.

On ne voit pas bien qui, en Afrique du Sud, pourrait avoir les moyens de reprendre ses exploitations dans le contexte actuel du marché, analyse un consultant

« Mais en quittant Johannesburg pour s’installer à Londres, il s’est éloigné des réalités locales et s’est mis dans une mauvaise posture pour négocier avec Pretoria et les investisseurs locaux la sortie de certaines filières en difficulté dans le pays », estime un consultant basé à Johannesburg.

Alors que le gouvernement de Pretoria a annoncé début 2015 la volonté d’appuyer la création d’un champion minier national, certains y ont vu une porte de sortie pour Anglo American, notamment dans le platine. « Mais on ne voit pas bien qui, en Afrique du Sud, pourrait avoir les moyens de reprendre ses exploitations dans le contexte actuel du marché. Ni l’État ni les groupes locaux n’ont la trésorerie pour acheter tout ou partie d’Anglo Platinum », analyse le même consultant.

Selon ce dernier, des contacts ont bien eu lieu avec la plupart des investisseurs potentiels sud-africains, tels que Patrice Motsepe, d’African Rainbow Minerals, mais sans succès jusqu’à présent. « Brader les gisements de platine avant même de définir une stratégie de développement incluant l’Afrique du Sud serait insensé pour l’avenir d’Anglo American », fait valoir l’ancien cadre du groupe, qui estime que Cutifani doit sortir de ses atermoiements face aux injonctions contradictoires des financiers et des autorités sud-africaines.

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