Cinéma : « Creed : l’héritage de Rocky Balboa »
La saga du plus célèbre boxeur hollywoodien compte un septième round, Creed. Un opus réussi que l’on doit au jeune réalisateur talentueux Ryan Coogler.
Pour son deuxième long-métrage, le tout jeune réalisateur africain-américain Ryan Coogler (29 ans seulement) s’est attaqué à l’un des monuments de Hollywood : Rocky ! Un exercice d’autant plus ardu qu’après le premier opus (réalisé par John G. Avildsen en 1976 d’après un scénario de Sylvester Stallone, alors complètement fauché) la franchise s’est transformée en une longue série indigeste de navets sans punch, servant surtout de faire-valoir à des montagnes de muscles sur le retour. Il faudra attendre 2006 et le sixième épisode pour que Rocky Balboa, réalisé par Sylvester Stallone himself, retrouve un peu de sa superbe.
Dans ce qui s’annonçait comme un ultime round, on assistait incrédule au retour sur le ring du vieux boxeur de Philadelphie à la gueule semi-paralysée. Mais, en même temps, on ne pouvait s’empêcher d’y voir un hommage aux innombrables tentatives de retour infructueuses et désespérées de sportifs légendaires (Maradona, Tyson…) qui, s’accrochant à leur propre mythe, offrent ponctuellement en spectacle leur déchéance physique et souvent personnelle. Le Rocky de Stallone avait cela de touchant et de, in fine, sincère. Que l’on se rassure, dans Creed : l’héritage de Rocky Balboa le sexagénaire ne renfilera pas les gants, Ryan Coogler retourne ici aux fondamentaux du premier épisode en prenant pour héros un jeune boxeur novice.
Le film s’ouvre sur un flash-back, en 1998, dans un foyer pour adolescents où un jeune orphelin africain-américain, Adonis Johnson Creed, grandit au gré des bagarres de dortoir. Cruel destin pour le fils illégitime de l’ancien champion du monde de boxe, Apollo Creed, qui était un fervent défenseur de l’émancipation des Noirs américains par l’éducation. Champion du monde invaincu face à Balboa à la fin du premier opus, puis battu dans le second, ami de Rocky dans le troisième, Apollo Creed décédait après un uppercut fatal d’Ivan Drago (Dolph Lundgren) dans le quatrième, laissant derrière lui, apprenons-nous donc, ce fils né d’une relation adultérine.
Cependant, la veuve de Creed, ayant eu connaissance de la situation du jeune garçon, décide de le prendre sous son aile et de lui offrir la meilleure éducation. Retour en 2015, le pari est réussi, Adonis est un jeune homme qui a fait de brillantes études et qui mène un train de vie confortable, mais qui demeure hanté par l’image d’un père qu’il n’a pas connu et par ce qui peut le plus l’en rapprocher, la boxe. Il décide alors de tout quitter, Hollywood et son métier, pour rejoindre la ville de la déclaration de l’indépendance, Philadelphie, pour demander à l’ancien adversaire et ami de son père de l’entraîner afin de conquérir le titre de champion du monde. Celui qu’Adonis appelle son « oncle » va d’abord refuser avant d’accepter et de faire entrer le jeune autodidacte dans la cour des grands.
Sur la trame du récit – excepté les scènes de boxe, qui sont enfin réalistes, ou du moins crédibles ! -, Coogler respecte le mythe né dans le premier film de John G. Avildsen, l’humour en plus. Il remet également la ville ouvrière et la culture de Philadelphie au centre de sa narration, avec des plans sobres terriblement efficaces. Mais au-delà de cet héritage assumé de la saga, Coogler poursuit un travail plus personnel commencé avec son premier film, questionnant la société américaine dans ses clivages et l’individu dans la complexité de son humanité. Dans Fruitvale Station (doublement récompensé au festival de Sundance), qui faisait le récit, inspiré de faits réels, de la mort d’Oscar Grant (également incarné par Michael B. Jordan), un jeune Noir tué par la police dans une station de métro à San Francisco, il tentait de montrer comment la couverture médiatique de ce crime raciste contribuait à ôter toute humanité à la victime, qui était systématiquement dépeinte soit comme un ange soit comme un démon.
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Dans Creed, il va plus loin encore en interrogeant la relation qu’un individu ou une société entretient avec son passé, son présent et son futur. Comment accepte-t-on un héritage sans être pour autant confiné au rang d’héritier ? Comment réussir à se construire que l’on soit « fils de » ou indigent ? Sans jamais tomber dans le pathos, Coogler démontre que de l’acceptation de soi vient celle de l’autre. Condition sine qua non à l’amour (Adonis est l’amant d’Aphrodite, déesse de l’amour). Adonis ne pourra construire sa relation avec sa petite amie, son entraîneur, son histoire, qu’en étant dans un rapport positif au monde, un rapport de vérité.
En miroir, Rocky, qui est à la fin de sa vie, doit encore relever la tête. Cette fois-ci, il combat la maladie, mais ce combat – perdu d’avance – il le livre non pas pour survivre mais parce qu’en acceptant de devenir de facto l’oncle d’Adonis il pose un rapport actif à la vie. Coogler offre ici une belle fable cinématographique et philosophique, mettant en scène notre plus difficile combat, celui que nous devons mener contre nous-même. Adonis apparaît comme un personnage nietzschéen qui substitue à une « morale d’esclave », du ressentiment, une éthique de l’affirmation.
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