Économie : les femmes à la manœuvre en Afrique de l’Ouest
Au sein des nouveaux gouvernements du Burkina, de la Guinée et de la Côte d’Ivoire, la gent féminine est en première ligne. Portraits de Rosine Sori-Coulibaly, de Malado Kaba et de Nialé Kaba, trois fortes personnalités qui viennent de décrocher des ministères stratégiques pour le développement de leurs pays.
C ‘est un fait assez rare pour être relevé. En moins d’une semaine, trois pays d’Afrique de l’Ouest ont confié leurs ministères de l’Économie et leurs stratégies de développement à des femmes ! Au Burkina Faso, en Guinée et en Côte d’Ivoire, elles ont pris les commandes de ces portefeuilles stratégiques, souvent attribués aux hommes, au sein des nouveaux gouvernements formés en ce début d’année. Alors qu’au Maghreb de telles nominations restent encore des exceptions, en Afrique de l’Ouest, elles semblent rentrer dans les mœurs.
Le Nigeria a accordé sa confiance dès 2003, puis à nouveau entre 2011 et 2015, à Ngozi Okonjo-Iweala – considérée comme l’un des meilleurs ministres des Finances que le pays ait jamais connus -, à Nenadi Usman (2006-2007) et plus récemment à Kemi Adeosun, qui occupe actuellement ce poste. Les nouveaux visages de cette tendance qui s’accélère sont Rosine Sori-Coulibaly au Burkina, Malado Kaba en Guinée et Nialé Kaba en Côte d’Ivoire. Qui sont-elles ? Pourquoi ont-elles été choisies ? Jeune Afrique a mené l’enquête.
Quels parcours ?
Deux semaines avant la nomination du nouveau gouvernement au Burkina Faso, les réseaux sociaux voyaient déjà Rosine Sori-Coulibaly Première ministre du pays. Elle n’a finalement pas eu la primature mais c’est à la tête d’un super-ministère englobant l’économie, les finances mais aussi le développement qu’elle a atterri. C’est la deuxième fois dans l’histoire du pays qu’une femme occupe cette fonction. Sous la révolution de Thomas Sankara, Bintou Sanogo avait dirigé ce département. Inconnue jusque-là du grand public, Sori-Coulibaly, 58 ans, est une proche du président de l’Assemblée nationale, Salif Diallo, qui est par ailleurs le numéro deux du parti au pouvoir, le Mouvement du peuple pour le Progrès (MPP). Mais la femme qui a désormais en charge la relance économique du Burkina Faso est surtout une technocrate ouverte d’esprit qui a réalisé un brillant parcours dans les institutions internationales. Formée à la macroéconomie et à la planification à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar puis à l’Institut africain pour le développement économique et la planification (ONU), elle a été représentante résidente du Pnud au Togo et au Bénin.
C’est également à une femme ayant poursuivi l’essentiel de sa carrière à l’international que le président guinéen, Alpha Condé, a décidé, le 4 janvier, de confier le ministère de l’Économie et des Finances. À 44 ans, Malado Kaba, que l’on dit proche de Mohamed Condé, fils du chef de l’État, est l’une des figures emblématiques du gouvernement de Mamady Youla. Elle était jusqu’ici directrice pour son pays de l’Africa Governance Initiative (AGI), la fondation créée par Tony Blair pour conseiller les gouvernements dans leur lutte contre la pauvreté, présente en Guinée, en Sierra Leone, au Liberia, au Nigeria, en Éthiopie, au Rwanda et au Kenya. Auparavant, elle a également travaillé à la Commission européenne. Au sein de l’institution basée à Bruxelles, elle s’est occupée, en tant que spécialiste du développement, de soutiens macroéconomiques, d’appui institutionnel et de développement social pour diverses délégations de l’Union européenne en Afrique et dans les Caraïbes.
Alassane Ouattara a voulu récompenser une femme qui a réussi à mobiliser les électeurs dans sa région, le Bounkani.
Mais si Rosine Sori-Coulibaly et Malado Kaba viennent d’institutions internationales, c’est d’abord dans leurs pays respectifs qu’elles ont fait leurs armes. La première a été cadre au ministère de la Planification puis membre du Conseil économique et social du Burkina Faso, tandis que la seconde, formée à l’économie du développement à Paris, a été conseillère au cabinet du ministre guinéen de l’Économie entre 1996 et 1999. Un point qu’elles ont en commun avec Nialé Kaba. Avant de devenir, en 2012, la première femme chargée de l’Économie en Côte d’Ivoire, celle-ci a été conseillère chargée des questions de fiscalité et de budget à la primature entre 1991 et 1996 ou encore directrice de cabinet adjointe de Mamadou Koulibaly, alors ministre de l’Économie et des Finances, en 2000.
Dans le nouveau gouvernement ivoirien annoncé le 12 janvier, elle s’est vu confier le portefeuille du Plan et du Développement. Et pour la première fois, un ministère de plein exercice. D’après l’un de ses collègues ministres, « Alassane Ouattara a voulu faire deux choses en lui confiant ce nouveau ministère. D’abord récompenser une femme qui a réussi à mobiliser les électeurs dans sa région, le Bounkani [Ouattara y a obtenu près de 85 % en 2015], où Laurent Gbagbo était très fort. Mais surtout lui donner une autre dimension avec un ministère transversal qui sera en interaction avec tous les autres et qui pilotera le Programme national de développement 2016-2020. »
Comme pour répondre à ses détracteurs, Nialé Kaba, formée aux sciences économiques au Centre européen de formation des statisticiens économistes des pays en développement (CESD) et à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, met en avant sur son CV ses compétences en matière de conception et de mise en œuvre de projets de développement.
Quels défis ?
Nialé Kaba est cette fois dans son élément : monter et trouver des financements pour le programme national de développement, qui nécessitera un investissement de 29 000 milliards de F CFA (près de 45 millions d’euros) sur cinq ans. Le défi est d’autant plus grand que ce montant représente plus du double du précédent plan national (2012-2015), qui a nécessité environ 12 000 milliards de F CFA d’investissements.
« Elle a le profil pour ce boulot », soutient un autre de ses collaborateurs. « J’essaierai d’apporter ma pierre à l’édifice de l’émergence avec abnégation et professionnalisme », confie à Jeune Afrique cette habituée des arcanes du pouvoir. Adopté en décembre 2015, ce programme quinquennal doit permettre à la Côte d’Ivoire de réaliser sur la période une croissance moyenne de 8 % par an, de développer ses infrastructures, de favoriser la création d’emplois et d’accélérer la transformation locale des produits agricoles. « L’objectif principal est de réduire de moitié le taux de pauvreté de la population, qui, aujourd’hui, est d’environ 48 % », avait alors déclaré Bruno Koné, ministre des TIC et porte-parole du gouvernement, reconduit dans la nouvelle équipe.
Pendant ce temps, à Ouagadougou, Rosine Sori-Coulibaly assure à Jeune Afrique être consciente de sa responsabilité quant aux attentes des populations dans un Burkina Faso postinsurrectionnel. « Je lance un appel aux partenaires et amis du pays pour qu’ils nous accompagnent afin de sortir définitivement de la crise », déclare-t-elle. Sa nomination intervient en effet dans un contexte économique délicat pour le Burkina Faso, marqué par l’effondrement des recettes budgétaires et une croissance en recul, à 4 % en 2015.
Pour relancer la machine économique, Sori-Coulibaly devra d’abord montrer sa capacité à coordonner les différents départements de son ministère et à leur donner l’impulsion nécessaire. Elle devrait ensuite s’attaquer à la mobilisation des ressources internes, à la réforme de la gestion des finances publiques et des règles de passation des marchés publics ou encore à la mise en place de modes innovants de financement (partenariat public-privé).
En Guinée, tous les secteurs de l’économie, de l’agriculture aux mines, ont besoin d’être relancés.
La ministre devra aussi et surtout travailler à ramener la confiance des investisseurs, notamment dans le secteur minier (or et manganèse), où ils ont été refroidis par la baisse des cours. Elle devra ainsi réviser le code minier et ouvrir des négociations avec Pan African Minerals, du milliardaire australo-roumain Frank Timis, au sujet du prolongement de la ligne de chemin de fer Kaya-Tambao.
Par ailleurs, elle doit lever des ressources auprès des partenaires pour financer les grands projets structurants tels que l’agropole du Sourou et la mise en place de zones économiques spéciales à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso. Ce qui devrait doper l’investissement public, freiné par le budget d’austérité qui a marqué la transition politique, et encourager le secteur privé, resté également attentiste, à emboîter le pas.
Rassurer les investisseurs et les attirer en Guinée, c’est aussi de manière générale le principal défi de Malado Kaba. Les chantiers de la jeune ministre sont d’autant plus immenses que le pays sort à peine de l’épidémie d’Ebola, qui l’a durement frappé pendant plus d’un an. Et que tous les secteurs de l’économie, de l’agriculture aux mines, ont besoin d’être relancés. D’après certains observateurs, les grands projets, comme celui du mégagisement de fer du mont Simandou, seront directement gérés par le trio formé par la présidence, la primature et le ministère des Mines. Mais il n’y a guère de doute que sur des dossiers comme le chômage massif des jeunes ou la mobilisation de ressources financières pour le développement des infrastructures de base, c’est elle qui sera en première ligne.
Quel pouvoir d’action ?
Que ce soit en Guinée, en Côte d’Ivoire ou au Burkina Faso, c’est la question que tout le monde se pose. Quel sera le pouvoir de décision et d’initiative de ces femmes portées à la tête de ministères stratégiques, dans des pays où les présidents et les Premiers ministres ont eux-mêmes des profils assez économiques et s’appuient beaucoup sur leurs conseillers ? Au Burkina Faso, selon certaines indiscrétions, Rosine Sori-Coulibaly, dame de poigne, et intrépide au travail, aura les coudées aussi franches au sein de l’équipe gouvernementale que les caciques du MPP comme Simon Compaoré, deuxième vice-président du parti présidentiel et ministre d’État chargé de la Sécurité, ou encore Clément Pegdwendé Sawadogo, le secrétaire général du parti, qui hérite de la fonction publique. « C’est une femme de convictions. Je pense qu’elle mettra son expérience à profit pour faire bouger les lignes », commente une de ses anciennes collègues au ministère du Plan.
Mariam Mahamat Nour, une exception en Afrique centrale
En Afrique centrale, très peu de femmes ont occupé des postes ministériels liés à l’économie et au développement. Que ce soit au Cameroun, au Gabon ou au Congo. Mariam Mahamat Nour, un des poids lourds du gouvernement tchadien, fait donc figure d’exception. Cette mère de trois enfants a travaillé pour plusieurs gouvernements depuis 1989, notamment dans les départements chargés de la planification. Et son nom a même souvent été évoqué pour la primature.
L’élaboration du plan pour l’émergence du Tchad à l’horizon 2025 porte sa marque. Une œuvre à laquelle elle s’attelle actuellement, en dépit de la rareté des ressources financières due à une conjoncture économique difficile, marquée par la chute des cours du baril. Cette mission est dans les cordes de cette femme politique, titulaire d’une licence en planification du développement de l’université Marien-Ngouabi (Congo) et diplômée en sciences économiques de l’université d’Abidjan.
Mariam Mahamat Nour a par ailleurs été consultante pour la Banque mondiale ainsi que pour l’Unicef. Cadre à la FAO, elle a été la représentante de cette institution au Togo, au Mali et en Mauritanie.
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