Bénin : les trois vies de Lionel Zinsou

Il s’est fait un nom dans la finance avant de devenir Premier ministre et le voici, quelques mois seulement après sa nomination, qui rêve de succéder à Boni Yayi à l’issue de la présidentielle du 28 février. Portrait d’un nouveau venu en politique que les barons locaux n’ont pas ménagé.

À Cotonou, le 13 janvier. Attaqué sur sa double nationalité et sa proximité avec Laurent Fabius, le patron du Quai d’Orsay, il se dit convaincu que les polémiques 
« ne tiendront pas plus de six mois ». © ERICK AHOUNOU POUR J.A.

À Cotonou, le 13 janvier. Attaqué sur sa double nationalité et sa proximité avec Laurent Fabius, le patron du Quai d’Orsay, il se dit convaincu que les polémiques « ne tiendront pas plus de six mois ». © ERICK AHOUNOU POUR J.A.

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Publié le 25 janvier 2016 Lecture : 8 minutes.

Dans la voiture qui le conduit à Natitingou, ville du Septentrion où l’ancien président Mathieu Kérékou doit être enterré, Lionel Zinsou affiche un air serein. Seul signe qui, peut-être, trahit son inquiétude : les cigarettes qu’il enchaîne sans discontinuer – « j’avais pourtant réussi à arrêter », soupire-t-il. Quelques semaines plus tôt, le président Boni Yayi a choisi de faire de lui le candidat des Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE, coalition au pouvoir). Depuis, pas un jour ne passe sans que le financier de 61 ans, qui a fait l’unanimité partout où il est passé (chez Danone au début de sa carrière, à la banque Rothschild dans les années 1990 puis à la tête du fonds d’investissement PAI Partners à la fin des années 2000), ne soit attaqué. Pas un jour sans qu’une personnalité du pouvoir ou de l’opposition ne commente en des termes peu amènes la candidature du Premier ministre à la présidentielle du 28 février.

Le ton est affable, parfois professoral. S’attendait-il à une telle levée de boucliers ? « Bien sûr », répond-il sans hésitation. Était-il conscient de débarquer dans un monde où l’argent mène la danse et où les ralliements se négocient souvent à coups de millions de francs CFA ? Là encore, il acquiesce, précisant avoir été témoin toute sa vie « de la complexité du monde politique ». Il est vrai que son oncle, Émile Derlin Zinsou, a dirigé le Bénin de juillet 1968 jusqu’à décembre 1969. Renversé après seulement quelques mois au pouvoir, il a été condamné à mort par contumace, et sa famille – y compris Lionel – n’a pu rentrer au Bénin qu’en 1990, au retour de la démocratie. « Les fausses rumeurs, dans ma famille, on connaît », lâche-t-il. Tout de même, n’est-il pas ébranlé par la virulence de certains propos ? « Je mesure le caractère éphémère de ces polémiques. Elles ne tiendront pas plus de six mois. »

Le 12 décembre, devant le domicile de Mathieu Kérékou, à Natitingou. © VINCENT DUHEM POUR J.A.

Le 12 décembre, devant le domicile de Mathieu Kérékou, à Natitingou. © VINCENT DUHEM POUR J.A.

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Et c’est vrai qu’il n’a pas été ménagé. Son parachutage (à la primature puis comme candidat des FCBE), sa proximité avec le ministre français des Affaires étrangères, sa double nationalité franco-béninoise, sa couleur de peau, à lui que l’on surnomme déjà le yovo (le « Blanc », en fon)… Rien ne lui a été épargné. La contestation est d’abord venue du cœur du régime, de ceux qui – et ils sont nombreux – rêvaient d’obtenir les faveurs du chef.

François Abiola, qui attendait d’être Premier ministre depuis le départ de Pascal Koupaki, en 2013, et Komi Koutché, qui malgré son jeune âge (39 ans) se voyait déjà calife à la place du calife, lui ont mené la vie dure pendant de long mois. Zinsou aura eu du mal à s’imposer face à son vice-Premier ministre et à son ministre d’État chargé de l’Économie, des Finances et des Programmes de dénationalisation. Il aura fallu toute la force de persuasion de Boni Yayi pour qu’ils s’alignent, du moins officiellement, derrière sa position. « Entre septembre et octobre, on sentait le gouvernement divisé entre pro- et anti-Zinsou, juge un diplomate occidental en poste à Cotonou. C’était très tendu. »

Le « front anti-Zinsou »

Depuis, la situation s’est-elle apaisée ? Pas vraiment. Un « front anti-Zinsou » a vu le jour début janvier. On y retrouve plusieurs personnalités de haut rang, dont Nicéphore Soglo (ancien président de la République et ancien maire de Cotonou), Albert Tévoédjrè (ancien député, ancien ministre et ancien médiateur de la République) ou encore Mathurin Nago (député, ancien ministre et ancien président de l’Assemblée nationale). Son but : dénoncer le « complot politique qui se profile avec la candidature imposée de Lionel Zinsou » et demander des explications aux « autorités françaises sur leur implication ».

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En plus de sa proximité avec Laurent Fabius, dont, jeune normalien, il fut la plume au début des années 1980, les partisans de cette thèse pointent les nombreuses visites à Paris du président béninois et la participation de Zinsou à la rédaction, en 2013, du rapport sur le renouveau des relations économiques entre l’Afrique et la France. « Et pourquoi le Premier ministre béninois a-t-il nommé trois Français dans son cabinet ? » insistent-ils. Certaines sources, qui ne parlent que sous le sceau de l’anonymat, affirme encore qu’un ancien conseiller politique du président Kérékou (son éminence grise), Michel Le Cornec, un Français lui aussi, aurait été impliqué dans la nomination de Zinsou. « Faux, répond-on dans l’entourage de ce dernier. Les deux familles sont liées, c’est tout. » Une source proche de la présidence béninoise affirme par ailleurs que « les Français sont tombés des nues », le 8 juin 2015, quand Boni Yayi a informé François Hollande de son choix.

Sa relation avec Boni Yayi

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Yayi-Zinsou, c’est surtout l’histoire d’un mariage de raison entre deux personnes qui se respectent (le premier admire l’intelligence analytique du second, qui reconnaît, lui, les capacités de stratège de son aîné) autant qu’elles se méfient l’une de l’autre. L’idée d’un ticket entre les deux a germé début 2015, pour se concrétiser après les législatives de mai. Boni Yayi est à l’époque dans une situation délicate. Les FCBE ont remporté les élections mais se sont fait ravir la présidence de l’Assemblée nationale. Le président décide de se tourner vers Zinsou, qui fut son conseiller économique spécial (à titre gratuit) jusqu’en 2011 et dont il a appris qu’il doit quitter prochainement PAI Partners. Sait-il que, quelques jours avant la publication des résultats des législatives, Patrice Talon a rencontré Zinsou à l’hôtel Meurice, à Paris ? Que l’homme d’affaires béninois lui a demandé de se porter candidat à la présidentielle, lui promettant tout son soutien ? Boni Yayi a-t-il vu là une occasion de damer le pion à son ennemi juré ?

L’histoire ne le dit pas, mais, pour le chef de l’État, le choix est vite fait. Même chose lorsque, quelques mois plus tard, en octobre 2015, il lui faut désigner un dauphin. D’abord, aucun parmi la dizaine de candidats potentiels au sein de la majorité n’a, selon lui, l’étoffe nécessaire et n’est à même de rassembler au-delà de son nom. Ensuite, il estime que Zinsou est le plus légitime parce qu’il n’est pas mêlé aux affaires de corruption. C’est un homme nouveau. Capable d’injecter 1 million d’euros chaque année dans la fondation dirigée par sa fille, Marie-Cécile, il est aussi le seul à pouvoir rivaliser avec la puissance financière des autres prétendants que sont Sébastien Ajavon et Patrice Talon.

Son bilan en tant que Premier ministre, poste créé de toutes pièces par un Yayi omniprésent et insaisissable, n’est pas assez marquant pour être mis en avant

Et Zinsou, pense-t-il vraiment avoir une chance de s’imposer dans le marigot béninois ? S’il a accepté d’être le candidat des FCBE, raconte l’un de ses amis, « c’est parce qu’il s’est dit que le jeu était ouvert et que, malgré ses handicaps, il avait toutes ses chances ». Il est vrai que sa cote a brutalement grimpé depuis qu’il a arraché, le 12 janvier, le ralliement de deux formations d’opposition : celui du Parti du renouveau démocratique (PRD) d’Adrien Houngbédji et celui de la Renaissance du Bénin (RB) de Léhady Soglo. Mais le chemin vers la magistrature suprême est encore long.

Même si sa façon de travailler plaît, même s’il s’est appliqué à fluidifier l’action gouvernementale, et même s’il est parvenu à se débarrasser de certaines des casseroles que traînait le Bénin (comme le scandale lié au détournement de près de 3 milliards de F CFA d’aide des Pays-Bas ou les mauvaises relations avec la Banque mondiale), son bilan en tant que Premier ministre, poste créé de toutes pièces par un Yayi omniprésent et insaisissable, n’est pas assez marquant pour être mis en avant. L’ancien banquier voulait agir vite et obtenir des résultats rapidement. Mais, dix mois plus tard, son projet phare (faciliter l’accès à l’électricité au Bénin) se met en place lentement et attend toujours d’être lancé officiellement. La faute à un calendrier trop serré, à un président qui l’a envoyé aux quatre coins du monde et à des rivaux qui, au sein même de l’exécutif, auront tout fait pour le retarder.

Un Premier ministre peu connu des Béninois

Sa position n’est pas non plus très confortable. Lui, dont la famille est originaire du Sud, doit se reposer sur le réseau de Yayi, dans le Nord, et assumer le bilan de celui-ci. À l’opposé, à Cotonou et dans sa région, s’afficher avec le chef de l’État lui donne des sueurs froides tant celui-ci y est impopulaire. Surtout, à un peu plus d’un mois du scrutin, une partie des Béninois connaissent encore mal leur Premier ministre. Qui se souvient que son grand-père était un grand intellectuel des années 1930, à l’origine de plusieurs revues indépendantistes, ou que sa famille a activement participé à l’implantation de Boni Yayi dans le sud du Bénin avant l’élection de 2006 ?

« Contrairement à ce que disent les gens, personne ne peut contester que je connais le pays, insiste Lionel Zinsou. Personne ne peut nier que j’appartiens à une famille engagée. Mais beaucoup pensent que je ne suis pas comme eux. La réalité du métissage, c’est qu’on lutte toute sa vie contre les forces d’exclusion. » Ces derniers mois, l’ancien banquier a troqué ses costumes parisiens pour d’amples boubous, comme pour mieux se défaire de l’image qui lui colle à la peau.

Il s’est construit une équipe de campagne composée des soutiens de la première heure et de jeunes talents de la diaspora

En parallèle de l’énorme machine des FCBE, il s’est construit une équipe de campagne composée des soutiens de la première heure et de jeunes talents de la diaspora. Son père, René, qui a mis de côté sa préférence initiale pour Pascal Koupaki, est de toutes les réunions ; sa fille, Marie-Cécile, est très présente (à la demande de son père plus que de ses propres vœux) ; l’ambassadeur Aniambossou fait la navette entre Cotonou et Paris, où il mobilise notamment la diaspora ; Anthony Zinsou, son cousin, qui fut un soutien de la première heure de Yayi, lui fait profiter de son expérience de lobbyiste. L’un d’eux voudrait qu’il arrête de fumer. « Tu dois faire une immersion totale dans les mœurs pour les décoder », lui conseille son père.

Tout au long de sa carrière, il a semblé avoir plusieurs coups d’avance. Lorsqu’il est entré chez PAI Partners, toute la profession ou presque prévoyait son échec. Il s’est pourtant imposé, écartant les deux principaux patrons – de redoutables financiers – pour en être porté à la présidence. Un soir, à Cotonou, un invité lui a offert un livre sur Pierre Mendès France, éphémère président du Conseil en France. Zinsou lui a répondu fraîchement : « Vous croyez que je ne veux rester que quelques mois au pouvoir ? »

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