Bénin : une présidentielle au-dessus des partis

Qu’ils bénéficient de soutiens politiques ou qu’ils concourent sous la bannière d’une coalition, la plupart des principaux prétendants se présentent sans étiquette.

Un bureau de vote à Cotonou lors de la présidentielle du 13 mars 2011 © AFP

Un bureau de vote à Cotonou lors de la présidentielle du 13 mars 2011 © AFP

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Publié le 3 février 2016 Lecture : 8 minutes.

Les jeux sont ouverts au Bénin © Jean-Pierre De Mann/Robert Harding/AFP
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Bénin : les jeux sont ouverts

Entre un chef de l’État sortant qui ne se représente pas mais qui compte garder la main jusqu’au bout et la multiplication des candidatures, la présidentielle des 28 février et 13 mars s’annonce pleine de surprises.

Sommaire

À moins d’un mois du premier tour, la présidentielle béninoise promet d’être la plus ouverte des élections à la magistrature suprême programmées cette année sur le continent. D’une part parce que le chef de l’État sortant, après deux quinquennats, ne se présente pas. Mais surtout parce que, face à la notoriété, la stature et les profils éclectiques des principaux candidats en lice, rien n’est joué d’avance.

Entre le banquier d’affaires et actuel Premier ministre Lionel Zinsou, l’économiste et ex-chef du gouvernement Pascal Irénée Koupaki, le financier Abdoulaye Bio Tchané, le général et désormais député Robert Gbian, le patron des patrons Sébastien Ajavon, ou encore l’homme d’affaires Patrice Talon, difficile de dire qui se détachera du peloton ou de pronostiquer comment les alliances entre les uns et les autres s’organiseront dans le cas d’un second tour. D’autant que, même s’ils bénéficient de soutiens dans les milieux politiques et au sein de la société civile, la plupart de ces prétendants au palais de la Marina se présentent en candidats indépendants.

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Le dauphin de Boni Yayi

Pendant des mois, la principale inconnue fut l’identité du dauphin de Boni Yayi. Les noms d’une bonne dizaine de proches du chef de l’État ont circulé, parmi lesquels ceux de fidèles, comme François Abiola, président du Mouvement Espoir du Bénin (MESB) et vice-Premier ministre chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, et Marcel de Souza, ami de longue date et beau-frère du chef de l’État, président du Front républicain du Bénin (FRB, ex-Front républicain pour une alternative patriotique) et ancien ministre du Développement (jusqu’en juin), fraîchement élu député.

Nombre de cadors des Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE, alliance soutenant Boni Yayi) ont espéré que le chef de l’État porte son choix sur leur personne. En vain. C’est le Premier ministre, Lionel Zinsou, qui portera finalement les couleurs des FCBE. Un choix que le président a fait, fin novembre, parmi dix candidats, au terme d’un processus aussi novateur qu’opaque et qui aura semé une sacrée pagaille au sein de la majorité.

Résultat, plusieurs anciens ministres et proches collaborateurs du chef de l’État sortant ont finalement déclarés leur candidature, comme Marcel de Souza, Issifou Kogui N’Douro (ex-ministre de la Défense), Nassirou Arifari Bako (Affaires étrangères) et Jean-Alexandre Hountondji (ancien conseiller politique de Boni Yayi et ex-porte-parole du gouvernement).

Lionel Zinsou, Premier ministre béninois. © Bruno LEVY, pour J. A.

Lionel Zinsou, Premier ministre béninois. © Bruno LEVY, pour J. A.

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Aux yeux de ses détracteurs, Lionel Zinsou ne correspond à aucun des critères établis par l’alliance présidentielle : à savoir être membre des FCBE, détenir un mandat électif et posséder une base électorale bien définie. « Ce n’étaient que des critères d’appréciation, aucun n’était éliminatoire, justifie un proche du chef de l’État.

Le Premier ministre est considéré comme un militant du parti en tant que personnalité, car il a été conseiller spécial du président [de 2006 à 2011] et a participé activement à la table ronde de Paris » organisée en juin 2014 avec les investisseurs béninois et internationaux pour financer le développement du pays. « La candidature de Lionel Zinsou était la moins « clivante » et, surtout, la meilleure », résume un cadre des FCBE.

Lionel Zinsou devra d’abord gommer cette image de « candidat de l’étranger »

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Passés ces obstacles internes, Lionel Zinsou devra encore relever plusieurs défis. À 61 ans, le brillant banquier d’affaires franco-béninois (depuis 2009, il dirigeait l’un des plus gros fonds d’investissement d’Europe, PAI Partners, après être passé par la banque Rothschild), qui est aussi le neveu de l’ex-président Émile Derlin Zinsou, devra d’abord gommer cette image de « candidat de l’étranger » – de la France en particulier -, que l’opposition se fait un plaisir d’alimenter.

Ensuite, il devra se faire accepter dans le Nord, lui dont la famille est très implantée dans le Sud – raison pour laquelle les tracts des FCBE présentent systématiquement Zinsou au côté de Boni Yayi, dont la mère était bariba, l’ethnie majoritaire dans le Nord. Car si le Premier ministre bénéficiera du soutien de la machine des FCBE, qui ont été en tête de toutes les élections depuis l’arrivée de Boni Yayi au pouvoir, beaucoup se demandent comment va se comporter l’électorat dans le septentrion béninois, où le régionalisme reste particulièrement vivace.

Les adversaires de Zinsou

Plusieurs personnalités comptent bien profiter d’un possible rejet de Zinsou dans le Nord. À commencer par Robert Gbian, 63 ans, « entré en politique » avec succès lors des législatives d’avril 2015 et désormais vice-président de l’Assemblée nationale. Directeur du service de l’intendance des Forces armées béninoises de 2001 à 2006, puis du cabinet militaire de Boni Yayi jusqu’à sa retraite, en avril 2012, « le général » compte en effet s’appuyer sur sa popularité dans le septentrion béninois et sur sa posture de nouveau venu en politique.

Natif de Bembèrèkè, dans le Borgou (Centre), l’ancien intendant militaire est issu de l’ethnie bariba. Élu aux législatives de 2015 sous l’étiquette de l’Alliance Soleil (formée fin 2014 par des députés du Nord dissidents de la majorité), il s’est cependant opposé au choix fait par cette coalition de soutenir Patrice Talon.

Abdoulaye Bio Tchané, surnommé ABT, participera quant à lui à sa deuxième présidentielle

À 63 ans, Abdoulaye Bio Tchané, surnommé ABT – qui est aussi l’acronyme de son mouvement, l’Alliance pour un Bénin triomphant -, participera quant à lui à sa deuxième présidentielle. Il s’est lancé en politique lors du scrutin de 2011, où il est arrivé troisième, avec 6,14 % des suffrages exprimés, derrière Boni Yayi et Adrien Houngbédji. Ministre des Finances sous Mathieu Kérékou (1998-2002), directeur du département Afrique du FMI (2002-2008), puis de la BOAD (2008-2011), il est désormais président du cabinet de conseil Alindaou Consulting International et du conseil d’administration du Fonds africain de garantie, créé par la BAD pour soutenir les PME.

Un autre éminent économiste, Pascal Irénée Koupaki (PIK), 64 ans, sera lui aussi de la partie. Premier ministre de mai 2011 à août 2013, il a un temps espéré être adoubé par Boni Yayi, lequel, selon l’un de ses proches, n’a en fait jamais envisagé d’en faire son dauphin. Après une carrière à la BCEAO et au FMI, Koupaki a fait partie de tous les gouvernements depuis 2006, d’abord à l’Économie, puis à la Prospective.

En campagne depuis qu’il a quitté la primature, en août 2013, il a multiplié les déplacements en province afin d’expliquer son engagement pour l’émergence d’une « nouvelle conscience », la naissance d’un Béninois nouveau. Un savant mélange de justification de son bilan au gouvernement et de programme politique, qu’il présentait déjà dans deux petits livrets bleus publiés en octobre 2013 et en juin 2014.

Des hommes d’affaires dans la course

Si l’élection de fin février est si particulière, c’est aussi parce que deux hommes d’affaires parmi les principaux financiers du monde politique ont décidé d’entrer dans la compétition.

Natif de Ouidah (Sud), Patrice Talon, 57 ans, a longtemps régné sur l’économie béninoise, en particulier sur la filière coton et le secteur de la logistique. Il fut pendant presque aussi longtemps un proche de Boni Yayi. Jusqu’à ce que, peu après que lui fut confiée la gestion du Programme de vérification des importations du Port autonome de Cotonou, en 2011, ses relations avec le chef de l’État se délitent, sur fond de scandale.

Tour à tour soupçonné de malversations financières, de tentative d’empoisonnement du président puis de participation à un complot contre l’État, il s’est exilé pendant trois ans et n’est rentré au Bénin qu’en octobre dernier. Compétiteur né, Patrice Talon souhaite aujourd’hui prendre sa revanche en mettant ses affaires au service de la politique et d’un combat « contre un système » auquel il a lui-même participé. S’il fait preuve d’une habile communication, favorisée par une force de frappe financière importante, et qu’il bénéficie du soutien de la majorité des producteurs de coton, sa candidature est de loin la plus « clivante ».

Sébastien Ajavon, président du patronat béninois. © DR

Sébastien Ajavon, président du patronat béninois. © DR

Celle d’un autre grand patron, Sébastien Ajavon, officiellement déclarée le 3 janvier à l’occasion d’un grand meeting organisé à Cotonou, pourrait bien lui faire de l’ombre. Le PDG fondateur du groupe Cajaf-Comon et président du patronat béninois a lui aussi financé la vie politique pendant des années. Et lui aussi a eu maille à partir avec Boni Yayi : un redressement fiscal de 32 milliards de F CFA (près de 49 millions d’euros) a créé des frictions entre les deux hommes en 2012, avant qu’un accord intervienne entre l’État et Comon SA. Il n’est pas pour autant un « opposant affirmé au régime de Boni Yayi », ainsi que le confie un membre de son équipe de campagne, et son ambition est de « tisser la nouvelle corde sur l’ancienne ».

Sébastien Ajavon bénéficie de soutiens politiques, notamment ceux de Valentin Aditi Houdé et son Alliance nationale pour la démocratie et le développement (AND), de Sévérin Adjovi, le maire de Ouidah, de Claudine Afiavi Prudencio, députée, présidente de l’Union pour le développement du Bénin nouveau (UDBN) et nièce de l’ancien président béninois Émile Derlin Zinsou, ou encore, contre toute attente, de Rachidi Gbadamassi, l’influent député FCBE de Parakou. Le patron des patrons béninois est par ailleurs soutenu par un autre poids lourd de l’économie, Samuel Dossou-Aworet, l’influent PDG du groupe Petrolin, par ailleurs époux de Claudine Prudencio.

Qui soutient Zinsou ?

Les candidatures de ces personnalités ont poussé les principaux partis d’opposition à attendre le dernier moment, c’est-à-dire la fin du délai de dépôt des candidatures, le 12 janvier, pour décider de désigner un candidat en interne ou d’en soutenir un à l’extérieur de leur formation. C’est le cas de la Renaissance du Bénin (RB), présidée par Léhady Soglo, mais aussi de la coalition l’Union fait la nation (UN), qui réunit notamment le Parti social-démocrate (PSD) d’Emmanuel Golou, le Parti du renouveau démocratique (PRD) d’Adrien Houngbédji, président de l’Assemblée nationale, et le mouvement Force clé, d’Éric Houndété, premier vice-président de l’Assemblée.

Léhady Soglo, élu maire de Cotonou en juillet 2016. © VINCENT FOURNIER/J.A.

Léhady Soglo, élu maire de Cotonou en juillet 2016. © VINCENT FOURNIER/J.A.

Léhady Soglo a finalement annoncé que la RB se ralliait au panache de Lionel Zinsou. Lui qui a succédé à sa mère, Rosine, à la tête du parti en 2010, et à son père, Nicéphore, à la mairie de Cotonou en 2015, dit avoir agi « pour préserver la stabilité et la paix ». Faute de candidat en interne, il a aussi décidé de suivre la majorité des élus locaux de la RB qui avaient opté pour soutenir la candidature du Premier ministre. Mais, dès le 15 janvier, Nicéphore et Rosine Soglo se sont empressés de désavouer ce choix. Après avoir rompu avec l’UN au lendemain de la présidentielle de 2011, puis s’être retirée de la majorité FCBE début 2015, la RB semblait en perte de vitesse. L’autorité de Léhady Soglo pourrait-elle aujourd’hui être remise en cause ?

Adrien Houngbédji, qui a rassemblé 35,6 % des votes à la présidentielle de 2011 et plus de 25 % en 2006, soutient également la candidature de Zinsou. Pour lui, le choix était plus simple puisque, à 73 ans, il n’est plus éligible. Il a en tout cas fait éclater une UN incapable de s’accorder sur une candidature unique entre le président du PSD, Emmanuel Golou, qui a jeté l’éponge (et a appelé à voter pour Ajavon), et le progressiste Éric Houndété, qui a finalement présenté sa candidature, sans le soutien, donc, des autres composantes de l’UN. La décision du leader du PRD pourrait surtout faire basculer le rapport des forces en faveur du candidat des FCBE, puisqu’elle donne naissance à une coalition ratissant au sud, au centre et au nord.

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