L’Arabie saoudite, une monarchie tricéphale
Qui dirige vraiment l’Arabie saoudite ? Portrait des trois personnalités les plus puissantes du royaume.
Salman Ibn Abdelaziz, le transmetteur
À près de 80 ans, Salman Ibn Abdelaziz est monté d’un pas chancelant sur le trône à la mort de son demi-frère Abdallah, en janvier 2015. Vingt-cinquième fils -d’Abdelaziz Ibn Saoud, fondateur de l’État saoudien moderne, il sera le sixième et probablement le dernier à régner, ayant désigné comme héritier et vice-héritier des princes des générations suivantes. Car, selon la coutume, la succession dite adelphique se fait entre frères et a transformé au fil des décennies la monarchie saoudienne en une gérontocratie. Le nouveau souverain s’était annoncé conservateur et respectueux des traditions familiales. « Nous resterons, avec la force de Dieu, sur le chemin droit que cet État a suivi depuis sa création par le roi Abdelaziz Ibn Saoud et ses fils après lui », avait-il annoncé à son avènement.
Mais la politique mise en œuvre depuis un an contraste avec cette déclaration d’intention. Rapidement, il impose un nouvel ordre de succession, démet son frère Muqrin de la place d’héritier pour la donner à son neveu Mohamed Ibn Nayef et nomme le plus jeune de ses fils, Mohamed, vice-prince héritier. On y a vu le retour en force des « sept Soudaïri », la fratrie issue de l’épouse favorite d’Abdelaziz Ibn Saoud qui constitue la plus puissante faction au sein de la famille royale.
Mais pour le spécialiste Stéphane Lacroix, « c’est une révolution, car le pays est traditionnellement gouverné de manière collégiale, en famille. Il ne s’agit pas d’une monarchie absolue mais d’une monarchie dynastique où le roi n’est que le primus inter pares entérinant les décisions prises en conseil de famille. Aujourd’hui les décisions se prennent dans un cercle resserré ». Plus qu’un retour en force des Soudaïri, la valse des héritiers et la nomination de membres extérieurs à la famille, comme le ministre « roturier » des Affaires étrangères Adel al-Jubaïr, indiqueraient que le roi vise à concentrer les pouvoirs entre les mains de sa propre dynastie, son héritier de neveu n’ayant pas de fils.
Car, si le modèle adelphique a assuré la stabilité du royaume jusqu’à présent, les cinquante fils d’Abdelaziz s’étant répartis fiefs, administrations et revenus, la génération suivante compte près de cinq cents princes et la discorde menace. « Nous sommes en route vers un système de transmission patrilinéaire », conclut le chercheur.
Mohamed Ibn Nayef, l’allié de circonstance
Pour remplacer son frère, le terne Muqrin, dans l’ordre de succession, le roi Salman a eu la prudence de choisir le plus légitime des candidats. Fils de l’ancien tout-puissant ministre de l’Intérieur, feu le Soudaïri Nayef Ibn Abdelaziz, Mohamed Ibn Nayef s’est distingué en réprimant efficacement les opérations insurrectionnelles menées par Al-Qaïda dans le royaume au début des années 2000, boutant l’organisation hors des frontières, au Yémen, où elle sévit encore.
Bien vu à Washington, disposant d’une vaste clientèle dans les domaines les plus importants de l’État, il est le prince le plus puissant de sa génération. Ce qui le place en concurrence frontale avec son jeune cousin, le vice-héritier et fils préféré du roi Salman, Mohamed. « Ils sont à couteaux tirés, commente Nabil Mouline, à tel point que les rumeurs d’une révolution de palais envisagée par le roi pour nommer directement son fils héritier, voire d’une abdication à son profit, ne cessent d’enfler. »
Car si le vieux monarque à la santé déclinante venait à mourir avant d’avoir assuré la passation du trône à son fils, Ibn Nayef aurait alors tout loisir de miner la voie royale que Salman pave depuis un an pour son fils.
Mohamed Ibn Salman, le prince impétueux
Titulaire d’une simple licence de droit et presque inconnu avant de se voir nommer vice-héritier à 29 ans, le cadet du roi Salman est aujourd’hui l’homme le plus puissant du royaume. Ministre de la Défense, il plastronne en chef de guerre sur le front yéménite, ce qui lui a valu une popularité certaine parmi la jeunesse du pays. Chargé du Conseil économique et de développement, il annonçait, début janvier, dans un entretien à The Economist, une « révolution thatchérienne » pour soustraire l’économie saoudienne à la dépendance pétrolière.
Nommé à la présidence du conseil de la Saudi Aramco, unique opérateur pétrolier du royaume contrôlé à 100 % par l’État, il crée une onde de choc en annonçant dans le même magazine son projet d’en privatiser une partie. L’ambitieux jeune homme voudrait être celui qui refondera durablement le pacte social saoudien tout en étant le garant de la sécurité du royaume. Une hyperactivité sur tous les fronts qui n’est pas sans risque, l’enlisement des Saoudiens dans la coûteuse et destructrice guerre du Yémen en étant un premier signe. « Et il mécontente 99 % des princes du premier cercle et les dirigeants des grands groupes. Que se passera-til quand il imposera au peuple la fin des subventions qu’il a annoncée ? » commente Fatiha Dazi-Héni, qui souligne l’admiration de Mohamed Ibn Salman pour les émirs autocrates et visionnaires d’Abou Dhabi et de Dubaï.
Difficile, toutefois, de deviner la vision d’avenir de l’impétueux héritier, qui se réfugie derrière la volonté paternelle pour s’absoudre de l’échec yéménite, tout en annonçant la création d’une coalition antiterroriste sans en avoir discuté avec ses 34 membres supposés… Et Nabil Mouline de conclure : « Le prochain roi d’Arabie saoudite sera soit le plus grand, soit le dernier ! »
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