Présidentielle au Bénin : le dernier coup de Boni Yayi

Le chef de l’État a brouillé les cartes en désignant un dauphin que personne n’attendait, son Premier ministre, Lionel Zinsou. Et à moins d’un mois du scrutin, il est plus actif que jamais.

L’ancien président béninois Thomas Boni Yayi, à son arrivée au Bourget le 30 novembre. © LOIC VENANCE/AP/SIPA

L’ancien président béninois Thomas Boni Yayi, à son arrivée au Bourget le 30 novembre. © LOIC VENANCE/AP/SIPA

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Publié le 3 février 2016 Lecture : 7 minutes.

Les jeux sont ouverts au Bénin © Jean-Pierre De Mann/Robert Harding/AFP
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Bénin : les jeux sont ouverts

Entre un chef de l’État sortant qui ne se représente pas mais qui compte garder la main jusqu’au bout et la multiplication des candidatures, la présidentielle des 28 février et 13 mars s’annonce pleine de surprises.

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Le 12 décembre, sous un soleil de plomb, les plus hautes personnalités de l’État, du monde des affaires et des médias se sont rassemblées dans le stade de Natitingou (nord-ouest du pays) pour rendre un dernier hommage à Mathieu Kérékou, décédé deux mois plus tôt. Le président togolais, Faure Gnassingbé, dont le père considérait l’ancien chef de l’État béninois comme son frère, a tenu à être présent. La tribune et les gradins sont bondés, la piste autour du terrain également. Le temps semble s’être arrêté. Jusqu’à ce que le président, Thomas Boni Yayi, s’avance derrière le pupitre pour clore la longue cérémonie. Au moment d’achever son discours, il lève les yeux de son texte, se courbe légèrement, sourit et improvise. « Mon général, toi tu es resté vingt-sept ans au pouvoir, moi ça en fera seulement dix dans quelques semaines. Et je compte les jours ! » La foule glousse.

Comme il l’assure depuis des mois, respectueux de la limitation du nombre de mandats inscrite dans la Constitution, celui qui succéda à Mathieu Kérékou en 2006 ne se présente pas à la présidentielle de février et prépare sa sortie. Arrivé sans étiquette et presque par hasard dans la vie politique béninoise, l’ancien fonctionnaire international aura dirigé le pays pendant dix ans. Deux quinquennats au cours desquels cet homme atypique, excentrique et lunatique s’est voulu tantôt bâtisseur, tantôt refondateur, et a beaucoup promis. Six mois après sa réélection, en septembre 2011, il évoquait son second mandat lors d’un discours devant les notables de Parakou et déclarait avec une pointe d’humour : « Je vais donc terminer la veste que j’ai commencé de coudre au peuple béninois en 2006. » L’a-t-il convenablement rhabillé ?

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Les ombres des quinquennats de Boni Yayi

Boni Yayi aura indéniablement apporté un certain nombre de réformes, en particulier dans le domaine social, comme la gratuité de l’enseignement primaire et de la césarienne, le Régime d’assurance-maladie universelle (Ramu) et le programme de microcrédit. Les avancées en matière d’infrastructures sont également saluées par tous. Pourtant, son bilan laisse un goût amer.

La plupart des observateurs s’accordent pour dire que des efforts ont été faits mais que Boni Yayi a voulu aller trop vite, qu’il a eu de l’ambition pour son pays mais pas forcément les bonnes méthodes. Son élection avait soulevé beaucoup d’enthousiasme et d’espoir. Le nouveau président était notamment très présent dans la lutte contre la corruption. Le problème est que certains dossiers ont créé la confusion.

Le plus emblématique reste celui de l’affaire ICC Services, du nom de l’une des sociétés de placement qui ont floué des centaines de milliers de petits épargnants pour plus de 100 milliards de F CFA (environ 150 millions d’euros) en 2010, et dont certaines ont profité de leurs entrées au palais de la Marina. « Tout le monde avait averti le pouvoir que c’était une bombe à retardement, explique un bon connaisseur du dossier, mais rien n’a été fait et, à partir de ce moment, l’État n’ayant pas montré l’exemple, la corruption s’est généralisée. »

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Globalement, beaucoup regrettent que les bonnes résolutions de la première heure n’aient pas perduré. « Quand Boni Yayi est arrivé aux affaires et a dit qu’il fallait se mettre au boulot à 8 heures du matin, il fallait voir les embouteillages à Cotonou ! Mais désormais, lui-même est en retard », résume une spécialiste en communication.

Patrice Talon fait l’objet d’un premier mandat d’arrêt, suivi d’un second, en février 2013, pour sa participation présumée à une tentative de coup d’État contre Boni Yayi

Un autre événement est venu perturber le second quinquennat du président : l’affaire Patrice Talon. Actionnaire majoritaire dans les usines d’égrenage de la Société de développement du coton (Sodeco, réquisitionnées depuis la fin de 2013), cet ex-proche de Boni Yayi avait le monopole sur les importations d’engrais et de semences de la filière coton. Mais en avril 2012, l’État rompt les contrats qui le lient à ses entreprises, reprochant à l’homme une mauvaise gestion des subventions publiques aux intrants agricoles.

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Au mois d’octobre suivant, soupçonné d’avoir voulu faire empoisonner le chef de l’État, Patrice Talon fait l’objet d’un premier mandat d’arrêt, suivi d’un second, en février 2013, pour sa participation présumée à une tentative de coup d’État contre Boni Yayi. Ce dernier, après médiation de la Francophonie, lui accordera un pardon forcé en mai 2014. Le Bénin a cependant décidé, le 19 janvier dernier, de se constituer partie civile dans le cadre d’une procédure judiciaire pour tentative d’assassinat ouverte en juin 2014 par la justice française.

Rentré à Cotonou en octobre 2015 après trois années d’exil en France, l’ancien magnat du coton est aujourd’hui candidat à la présidentielle. Mais la brouille entre les deux hommes a eu de lourdes conséquences dans le monde politique comme dans celui des affaires. « Tout a été bloqué pendant plusieurs mois, les banques qui accueillaient les actifs de Talon ont vacillé, et l’ensemble des activités liées au coton en ont pris un coup », explique un homme d’affaires béninois. Pendant des mois, le chef de l’État a été hanté par cette histoire, il a resserré son staff et renforcé sa sécurité. Pendant des mois, les grèves ont paralysé le pays.

Un président redoutable

À l’heure du bilan, Thomas Boni Yayi s’est engagé dans une course contre la montre pour lancer de nouveaux chantiers et tenter de mener à leur terme les projets entamés sous sa présidence et encore inachevés, les fameux éléphants blancs… « Le président est à la fin de son mandat et il s’agite comme s’il venait d’être élu. On le voit partout, très volontaire, comme s’il voulait déplacer des montagnes », fait remarquer un représentant de l’opposition.

Boni Yayi multiplie en effet les initiatives à l’intérieur et à l’extérieur du pays, avec plus ou moins de réussite. Ainsi, son implication dans la préparation de la COP21, qui s’est tenue fin 2015 à Paris, a été saluée, mais sa gestion du coup d’État manqué de septembre dernier au Burkina Faso – où il a mené la médiation pour la Cedeao avec le Sénégalais Macky Sall – n’a pas laissé un souvenir impérissable aux Burkinabè. Un échec qui ne doit pas faire oublier son activisme dans la crise malienne fin 2012-début 2013, lorsqu’il présidait l’Union africaine.

Passé maître dans l’art de créer la surprise, Boni Yayi a plus d’un tour dans son sac. Alors qu’il était dans une position particulièrement délicate à la fin de son premier mandat, il est parvenu à se faire réélire dès le premier tour en mars 2011 (avec plus de 53 % des suffrages exprimés) grâce à une campagne de proximité, montrant combien, poussé dans ses retranchements, il pouvait être redoutable et prouvant, surtout, que sa popularité n’avait pas pris une ride. « À l’époque, nous avions dénoncé des fraudes, se souvient un ancien responsable de l’opposition. Mais nos propres sondages réalisés avant le scrutin le donnaient largement vainqueur… »

Un dauphin innatendu 

Une fois encore, alors que sa cote déclinait, il a surpris tout le monde en nommant le financier franco-béninois Lionel Zinsou au poste de Premier ministre le 18 juin dernier. Un mois plus tôt, malgré leur victoire aux législatives, où elles ont remporté 33 des 83 sièges de l’hémicycle (contre 41 en 2011), les Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE, alliance présidentielle) avaient perdu la présidence de l’Assemblée nationale au profit d’Adrien Houngbédji, leader du Parti du renouveau démocratique (PRD). Jusqu’à l’élection de ce dernier au perchoir, le climat était délétère.

De violents affrontements ont même éclaté début mai entre les forces de police et des partisans du député d’opposition Candide Azannaï (ancien de la mouvance présidentielle, aujourd’hui proche de Patrice Talon), après que des gendarmes se sont rendus au domicile de l’élu pour lui signifier une convocation. « Sur le moment, beaucoup ont vu dans cet incident le signe que les partisans de Talon voulaient prendre le contrôle de la rue et faire partir le régime avant la fin de son mandat », relève un membre du gouvernement.

En réussissant à convaincre Lionel Zinsou, une personnalité extérieure au marigot politique béninois, d’intégrer son équipe, « Boni Yayi a pris de court tous ses adversaires », se réjouit un proche du chef de l’État, soulignant la satisfaction de ce dernier devant la couverture médiatique qui a suivi la nomination de son ancien conseiller économique spécial (à titre gratuit) entre 2006 et 2011. En faisant de Zinsou le candidat des FCBE à la présidentielle, il s’est en revanche attiré les foudres de ceux qui, depuis des mois, voire des années, espéraient endosser le rôle du dauphin. Mais ce choix inattendu permet aussi au chef de l’État de rester le maître du jeu jusqu’au bout. « Et s’il parvient à faire élire un président du Sud, il aura réussi sa sortie ! » conclut un cadre de l’opposition.

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