Gbagbo – CPI : pour Fatou Bensouda, le procès d’une carrière
La procureure Fatou Bensouda veut sortir la tête haute de quatre années d’une procédure laborieuse. Et prouver qu’elle n’est ni la marionnette de Ouattara ni celle de l’Occident.
CPI – Côte d’Ivoire : Gbagbo face à ses juges
Le procès de l’ancien président ivoirien s’est ouvert le 28 janvier, à 9h30. Le dossier d’accusation de la procureure sera-t-il assez solide face à une défense prête à en découdre ?
Avec ce procès Gbagbo, Fatou Bensouda, qui aura 55 ans le 31 janvier, joue sa crédibilité et celle de la CPI. En décembre 2011, quand elle succède à l’Argentin Luis Moreno-Ocampo au poste de procureur de la CPI, la magistrate gambienne bénéficie d’emblée d’un préjugé favorable. « Fini les coups médiatiques au service de l’ego d’un magistrat, murmurent plusieurs collaborateurs de la CPI. La nouvelle procureure va travailler ses dossiers. » Et dès son arrivée, l’ex-ministre gambienne de la Justice obtient de nouveaux moyens financiers pour augmenter la capacité d’enquête du bureau du procureur.
Mais en juin 2013, Fatou Bensouda frôle la sortie de route. Après une première audience de confirmation des charges contre Laurent Gbagbo, elle subit un camouflet. La chambre préliminaire de la CPI estime que ses preuves anti-Gbagbo ne s’appuient que sur des ouï-dire (des reprises de rapports d’ONG ou d’articles de presse) et lui demande de revoir sa copie. Pendant des mois, elle travaille d’arrache-pied. Abidjan, New York, Paris… Elle sillonne le monde pour recueillir documents et témoignages. Un an plus tard, en juin 2014, elle revient devant les juges de la CPI avec les déclarations de quelque 108 témoins à charge. Cette fois, elle réussit à convaincre deux des trois juges de la chambre préliminaire que l’ancien chef de l’État ivoirien doit être jugé. Elle pousse un grand ouf de soulagement.
Après Gbagbo, les crimes des pro-Ouattara
Aujourd’hui, fort de cette procédure laborieuse, le très accrocheur Emmanuel Altit, chef de l’équipe de défense de Laurent Gbagbo, affirme : « La procureure n’a pas grand-chose pour gagner devant le tribunal. » Nul doute que l’avocat français va s’appuyer sur les réserves de la juge dissidente de la chambre préliminaire, la Belge Christine Van den Wyngaert, qui a estimé, en juin 2014, ne pas être convaincue que « le plan commun qui aurait visé au maintien de Laurent Gbagbo au pouvoir ait, explicitement ou implicitement, impliqué la commission de crimes contre des civils pro-Ouattara ». Le défi aujourd’hui pour Fatou Bensouda, c’est donc de prouver à la Cour que Laurent Gbagbo et ses proches ont bien élaboré un « plan commun » pour rester au pouvoir au prix de la mort de civils pro-Ouattara et que l’ancien président a lui-même donné l’ordre de tuer.
Même si elle parvient à faire condamner Laurent Gbagbo, madame la procureure ne sera pas tirée d’affaire. Pour l’heure, officiellement, seuls Laurent Gbagbo et ses proches sont poursuivis par la CPI. Or de nombreux crimes ont aussi été commis par des partisans d’Alassane Ouattara dans les dernières semaines de la guerre civile de 2010-2011. Dès février 2013, Amnesty International a dénoncé dans un rapport la « loi des vainqueurs » qui sévit en Côte d’Ivoire.
Certains utilisent la CPI pour mettre en place les dirigeants de leur choix en Afrique et éliminer ceux qu’ils n’aiment pas, a déclaré Yoweri Museveni
Pour les pro-Gbagbo, la CPI est instrumentalisée par Alassane Ouattara, et surtout par les pays occidentaux qui le soutiennent, la France et les États-Unis. Le président ougandais Yoweri Museveni, qui s’était dit prêt, en 2012, à accueillir Laurent Gbagbo chez lui en cas de mise en liberté provisoire, n’hésite pas à déclarer : « Certains utilisent la CPI pour mettre en place les dirigeants de leur choix en Afrique et éliminer ceux qu’ils n’aiment pas. »
Fatou Bensouda, qui est le seul visage de la CPI dans les médias, n’aime pas du tout qu’on l’accuse d’être une marionnette des grandes puissances. « Bien sûr, les commentateurs politiques vont continuer de parler et d’écrire, mais je ne tiens surtout pas compte des considérations politiques », nous a-t-elle confié il y a un an . À l’appui de ses dires, elle affirme que les investigations de son bureau dans le camp Ouattara se sont intensifiées depuis un an. Lors de ce procès, l’Ivoirien Laurent Gbagbo cherchera à incarner la résistance de l’Afrique face à l’Occident. La Gambienne Fatou Bensouda voudra, elle, se placer du côté des quelque 3 000 victimes de la crise ivoirienne de 2010-2011. Entre le tribun et la « proc’ », la partie sera serrée.
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