CPI – Procès Gbagbo : la partie s’annonce serrée

Le procès de l’ancien président ivoirien devant la CPI s’est ouvert le 28 janvier, à 9h30. Le dossier d’accusation de la procureure sera-t-il assez solide face à une défense prête à en découdre ?

Emmanuel Altit, côté défense, et Fatou Bensouda, côté accusation © AFP

Emmanuel Altit, côté défense, et Fatou Bensouda, côté accusation © AFP

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Publié le 2 février 2016 Lecture : 5 minutes.

Laurent Gbagbo au premier jour de son procès devant la CPI, le 28 janvier 2016, à La Haye. © Peter Dejong/AP/SIPA
Issu du dossier

CPI – Côte d’Ivoire : Gbagbo face à ses juges

Le procès de l’ancien président ivoirien s’est ouvert le 28 janvier, à 9h30. Le dossier d’accusation de la procureure sera-t-il assez solide face à une défense prête à en découdre ?

Sommaire

CÔTÉ ACCUSATION

Fatou Bensouda, la procureure de la CPI, aura, à partir du 28 janvier, la lourde tâche d’apporter les preuves de la culpabilité de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et de l’ancien leader des Jeunes patriotes Charles Blé Goudé. Son bureau les accuse de quatre chefs de crimes contre l’humanité : meurtres, actes inhumains et tentative de meurtre, viols et persécutions. Son dossier d’accusation sera-til à la hauteur de la gravité des faits reprochés, mais aussi de l’événement historique que représente ce premier procès d’un ancien chef d’État à la CPI ? C’est la question que nombre d’observateurs et de détracteurs se posent.

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Dans la première partie du procès, c’est elle qui ouvrira les hostilités. Une chose est d’ores et déjà sûre : sa prise de parole sera longue. Lors de l’audience de mise en état (qui permet de régler les aspects techniques) du 14 janvier, son bureau a ainsi indiqué qu’il lui faudrait près de 522 heures afin de présenter ses près de 5 300 éléments de preuves. Parmi ces derniers, de nombreuses vidéos, mais aussi des documents de multiples natures (archives, écoutes téléphoniques…), dont une partie a été saisie dans la résidence présidentielle de Laurent Gbagbo après son arrestation, le 11 avril 2011. Selon un proche du dossier, la procureure devrait en outre citer 138 témoins, dont des victimes et des membres de la société civile, bien sûr, mais réserve aussi quelques surprises, dont le témoignage de deux anciennes figures militaires pro-Gbagbo.

Le but de Bensouda est clair : prouver que Gbagbo a planifié et ordonné une série d’attaques meurtrières pour se maintenir par tous les moyens au pouvoir malgré sa défaite dans les urnes. Il serait donc pénalement responsable à titre individuel (avec son entourage immédiat, en tant que coauteur), mais aussi, si les juges le décident, en tant que chef militaire, et donc responsable de crimes commis par ses subordonnés.

Quatre évènements majeurs 

Pour le prouver, l’accusation a choisi stratégiquement de se concentrer sur quatre événements « représentatifs de crimes commis par les forces pro-Gbagbo dans le cadre d’une série d’attaques lancées par M. Gbagbo pendant les violences postélectorales » et qui se sont exclusivement déroulés à Abidjan :

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la manifestation des pro-Ouattara autour de la Radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI) entre le 16 et le 19 décembre 2010 ;

• la marche de femmes pro-Ouattara à Abobo le 3 mars 2011 ;

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• le bombardement d’un marché d’Abobo le 17 mars 2011 ;

• l’attaque de Yopougon autour du 12 avril 2011.

Les attaques survenues à Yopougon entre le 25 et le 28 février sont également ajoutées dans la procédure visant Charles Blé Goudé. Des événements « représentatifs », auxquels s’ajoute aussi une liste d’une trentaine d’« autres actes de violence » très précis « commis contre la population civile ».

Pour muscler leurs preuves, les équipes de Fatou Bensouda ont mis les bouchées doubles ces derniers mois. Grâce au ministère français de la Défense, l’accusation disposerait notamment d’« une liste de toutes les armes que le pouvoir Gbagbo aurait entassées dans sa résidence présidentielle, établie sur place par les troupes françaises ».

Pour certains, le déluge de preuves annoncées peut cacher une autre stratégie, moins avouable mais tout à fait complémentaire de celle qui se concentre sur le fond : « Jouer sur la forme, sur la quantité de preuves, pour que dans toute cette masse il y ait forcément quelque chose à retenir, même un filet de cohérence prouvant la criminalité de Gbagbo », explique un membre d’une ONG internationale, qui suit de près le dossier.

Les crimes sur lesquels sera jugé l'ancien président © J.A.

Les crimes sur lesquels sera jugé l'ancien président © J.A.

CÔTÉ DÉFENSE

Les équipes de la défense de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, menées respectivement par Me Emmanuel Altit et Me Geert Alexander Knoops, ont un défi : démanteler l’argumentaire de la procureure. En menant dans un premier temps des contre-interrogatoires, puis en présentant à leur tour leur dossier, leurs preuves. De l’aveu même des avocats de Laurent Gbagbo, les quatre années de procédure qui viennent de s’écouler leur ont permis de compenser le fait que l’accusation « avait beaucoup plus de moyens ». L’un des axes majeurs de la défense sera de remettre en question la légitimité même d’un procès qu’elle estime partial.

Comment ? En insistant d’abord sur l’origine des violences postélectorales. Un choix qui s’explique en grande partie par le fait que l’ancien président reste arc-bouté sur sa position : il a gagné les élections de 2010, les violences ont donc été engendrées par le refus d’Alassane Ouattara de reconnaître sa défaite. « Plus trivialement : c’est comme si l’on vous chassait de votre maison pour y mettre quelqu’un d’autre et que l’on vous arrêtait ensuite en vous reprochant de vous être débattu, explique un proche de Gbagbo. Dans ce cas, êtes-vous le seul responsable des violences ? Nous disons « non ». » L’idée est donc de convaincre les juges qu’il manque certains personnages dans le box des accusés, et que, de fait, la situation ivoirienne de l’époque ne peut être jugée.

Contrer les arguments de la procureure

Pour la défense, le choix des quatre « événements représentatifs » (ou cinq dans le cas de Blé Goudé) sur lesquels se concentre la procureure est contestable, car ils constituent – comme l’expliquait Me Altit durant l’audience de confirmation des charges – « autant de tournants dans la crise ivoirienne, autant d’étapes de « délégitimation » du président Gbagbo, et autant d’étapes dans l’engagement de certaines puissances dans le conflit. Le choix de ces quatre événements donne à lire un récit, à croire une histoire. » À charge pour la défense d’exposer lors du procès « un narratif alternatif, plus crédible », selon elle, en se fondant sur de nombreux témoignages. Me Altit, qui, selon de nombreux observateurs, ne s’est pas ménagé et a minutieusement préparé son dossier, a notamment contacté des diplomates étrangers afin de les convaincre de témoigner. Ont-ils accepté ? Pour le moment, le camp Gbagbo garde farouchement le secret.

La défense se prépare tout de même à contrer les preuves de la procureure sur chacun de ces événements, avec en filigrane trois idées-forces : d’abord, l’insuffisance des preuves « médiatiques », en affirmant, comme le dit un autre proche de Gbagbo, qu’en « Côte d’Ivoire les journaux notamment ne sont que la caisse de résonance de ceux qui les financent et de ce qu’ils sont chargés de promouvoir. Leurs écrits reflètent très rarement la réalité des situations ». Ensuite, l’impossible neutralité des témoins cités par l’accusation. Et, enfin – notamment dans le cas de Blé Goudé -, l’incompréhension de la culture ivoirienne et de son langage populaire ou urbain.

Voici la position de la défense pour chaque événement :

• manifestation de la RTI : seront présentées des images de la chaîne France 24 montrant des hommes de l’ex-comzone Issiaka Ouattara, alias Wattao (des pro-Ouattara), tirer sur la foule ;

• marche des femmes d’Abobo : des témoignages sont censés prouver que ces dernières sont tombées dans un piège qui ne leur a pas été tendu par les pro-Gbagbo ;

• bombardement d’Abobo : la défense s’attellera à démontrer qu’il n’a pas eu lieu ;

• attaques perpétrées à Yopougon autour du 12 avril : la défense tentera de prouver que Gbagbo y est étranger, étant donné qu’il avait déjà été arrêté et qu’il a été transféré dès le 13 avril à Korhogo, dans le nord du pays.

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