Terrorisme : Belmokhtar perdu dans les sables
Un jour on le croit en Libye, le lendemain au Mali… Pourtant traqué de toutes parts, l’instigateur des attentats les plus spectaculaires du Sahel occidental reste introuvable.
In Amenas, dans le Sud algérien (au moins 37 morts), Arlit et Agadez, au Niger (24 morts), la Terrasse, à Bamako (5 morts), le Radisson Blu, à Bamako encore (22 morts), et aujourd’hui Ouagadougou (30 morts)… Les attaques les plus spectaculaires qui ont endeuillé le Sahel occidental ces trois dernières années portent toutes la même griffe : celle du chef d’Al-Mourabitoune, Mokhtar Belmokhtar, alias Khaled Abou al-Abbas. À chaque fois, c’est le même scénario : un commando fait irruption dans un lieu hautement symbolique et fréquenté par des Occidentaux, tire dans le tas, prend des otages s’il le faut, et finit par se donner la mort. Pas de quartier, pas de frontières, telle pourrait être la devise de l’homme le plus recherché du désert saharien.
Cet homme, ennemi public numéro un dans la région pour la France, les États-Unis et nombre d’États ouest-africains, mais aussi pour la branche libyenne de l’État islamique, qui a mis sa tête à prix l’an dernier, est un mystère. Où est-il ? Comment vit-il ? De quelles forces dispose-t-il ?
L’ennemi public numéro un serait en Libye
« On ne peut pas dire où il se trouve précisément », convient-on au sein des services de renseignements français. En Libye, très certainement, depuis le déclenchement de l’opération Serval en janvier 2013, pense-t-on à Paris. Belmokhtar a eu à l’époque l’intelligence de ne pas croire en sa bonne étoile au point de s’imaginer pouvoir échapper aux bombes françaises et aux rezzous tchadiens. Abou Zeid, son meilleur ennemi dans la galaxie jihadiste, tué dans son repaire de l’Adrar des Ifoghas, n’avait pas eu la même clairvoyance.
« Le Borgne » serait donc en Libye. Mais où ? Dans le Sud, près de Sebha, peut-être. On dit, au Niger, qu’il y aurait pris femme, comme il le fit au Mali dix ans plus tôt dans le but de nouer des alliances locales. Dans le Nord, du côté de Benghazi, plus sûrement. On l’a même donné pour mort là-bas. C’était en juin 2015. Les Américains pensaient l’avoir repéré dans une ferme près d’Ajdabiya, censée abriter une réunion de high value targets (« cibles de grande valeur »), qu’ils avaient bombardée. Las : comme toutes les fois précédentes où l’on avait cru son heure venue, cette information n’a jamais été confirmée. « Nous n’avons aucune preuve de sa mort… ni qu’il est en vie, reconnaît-on à Paris. On continue donc à le chercher. »
Chassé du Mali, où il avait fait son nid après avoir fui son pays, l’Algérien de 43 ans a vraisemblablement trouvé, dans le chaos libyen, un repaire idéal. Peut-être même un futur théâtre d’opérations. Il est possible qu’il en sorte parfois. En décembre 2015, les services de renseignements maliens ont écrit dans une note qu’il aurait fait un passage éclair au Mali, en dépit des drones français et américains. Le but ? « Préparer de nouvelles attaques et remodeler son organisation », croit-on à Bamako.
Al-Mourabitoune, rallié à Aqmi ?
Né en août 2013 d’une fusion entre son mouvement « Les signataires par le sang » et le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) d’Ahmed El Tilemsi, tous deux issus d’une scission au sein d’Aqmi, Al-Mourabitoune est articulé autour d’un conseil consultatif et de deux groupes opérationnels : l’un serait chargé des « opérations intérieures » (au Mali) et l’autre des « opérations extérieures ». Selon les services maliens, il compterait 200 combattants (d’autres sources parlent d’un millier).
Ces trois dernières années, Belmokhtar a perdu plusieurs de ses lieutenants, tombés sous les balles ou les bombes de l’armée française. « Sa chaîne de commandement a été brisée », souligne un rapport des services maliens. Le mouvement est en outre divisé depuis que le chef de sa branche malienne, Adnan Abou Walid al-Sahraoui, a prêté allégeance à l’État islamique (EI) en mai 2015 – ce que Belmokhtar avait immédiatement dénoncé. Mais « son pouvoir de nuisance est intact », note la même source.
Depuis, Abdelmalek Droukdel, l’émir d’Aqmi, a annoncé le ralliement d’Al-Mourabitoune et de Belmokhtar, sans que l’on connaisse la nature réelle de leur lien. Pourquoi ce dernier, qui avait claqué la porte du mouvement il y a trois ans (tout en clamant sa fidélité à Al-Qaïda central) serait-il revenu au bercail ? Et surtout, à quel prix ? Et pour quelles raisons Droukdel, qui lui avait reproché son indépendance avant leur rupture, l’aurait-il accueilli ?
« Aqmi a perdu beaucoup de chefs ces trois dernières années, et donc un peu de son influence, estime un officier nigérien chargé de la lutte antiterroriste. Droukdel, qui se trouve en Kabylie, loin du « front », est isolé. On peut penser que Belmokhtar n’est pas revenu sans l’assurance de jouer un rôle majeur. Droukdel en avait besoin pour contrer l’avancée de l’EI et aussi parce que Belmokhtar représente une force de frappe importante avec ses opérations spectaculaires ». De celles qui, comme à Ouaga, sèment la mort en un endroit donné et la terreur dans le reste du monde.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles