Tunisie : y a-t-il un pilote dans l’avion ?

C ‘était inéluctable. À Kasserine comme à Sidi Bouzid ou à Gafsa, le feu couvait sous la braise de la révolution. Il fallait être sourd et aveugle pour ne pas discerner la véritable bombe à retardement que constitue le centre défavorisé du pays, foyer du soulèvement de 2011 et véritable ghetto social laissé en déshérence depuis cinq ans.

Une manifestation sur l’avenue Bourguiba, à Tunis, le 23 janvier 2015 © Riadh Dridi/AP/SIPA

Une manifestation sur l’avenue Bourguiba, à Tunis, le 23 janvier 2015 © Riadh Dridi/AP/SIPA

MARWANE-BEN-YAHMED_2024

Publié le 25 janvier 2016 Lecture : 2 minutes.

Situation inique et explosive que, fin décembre encore, nous dénoncions dans ces colonnes. Gouvernorats assiégés, barricades et pneus brûlés du côté des émeutiers, grenades lacrymogènes du côté des forces de l’ordre. Depuis plus d’une semaine, c’est l’embrasement. Le scénario est immuable. Comme en 2011, il a suffi d’une étincelle – un jeune chômeur écarté d’une liste d’embauche dans la fonction publique monte sur un poteau pour protester et s’électrocute – pour que l’incendie se propage au reste du pays, cités de la capitale comprises. C’est l’expression d’un ras-le-bol inouï face aux promesses non tenues. D’une détresse incommensurable qui pousse des jeunes à menacer de se jeter d’un toit si leurs revendications ne sont pas satisfaites…

Les chiffres, que n’importe quel ministre peut consulter, parlent d’eux-mêmes. Espérance de vie : 70 ans à Kasserine, 77 ans à Tunis ; taux de chômage : 26,2 %, contre 17,6 % dans l’ensemble du pays ; accès à l’eau potable : 27 %, contre 56 % en moyenne ; taux d’analphabétisme : 32 %, contre 12 % à Tunis ; alimentation en eau potable : 50 %, contre 90 % à Tunis ; indice de développement : 0,16, contre 0,76 en moyenne. On pourrait égrener les indicateurs à l’infini, le constat est toujours le même : le fossé était déjà considérable ; c’est devenu un gouffre.

Les partis restent muets, et les gouverneurs de région sont souvent abandonnés à eux-mêmes face à la contestation

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Comment en est-on arrivé là ? La faute en revient avant tout aux gouvernements qui se sont succédé depuis la chute de Ben Ali, mais aussi à la classe politique dans son ensemble. Tous brillent par leur total manque d’implication et de vision. Le décalage entre ces gens-là et le reste de la population est effarant. Personne ne croit que plusieurs décennies de marginalisation puissent s’évanouir par un coup de baguette magique.

Tout le monde sait que le pays souffre, que les caisses sont vides, que l’inflation galope, que la menace terroriste plane et que le chômage progresse partout (650 000 demandeurs d’emploi, dont 250 000 diplômés de l’université, contre 400 000 sous Ben Ali). Mais tout de même. Qu’a-ton fait en faveur de l’emploi ? Quelle idée a-ton lancée en dehors de la distribution de terres appartenant à l’État ? Quel projet, quel investissement majeurs a-ton réalisés ? Rien, aucun son, aucune image en provenance de la capitale. Les partis restent muets, et les gouverneurs de région sont souvent abandonnés à eux-mêmes face à la contestation.

À l’heure où ces lignes étaient écrites, aucun ministre, aucun responsable d’aucune sorte n’avait encore daigné se rendre sur le terrain. Un aveuglement incompréhensible qui en dit long sur l’incurie d’une classe politique qui a plus que jamais besoin de sang neuf. Et qui pose une question dramatique : y a-t-il un pilote dans l’avion ?

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