Primaires américaines : ces outsiders qui changent la donne

On pensait que rien n’empêcherait Hillary Clinton de conquérir la Maison Blanche. Puis est apparu l’ineffable Donald Trump. Puis le vétéran gauchiste Bernie Sanders. Et l’on n’est plus sûr de rien !

« Quelque chose ne tourne pas rond » : Bernie Sanders à Las Vegas, fin 2015. © MARK PETERSON/REDUX-REA

« Quelque chose ne tourne pas rond » : Bernie Sanders à Las Vegas, fin 2015. © MARK PETERSON/REDUX-REA

Publié le 5 février 2016 Lecture : 5 minutes.

Ces primaires 2016 resteront sans nul doute dans les annales. Parce que deux de leurs principaux protagonistes ont un profil totalement atypique. À ma droite, côté républicain, un milliardaire xénophobe, islamophobe et misogyne : j’ai nommé Donald Trump. À ma gauche, côté démocrate, un socialiste revendiqué, le sénateur Bernie Sanders, 74 ans. Le comble est que ces deux-là pourraient bien, à la surprise générale, l’emporter.

Début novembre, dans l’Iowa, Sanders recueillait 18 % des intentions de vote, contre 58 % pour Hillary Clinton. Le 25 janvier, on en était à 46 %, contre 47 % ! Plus incroyable encore, Sanders domine désormais Clinton dans le New Hampshire (53 %, contre 41 %), alors qu’ils étaient à quasi-égalité il y a deux mois.

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Le discours anti-capitaliste de Sanders attire les jeunes

La raison de ce grand bond en avant ? L’enthousiasme soulevé, surtout chez les jeunes, par le discours anticapitaliste de Sanders : frais d’inscription à l’université gratuits, couverture maladie universelle, etc. Dans sa ligne de mire : le pour-cent des Américains les plus riches, qu’il accuse d’avoir pris en otage la politique de leur pays. « Quelque chose ne tourne grotesquement pas rond en Amérique », estime-t-il. Interrogé sur la manière dont il fera passer ses réformes face à un Congrès qui pourrait être républicain, il répond que son élection entraînera une « révolution politique ».

Quoi qu’il en soit, Sanders tire sur Clinton à boulets rouges. Il rappelle qu’elle a touché de Goldman Sachs plus de 200 000 dollars pour un simple discours, alors que le revenu annuel moyen d’une famille américaine avoisine 53 000 dollars, et qu’au cours des deux dernières années elle a reçu de Wall Street quelque 2,5 millions de dollars. Idem sur le plan international. Quel rapport entre une Hillary très faucon et un Sanders fort peu interventionniste ? À la différence de la première, le second a par exemple voté en octobre 2002 contre la guerre en Irak.

 Sanders fait le plein dans ses meetings et a déjà engrangé plus de 2 millions de petites contributions électorales

Et ça marche ! Sanders fait le plein dans ses meetings et a déjà engrangé plus de 2 millions de petites contributions électorales émanant de particuliers. Avec son accent de Brooklyn à couper au couteau et ses formules chocs, il fait souffler sur la campagne un grand vent de fraîcheur. Face à lui, Clinton a le plus grand mal à trouver la parade. Elle se contente de le critiquer pour ses positions plutôt hostiles au contrôle des armes à feu, joue de sa popularité auprès des minorités et insiste sur l’événement sans précédent que constituerait l’arrivée d’une femme à la Maison Blanche.

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Hillary Clinton inspire la lassitude 

Elle affecte aussi de se draper dans la tunique d’unique héritière de Barack Obama – alors que ce dernier n’a pas fait connaître sa préférence entre les candidats à sa succession. Mrs Clinton ne manque pas d’air ! Qui ne se souvient de ses attaques haineuses contre l’actuel président lors de la campagne de 2008 ? Ou de ses désaccords publiquement exprimés à propos de la Syrie ?

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La vérité est que le principal handicap de l’ex-First Lady, c’est la lassitude qu’elle inspire à nombre d’Américains. Ne joue-t-elle pas les premiers rôles depuis près de vingt-cinq ans ? La polémique sur son compte e-mail à l’époque où elle était secrétaire d’État lui a également fait le plus grand tort. Tout comme son train de vie, dans un contexte de stagnation des salaires. Selon un récent sondage CNN de fin mai 2015, 57 % des Américains ne lui font pas confiance. Et puis, les fantômes du passé ont tendance ces temps-ci à ressortir des placards. Grâce à – ou à cause de – Trump, les vieilles frasques de Bill, l’inconstant mari de Hillary, font de nouveau les titres des gazettes. De l’art d’appuyer là où ça fait mal ! C’est d’autant plus gênant que la réussite de Hillary repose largement sur le soutien des femmes.

Si l’avance de Clinton reste confortable – elle est largement en tête dans les États du Sud et de l’Ouest, où le poids plus important des minorités joue en sa faveur – la lutte sera probablement serrée jusqu’au bout. Merci Bernie !

La bataille Trump – Cruz

Côté républicain, c’est un jeu de massacre. La course se jouera, semble-t-il, entre, d’une part, deux outsiders populistes, Trump et Ted Cruz, l’ultrapolarisant sénateur du Texas, et de l’autre, le sénateur Marco Rubio, qui est un peu le candidat de l’establishment. Exit Jeb Bush, trop terne et trop poli pour une campagne qui, dans le sillage de Trump, barbotte parfois dans le caniveau. Exit Rand Paul, en qui le magazine Time voyait il y a peu le personnage le plus intéressant de la politique américaine.

Le gouverneur Chris Christie, plombé par le scandale de la fermeture d’un pont entre le New Jersey et New York ; le neurochirurgien Ben Carson, que son ignorance crasse de la politique étrangère a fait chuter vertigineusement dans les sondages ; et le poussif gouverneur de l’Ohio, John Kasich, paraissent condamnés à jouer les seconds rôles.

Donald Trump © MARK PETERSON/REDUX-REA

Donald Trump © MARK PETERSON/REDUX-REA

Fin janvier, Trump devançait Cruz dans l’Iowa : 35 %, contre 26 % des intentions de vote. Dans le New Hampshire, la différence est encore plus nette : 32 %, contre 13 % (dans ces deux États, le score de Rubio est de l’ordre de 11 %). Après un pacte de non-agression qui a duré quelques mois, Trump et Cruz sont aujourd’hui à couteaux tirés. Le premier, que ses propos orduriers contre les Mexicains et les musulmans n’ont nullement discrédité, accuse le second de ne pas être éligible et d’être pro-immigration.

Cruz, qui est tout sauf sympathique – l’un de ses anciens camarades de fac préférerait voir à la Maison Blanche un inconnu pris au hasard dans l’annuaire -, instruit contre son adversaire un procès en incompétence, tout en critiquant ses « valeurs de New-Yorkais ». Chaude ambiance !

Rubio tente pour sa part de jouer une partition plus modérée. Ses défaites dans l’Iowa et le New Hampshire paraissent inéluctables, mais il espère pouvoir par la suite revenir sur les leaders de la course avec l’aide de l’establishment du parti. Débordés par leur base, les caciques du GOP sont pour leur part en plein cauchemar.

Trump ou Cruz ? Ils les détestent l’un et l’autre assez équitablement, mais s’il leur fallait absolument choisir, ils prendraient Trump. Rival malheureux de Bill Clinton en 1996, Bob Dole a fait ce choix, parce qu’il juge Cruz trop jusqu’au-boutiste – ne fut-il pas en 2013 le grand artisan de la fermeture du gouvernement ? Le contexte est à ce point volatil qu’une candidature indépendante n’est pas à exclure. Michael Bloomberg, l’ancien maire de New York, y songerait sérieusement.

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