WhatsApp, Skype et Viber, le casse-tête des opérateurs
Le secteur de la téléphonie mobile est bouleversé par le boom des applications internet. Entre mesures de rétorsion et course à l’innovation, les acteurs historiques revoient leurs stratégies.
Le phénomène WhatsApp en Afrique
Si WhatsApp, acheté par Facebook en 2014, est un pur produit de la Silicon Valley, l’application s’est épanouie bien loin des collines californiennes, en plein cœur du continent africain. Moins chère, plus sécurisée, adaptée à des connexions internet faibles, elle a conquis l’Afrique, au point d’en bouleverser les codes, de la politique à la vie privée.
Peu audible jusqu’à présent, la grogne des opérateurs africains de téléphonie mobile contre les applications offrant des services de messagerie et de voix sur internet (Skype, WhatsApp et Viber) s’est muée en une offensive au grand jour au cours des derniers mois. « Ces acteurs dégagent des bénéfices énormes ! Mais combien ont-ils investi en Afrique du Sud ? Zéro ! » s’insurgeait Mteto Nyati en octobre 2015. Le patron de MTN South Africa a demandé à l’Icasa, le régulateur national, d’intervenir pour parvenir à un « traitement équitable » entre les opérateurs de télécoms et les services par contournement, dits OTT (pour « over-the-top services »), qui permettent le transfert de sons, de messages et de vidéos via internet, sans lien avec le fournisseur de réseau.
Au Maroc, les opérateurs sont déjà passés à l’action. Depuis fin décembre 2015, l’utilisation des applications de téléphonie est bloquée sur les réseaux 3G et 4G. Une mesure drastique qui suscite une vive opposition des utilisateurs, qui ont multiplié les pétitions et tentatives de contournement.
« Contrairement aux opérateurs, les services OTT opèrent sans licence ni cahier des charges, ne paient pas d’impôts dans les pays africains et peuvent rapatrier librement leurs revenus », décrypte Demba Diop, membre du conseil de régulation de l’ARTCI, en Côte d’Ivoire. « Dans la plupart des cas, nous constatons une perte de chiffre d’affaires allant de 10 % à 30 % dans la voix à l’international et de 10 % à 20 % pour les SMS », observe Guy Zibi, directeur général du cabinet spécialisé Xalam Analytics. Des pertes qui ne sont pas compensées par la progression de la consommation de données via l’internet mobile (la « data »), la voix représentant encore près de 80 % du chiffre d’affaires du secteur.
Cette concurrence de WhatsApp et consorts survient alors même que la profitabilité du secteur des télécoms est en recul et que les opérateurs doivent renforcer leurs investissements pour augmenter la capacité de leurs réseaux. Entre 2005 et 2010, selon Xalam Analytics, la taille du marché de la téléphonie mobile en Afrique a doublé, passant de 21 milliards à 50 milliards de dollars (de 17,7 milliards à 37,7 milliards d’euros). Mais, entre 2010 et 2014, la croissance n’a été que de 1,4 % par an. A contrario, le secteur des applications sur internet est florissant ; en témoigne le rachat de WhatsApp par Facebook pour 22 milliards de dollars, fin 2014.
Surfacturation
À travers le continent, les groupes de télécoms ont multiplié les mesures de rétorsion, de la fermeture de l’accès de ces applications à l’internet mobile jusqu’à la réduction du débit, en passant par une surfacturation de la data utilisée par ces services. Des mesures adoptées dans un environnement juridique incertain. En mars 2015, le régulateur sénégalais a ainsi rappelé Sonatel à l’ordre : la filiale du français Orange était soupçonnée d’avoir bloqué illégalement Viber et Skype.
En Égypte et au Maroc, en revanche, les instances de régulation ont elles-mêmes défendu le blocage de ces applications. « L’acheminement de tout trafic téléphonique au Maroc ne peut être assuré que par des exploitants de réseaux publics », a estimé l’ANRT début janvier. Sous la pression de MTN et de Vodacom, l’Assemblée nationale sud-africaine a quant à elle lancé le 26 janvier une consultation parlementaire au sujet des services OTT.
Les régulateurs sont dans une position difficile. « D’un côté, l’interdiction de ces applications est mal vue par les populations et peut retarder l’innovation ; de l’autre, leur impact sur les revenus des opérateurs et des États [licences, impôts, taxes] est important », souligne Guy Zibi. Les mesures de rétorsion sont loin de faire l’unanimité, même parmi les opérateurs, et sont rejetées par les experts du secteur. « C’est un combat d’arrière-garde, tranche Russell Southwood, directeur général du cabinet spécialisé Balancing Act. À long terme, tout se fera via la data, y compris les appels téléphoniques. Ils défendent un modèle économique très lucratif qui sera bientôt révolu. »
Percée
Si elle est particulièrement aiguë en Afrique, la menace posée par les services OTT est loin d’être restreinte au continent. « Ce sujet devrait être au cœur des discussions lors du sommet de la GSM Association [qui rassemble plus de 800 opérateurs dans le monde], fin février à Barcelone [Espagne] », dévoile Demba Diop. Le cabinet américain Arthur D. Little a calculé que Skype représente aujourd’hui 25 % des minutes d’appels transfrontaliers. Selon le cabinet britannique Ovum, sur la période 2012-2018, la hausse des appels sur les applications OTT est attendue à 20 % par an, pour atteindre 1 700 milliards de minutes, soit un manque à gagner de 386 milliards de dollars pour les opérateurs au cours de cette période.
Pour répondre à la percée des services OTT, les groupes de télécoms ne sont pas démunis, explique Thecla Mbongue, du cabinet Ovum. Ils proposent de plus en plus d’offres data groupées intégrant WhatsApp ou Facebook Messenger, à l’image de Cell C en Afrique du Sud ou de l’indien Airtel au Nigeria.
Pour Orange, MTN ou Airtel, la solution passe plutôt par de nouveaux relais de croissance, avec des services à valeur ajoutée dans la santé, l’éducation, les services financiers
Ce modèle, omniprésent en Asie du Sud-Est, leur permet de tirer davantage de revenus de la popularité de ces services via la hausse des ventes de leurs forfaits data. Cette offre peut être étendue à la vidéo et à la musique en ligne, comme le montre l’accord passé en 2015 entre Millicom (marque Tigo) et le distributeur de contenus néerlandais MoMac en Amérique latine. Une autre option consiste à développer ses propres applications de messagerie et d’appel, à l’instar de l’offre Libon d’Orange, toutefois limitée au wifi.
Mais rivaliser avec les services OTT sur leur terrain s’annonce loin d’être aisé. « C’est un tout autre métier, ils tirent leurs revenus de la vente de publicité et de données », fait remarquer Demba Diop. Pour Orange, MTN ou Airtel, la solution passe plutôt par de nouveaux relais de croissance, avec des services à valeur ajoutée dans la santé, l’éducation, les services financiers… « Il n’est pas impossible que les principaux opérateurs d’aujourd’hui soient les grandes banques de demain », avance l’expert ivoirien. La création d’Orange Banque, annoncée en 2017, inquiète déjà les établissements financiers.
EN AFRIQUE DU SUD, MIXIT N’A PAS RÉSISTÉ
Lancé en 2005 par Herman Heunis, un informaticien d’origine namibienne, Mxit permet d’échanger des messages via un outil simplifié accessible sur les téléphones mobiles ordinaires, offrant ainsi une alternative aux SMS (à l’époque relativement coûteux). Après une croissance foudroyante, le réseau revendiquait 10 millions d’utilisateurs en 2011.
Emporté par la vague WhatsApp, il est aujourd’hui tombé à 1,5 million d’aficionados aujourd’hui. L’émergence des smartphones à prix abordable permettant d’accéder à davantage de fonctionnalités et d’applications a eu raison de Mxit, qui, en octobre 2015, a fait don de ses actifs (propriété intellectuelle, adresses IP et infrastructures) à la fondation sud-africaine The Reach Trust, spécialisée dans l’éducation et les services sociaux.
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