L’énigme Lémine Ould Salem, réalisateur de « Salafistes »

Son film Salafistes, truffé de vidéos de propagande de Daesh, est au cœur d’une controverse en France. Le journaliste mauritanien, spécialiste des mouvements jihadistes au Sahel, est-il allé trop loin ?

Lemine Ould Salem, à Paris, le 28 janvier. © VINCENT FOURNIER/J.A.

Lemine Ould Salem, à Paris, le 28 janvier. © VINCENT FOURNIER/J.A.

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Publié le 3 février 2016 Lecture : 3 minutes.

À la projection privée de son film à l’Institut du monde arabe, le 26 janvier à Paris, le journaliste mauritanien Lemine Ould Salem, silhouette frêle, main devant la bouche, donnait presque l’impression de s’excuser d’être là, comme dépassé par la tournure par trop médiatique de cette quasi-« affaire d’État ». Son Salafistes a été interdit en salles aux moins de 18 ans, en France. On lui reproche principalement d’avoir utilisé dans ce film coréalisé avec le Français François Margolin des images de propagande de Daesh sans avertissement.

Lemine Ould Salem dénonce un « procès politique ». Derrière ses lunettes carrées d’intellectuel se cache une personnalité intrigante, ambiguë pour certains, courageuse pour d’autres, vraisemblablement tourmentée et fragile, bien loin de l’image du « coq gaulois reporter de guerre », ironise l’un de ses proches.

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Pour ajouter au mythe, Ould Salem, né à Moudjeria en 1968, non loin de la frontière malienne, est un musulman pratiquant, fils de notables conservateurs Talhaoui – une tribu guerrière maraboutique à cheval entre Mauritanie et Algérie. « Il a le profil type du parfait insider, précise Antoine Glaser, qui a travaillé avec lui à Maghreb émergent. Il est très discret, ne se met pas en avant, mais s’infiltre et ne bidonne pas. »

Ces liens étroits avec la mouvance jihadiste ont fini par alimenter un soupçon de connivence. L’auteur du Ben Laden du Sahara. Sur les traces du jihadiste Mokhtar Belmokhtar (éd. de La Martinière, 2014) n’en est pas à sa première polémique. En 2013, lors de l’attaque du site gazier d’In Amenas, planifiée par « le Borgne », certains lui reprocheront d’avoir réussi à joindre par téléphone pour France 24 Abou al-Baraa, l’un des meneurs du commando.

Des soupçons sur ses relations avec les djihadistes

Plus récemment, il s’est brouillé avec le réalisateur Abderrahmane Sissako, qu’il a accusé d’avoir « pillé ses images » réalisées au Nord-Mali pour son film Timbuktu, sorti en 2014. En effet, en avril 2012, « Lem » est d’abord envoyé par la chaîne de télévision française M6 pour réaliser un reportage sur la rébellion touarègue. Hassan Fagaga, responsable militaire du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), se souvient d’un « professionnel intègre, même si on se méfie toujours des journalistes arabes, souvent proches des jihadistes ».

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À l’époque, les combats tournent à l’avantage d’Aqmi et du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), qui s’installent respectivement à Tombouctou et à Gao. Le journaliste free-lance prend alors contact avec les jihadistes et débarque en septembre pour y tourner un film sur la charia, « au plus près de la réalité ». Il y croise Omar Ould Hamaha, alias Barbe rousse, le chef du Mujao, très présent dans le film, et qui sera tué en 2014.

« Certains disent avoir vu le « Mauritanien », raconte le réalisateur malien Moustapha Diallo, qui a lui-même tourné en clandestinité à Gao pour France 2. On dit aussi qu’il aurait acheté quelques séquences de lapidation à un certain Sidi, le caméraman des jihadistes, sans avancer de preuves. Au Mali, les réalisateurs mauritaniens ont souvent mauvaise presse. »

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Un pro du terrain

Lemine Ould Salem balaie ces rumeurs d’un revers de la main : « Tout cela est faux, on m’a donné certaines images, et j’ai filmé le reste en instaurant un climat de confiance. À l’époque déjà, j’avais peur que des jaloux me fassent passer pour un espion et que ça se retourne contre moi. » Connu et reconnu dans le petit sérail des journalistes africanistes, Ould Salem, outre une parfaite maîtrise de l’arabe et du targui, possède un gros carnet d’adresses dans ce Sahel qu’il couvre depuis une quinzaine d’années.

Un avantage sur ses collègues européens qui lui a permis de collectionner les scoops, tel ce reportage paru dans Libération en juillet 2007, sur un centre de détention antiterroriste de la CIA tenu secret en Mauritanie. Des révélations chocs qui lui vaudront quelques inimitiés. « Il sent un peu le soufre car il frôle les limites, résume Thomas Hofnung, ancien chef du service étranger à Libération. Mais c’est un pro, qui essaie surtout de se débrouiller pour vivre. »

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