Présidentielle au Gabon, c’est reparti pour un tour
À huit mois de la présidentielle, c’est l’heure du bilan. Et celle des déclarations assassines. L’image du pays sera-t-elle à nouveau ternie par une campagne où, comme en 2009, tous les coups seront permis ?
Le Gabon a-t-il (vraiment) changé ?
À huit mois de la présidentielle, c’est l’heure du bilan.
Avis de gros temps au Gabon. La présidentielle doit se tenir entre le 16 août et le 16 septembre prochains. Or la précédente, en 2009, riche en émotions, avait soulevé une tempête qui avait duré des mois. Entre le recomptage des voix et les émeutes de Port-Gentil en septembre 2009, la prestation de serment d’André Mba Obame – qui s’était autoproclamé président -, puis la dissolution de son parti, l’Union nationale (UN), et la constitution de son « gouvernement alternatif » – qui s’était retranché dans les bureaux du Pnud -, le pays avait frôlé la sortie de route.
Aujourd’hui, la crainte de revivre de tels moments de tension est palpable. « Je n’ai pas peur », dédramatise René Aboghé Ella, le président de la Commission électorale nationale autonome et permanente, déjà grand manitou de la présidentielle de 2009. « Si l’élection se tient un samedi, j’aimerais pouvoir donner les résultats le lundi suivant », espère-t-il. Ce qui est techniquement possible étant donné que le collège électoral est relativement restreint (environ 580 000 électeurs attendus dans quelque 3 000 bureaux de vote) et que l’introduction de la biométrie en 2013 devrait rendre les opérations plus fiables.
La campagne 2016 ressemblera-t-elle à celle de 2009 ?
Rendez-vous est donc pris pour dans sept mois environ. Et dans cette vaste forêt équatoriale percée de clairières urbanisées qu’est le Gabon, où à la sortie des grands fauves répond le silence des oiseaux, on entend déjà rugir les lions. Tenaillés par leur insatiable appétit de pouvoir, luttant pour s’imposer en leaders de leur clan, rassemblant argent, partisans et alliés pour le grand jour (le scrutin n’a qu’un seul tour), certains mènent campagne depuis plus d’un an.
C’est le cas de Jean Ping, désigné le 15 janvier candidat unique du Front uni de l’opposition pour l’alternance (Fuopa), qui, depuis, s’est scindé en deux camps, plusieurs membres de poids de cette coalition rejetant cette « désignation ». Bien qu’une partie de l’opposition lui soit viscéralement hostile, rien n’a empêché l’ex-chef de la diplomatie d’Omar Bongo Ondimba et ancien président de la commission de l’Union africaine de se poser depuis des mois comme le principal adversaire d’Ali Bongo Ondimba (ABO). Les deux rivaux de ce dernier en 2009 (Pierre Mamboundou et André Mba Obame) étant décédés, Ping veut reprendre le flambeau. Il essaie même de capter l’héritage de Mba Obame en se réappropriant ses formules cultes.
« Si je suis une partie du problème, je suis également une partie de la solution », déclarait-il début janvier pour justifier son ralliement à l’opposition et, surtout, sa légitimité à prendre la tête de sa principale coalition, après avoir fait toute sa carrière au sein du pouvoir. Il a par ailleurs recruté ses nouveaux collaborateurs dans le vivier des cadres de l’UN, au grand dam de Zacharie Myboto, président du parti, et de Casimir Oyé Mba, l’un de ses vice-présidents.
Au cours de la campagne 2016, on verra une nouvelle fois à quel point la vie politique est rude au Gabon. Et parfois peu reluisante. Quarante ans d’argent facile ont perverti les mœurs politiques et enfanté une classe dirigeante grouillant d’opportunistes âpres au gain et dont la moralité est à géométrie variable. Certains, passés maîtres dans l’art du retournement de veste, ont contribué à enraciner l’idée qu’on ne prend pas la carte d’un parti pour ses idées, pas plus qu’on en démissionne par conviction. Pour eux, tout se vend, tout s’achète, tous les coups sont permis. Et les procédés utilisés sont souvent détestables, qu’ils visent le président sortant ou les leaders de l’opposition.
Le bilan du septennat
Au Palais du bord de mer, le scénario de la candidature du chef de l’État prend forme, non sans fébrilité. Au sein de la majorité, le climat est orageux. Certains barons ont démissionné du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir) avec fracas, s’estimant mal récompensés du soutien qu’ils avaient apporté au candidat « Ali » en 2009. Quelques-uns expriment leur désaccord sans quitter le parti, à l’instar des promoteurs du courant Héritage et Modernité, animé par l’ancien ministre du Pétrole Alexandre Barro Chambrier. D’autres gardent le silence en attendant que vienne l’heure où l’on aura besoin d’eux. Toujours est-il que l’entourage du président semble vivre dans la suspicion et la hantise d’être trahi.
Le temps est venu, aussi, de faire le bilan du septennat. Bien qu’assombri depuis un an par la chute des cours du brut et malgré l’inachèvement de nombreux chantiers – parce que mal dimensionnés -, l’état des lieux est plutôt bon. Libreville, la vitrine du pays, a changé. Les sièges sociaux de grandes entreprises poussent ici et là, donnant à la capitale un visage dynamique et moderne. Le cap a été clairement défini par le Plan stratégique Gabon émergent (PSGE) et, au-delà des grandes agglomérations, la politique de grands travaux a transformé le pays.
L’État a lancé un programme agricole ambitieux, qui constitue le plus gros investissement depuis le Transgabonais (lire p. 84). La Zone économique à régime privilégié de Nkok, qui a demandé un investissement de 347 milliards de F CFA (près de 530 millions d’euros), se développe : plusieurs unités industrielles, dont deux fonderies, y sont déjà en phase de production.
L’interdiction d’exporter le bois en grumes, mise en place progressivement depuis 2010, a favorisé la création d’usines locales
« À partir de 2020, nous n’exporterons plus rien qui ne subisse au préalable une première transformation locale », a promis ABO. L’interdiction d’exporter le bois en grumes, mise en place progressivement depuis 2010, a favorisé la création d’usines locales et, selon le gouvernement, de plus de 7 000 emplois. De même, le démarrage des unités du complexe métallurgique de Moanda (Sud-Est), en août 2014, constitue un pas de plus vers l’industrialisation du pays.
Les finances publiques ont été assainies, leur réforme a donné du sens à la dépense publique (lire p. 78). Mieux, pour l’exercice 2016, on note un retour à « l’orthodoxie » budgétaire : le niveau global des ressources et des dépenses de l’État s’établit à environ 2 625 milliards de F CFA et tranche avec les budgets de plus de 3 000 milliards de F CFA de 2013 et de 2014, qui ne semblaient pas cadrer avec les capacités de financement réelles. « Le budget 2016 marque un retour au réalisme et à la soutenabilité des finances publiques, explique Jean Fidèle Otandault, le directeur général du budget. L’objectif est que tout franc engagé soit effectivement décaissé pour que soit restaurée la crédibilité de l’État. »
En matière de santé, la mise en place de la Caisse nationale d’assurance-maladie et de garantie sociale a permis d’améliorer la prise en charge des malades et le pouvoir d’achat des plus défavorisés. L’ouverture du Centre hospitalier universitaire d’Angondjé et de l’Institut de cancérologie de Libreville, de même que les actions de dépistage des cancers, notamment féminins, ont permis de progresser dans la lutte contre la maladie et d’améliorer les conditions d’accueil et de vie des patients dans toutes les provinces.
Plus de 30 % des Gabonais (95 000 ménages) vivent encore en dessous du seuil de pauvreté, avec moins de 80 000 F CFA (environ 120 euros) par mois
Parmi les points négatifs, le niveau de corruption reste préoccupant et les mesures dissuasives se révèlent insuffisantes. Carton jaune aussi pour le maintien du visa aux frontières pour les ressortissants de la Cemac, alors qu’une décision des chefs d’État en a recommandé la suppression pour favoriser l’intégration régionale.
La principale ombre au tableau reste la redistribution des richesses. Selon une étude commandée par le chef de l’État lui-même et réalisée fin 2013 par le cabinet américain McKinsey, plus de 30 % des Gabonais (95 000 ménages) vivent encore en dessous du seuil de pauvreté, avec moins de 80 000 F CFA (environ 120 euros) par mois. Comment expliquer que, dans un pays riche en pétrole, en bois, en minerais, et qui ne compte que 1,8 million d’habitants, un tiers de la population vive dans la précarité ? Un constat qui a incité ABO à lancer, début 2014, un plan de développement humain mobilisant 250 milliards de F CFA supplémentaires sur trois ans pour financer sa politique sociale.
Mais les changements les plus importants ne sont pas quantifiables, car ils portent sur l’image du pays. Un Gabon désormais résolument à la recherche de nouveaux moteurs de croissance et qui n’est plus la chasse gardée de quelques grands groupes agissant à leur guise ou peu soucieux d’investir. Un pays ouvert à de nouveaux partenaires et où le tissu de PME locales se densifie. Autant de facteurs qui ont changé l’idée que l’on se faisait du Gabon.
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