Jean-François Hénin : « Pour résister, il faut grandir »

Active au Gabon, en Tanzanie et en Namibie, la junior pétrolière française annonce des revenus 2015 en forte baisse. Dans une conjoncture compliquée, son patron confie sa feuille de route à J.A.

Jean-François Hénin, président de Maurel & Prom © DR

Jean-François Hénin, président de Maurel & Prom © DR

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 19 février 2016 Lecture : 5 minutes.

Surnommé jadis « le Mozart français de la finance », connu pour son passage à la tête d’Altus Finance, la filiale du Crédit lyonnais qui a multiplié les investissements controversés au début des années 1990, Jean-François Hénin, 71 ans, a eu plusieurs vies professionnelles. Il préside depuis 1999 le pétrolier Maurel & Prom, l’unique junior française cotée à Paris, dont il détient 23,6 % des parts. Actif notamment au Gabon, en Tanzanie et en Namibie, son groupe a présenté le 28 janvier un bilan d’activité dégradé, avec des revenus de 276 millions d’euros, en baisse de 50 % en 2015.

Depuis 2013, l’entrepreneur affiche son désir d’un mariage avec un groupe équivalent pour atteindre la taille critique nécessaire dans ce secteur. Mais avec des pertes de 43,7 millions d’euros au premier semestre de 2015, les candidats ne semblent pas pressés.

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Jeune Afrique : Il y a trois ans, vous estimiez que Maurel & Prom devait fusionner avec un autre acteur ou être racheté. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Jean-François Hénin : Une fusion avec un autre acteur apparaît toujours comme la meilleure stratégie. Si nous voulons résister, nous devons grandir et arriver à produire plus de 100 000 barils par jour, soit quatre fois environ ce que nous faisons actuellement. Maurel & Prom dépend trop de son projet extractif gabonais, qui représente encore 93 % des revenus, contre 7 % pour la Tanzanie. Une société pétrolière doit répartir ses risques géographiquement, avec des projets à des stades variés et, si possible, des produits différents, huiles et gaz.

Le niveau du cours du baril, à 34 dollars début février, rend-il difficiles les discussions avec d’éventuels partenaires ?

Non, au contraire ! Les regroupements qui paraissaient impossibles il y a trois ans du fait de l’ego de dirigeants pétroliers deviennent aujourd’hui inéluctables. Sous la pression des marchés et des actionnaires, il va y avoir des rachats en vue de constituer des groupes capables de survivre dans cette période compliquée pour l’industrie.

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Y a-t-il des candidats pour ce mariage ?

Nous discutons avec différents partenaires potentiels. Ce qui me paraît le plus souhaitable est un mariage avec non pas une mais plusieurs autres sociétés pétrolières.

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Vous êtes l’un des premiers actionnaires de la junior pétrolière nigériane Seplat, cotée à Londres et à Lagos. Quel est l’avenir de cette participation et de vos liens avec elle ?

Nous sommes heureux d’avoir accompagné la croissance de Seplat. C’est une société profitable [34 millions de dollars, soit 30,6 millions d’euros de bénéfices au premier semestre de 2015], même en ces temps difficiles. Notre participation de 21,4 % nous offre une diversification géographique, puisque nous ne sommes pas présents directement au Nigeria, mais aussi une meilleure assise financière face à nos partenaires.

Le Nigeria bénéficie d’une longue tradition pétrolière, dispose de personnes bien formées et d’un environnement des affaires anglophone propice

Ce type de partenariat entre une société internationale et un groupe africain est-il à renouveler ailleurs ?

Oui, quand nous en aurons les moyens – ce qui n’est pas le cas. L’émergence d’un nouveau Seplat avec l’appui d’une société comme la nôtre sera toutefois plus difficile à réaliser ailleurs. Le Nigeria bénéficie d’une longue tradition pétrolière, dispose de personnes bien formées et d’un environnement des affaires anglophone propice. Au Gabon par exemple, des sociétés privées locales du même ordre n’ont pas encore émergé.

Vous venez d’annoncer une importante baisse de votre chiffre d’affaires. Comment allez-vous vous maintenir à flot si vous ne trouvez pas de partenaire ?

Nous nous concentrons sur nos deux pays de production : le Gabon pour le pétrole et la Tanzanie pour le gaz. Nous avons réduit au strict minimum nos dépenses d’exploration, avec l’arrêt de nos projets au Mozambique, au Congo, au Pérou et en Syrie, et la réduction drastique de celles de Namibie, du Canada et de Colombie. L’exploration est dans notre ADN, mais nous avons mis cette ambition en veilleuse en attendant des jours meilleurs. La « mise sous cocon » de ces projets va se refléter dans nos comptes, avec le passage en charges de fortes provisions. Mais certains d’entre eux pourront être réactivés dès que la conjoncture s’améliorera. En attendant, nous avons de quoi tenir plusieurs années « en apnée ».

Plus cette conjoncture de prix très bas se prolonge, plus le rattrapage sera violent

Quelles perspectives voyez-vous pour l’industrie pétrolière ?

Nous savions que la période du « pétrole facile » était révolue, obligeant à de nouveaux types d’exploitation comme le pétrole non conventionnel aux États-Unis ou l’offshore très profond. Mais avec un baril à à peine plus de 30 dollars, ces types de projets ne peuvent continuer. À long terme, les prix devraient s’équilibrer autour de 60 à 80 dollars le baril.

Plus cette conjoncture de prix très bas se prolonge, plus le rattrapage sera violent. Après la réduction des budgets d’exploration, les pétroliers vont geler des développements de projets en cours, puis la maintenance des exploitations. Or sans investissement dans cette dernière, la production mondiale peut baisser en un an de 5 millions de barils par jour – sur un total de quelque 100 millions de barils d’hydrocarbures produits par jour. Repartir à la hausse prendra plus de temps. Sauf dans le pétrole de schiste, lancer ou relancer un projet extractif demande de cinq à dix ans !

Dans ces conditions, quels projets restent attractifs en Afrique ?

Le continent recèle encore des gisements pétroliers prometteurs. Dans le Sud-Ouest, les projets en offshore profond, dits présalifères – que les géologues espèrent semblables à ceux du Brésil, gigantesques – pourraient se révéler intéressants. Ainsi, même si nous avons réduit la majeure partie de nos dépenses d’exploration, nous avons conservé notre permis en Namibie, dans une zone de 2 000 km2 située en mer. Le coût de cette licence, de 4 millions de dollars en 2016, est cinq fois moins élevé que lors des périodes fastes de 2010-2011.

Il existe aussi des projets africains attractifs dans le gaz – à condition qu’ils intègrent la consommation locale dans leur modèle économique. La demande en électricité a explosé dans certains pays subsahariens, ce qui donne désormais au gaz un débouché local qui peut être rentable, avec des prix éventuellement garantis par l’État, ainsi qu’on le voit au Nigeria. En Tanzanie, cette dimension est essentielle à notre projet. En revanche, les mégaprojets gaziers tournés exclusivement vers l’export – comme au Mozambique – n’ont clairement pas le vent en poupe.

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