Spectacle : Nelson Mandela pour les nuls
Simpliste, pétrie de bons sentiments, la comédie musicale « Madiba » pose les limites de la mythification du leader sud-africain.
La disparition de Mandela, le 5 décembre 2013, a provoqué une avalanche d’hommages plus ou moins réussis et plus ou moins intéressés. On se souvient du film de Justin Chadwick, Un long chemin vers la liberté, avec le charismatique Idris Elba dans le rôle-titre, sorti en salles quelques jours seulement avant la mort du leader politique. Les librairies ont eu droit à une foultitude de biographies et même à un manuel de management, Fédérer comme Mandela : comment obtenir adhésion et engagement (Guillaume Pigeat et Anne Vermès, Eyrolles), ou comment enseigner aux cols blancs à susciter l’adhésion « en marchant dans les pas de ce fin tacticien ». Alors pourquoi pas une comédie musicale ? C’est chose faite avec Madiba, le spectacle musical écrit et composé par Jean-Pierre Hadida, avec l’aide d’Alicia Sebrien pour le texte, qui tente de retracer le parcours de Mandela et l’évolution de son pays.
Avouons-le tout net, Madiba est un mauvais spectacle. Même si la production a pris pour nom Broadway Mad, la pauvreté des costumes et des décors (de simples dessins projetés sur les rideaux de scène) est bien loin des standards new-yorkais. La troupe compte de bons chanteurs, mais les vibratos à gogo tuent l’émotion qui, sur un malentendu, pourrait surgir de mélodies convenues empruntant beaucoup à Michel Berger.
Les comédiens font parfois émerger de beaux tableaux humains, et les danseurs tirent leur épingle du jeu avec des emprunts pertinents aux mouvements traditionnels africains ou au hip-hop. Mais malgré tout les chorégraphies sont noyées sous une épaisse sauce Kamel Ouali mâtinée de gesticulations hors de propos. Et pour souligner qu’on a bien affaire à des activistes, les poings se lèvent sans cesse. À en donner des crampes aux interprètes.
On évitera de développer l’intrigue, qui revisite Roméo et Juliette avec la finesse d’un hippopotame (sud-africain)
Les comédiens blancs et noirs de cet apartheid d’opérette sont au moins déjà égaux devant une chose, la piètre qualité de leur jeu. Tout sentiment est surjoué façon telenovela. Le texte truffé de clichés et de bons sentiments provoque involontairement des sourires, la palme revenant aux paroles des chansons pondues, on l’espère, en piochant aléatoirement dans un dictionnaire des rimes.
On est tout de même heureux d’apprendre que « ce sont toutes nos différences qui font notre richesse », même si l’on comprend plus loin que « ce sont toutes nos différences qui pansent nos souffrances » (les lyrics bien ficelés du rappeur et comédien Lun1k échappent au désastre). On évitera de développer l’intrigue, qui revisite Roméo et Juliette avec la finesse d’un hippopotame (sud-africain).
C’est un mélange de royauté africaine et d’aristocratie anglaise. C’est un gentleman anglais en dashiki de soie, ecrit Richard Stengel à propos de Mandela
Au fond, cette comédie musicale pose un problème très sérieux, celui de la mythification de Mandela. Devenu une icône, l’homme a perdu ses nuances. Et pourtant, le personnage était complexe, comme le rappelait de son vivant son ami journaliste Richard Stengel dans Les Chemins de Nelson Mandela (Pocket). « Il est proche du peuple mais apprécie la compagnie des stars. […] Il n’aime pas les honneurs mais vous fera savoir en temps utile quand il conviendra de lui rendre hommage. Il va dans la cuisine serrer la main à tout le monde mais ne connaît pas le nom de ses gardes du corps. C’est un mélange de royauté africaine et d’aristocratie anglaise. C’est un gentleman anglais en dashiki de soie. »
En gommant toutes les aspérités du père de la nation Arc-en-Ciel, et en brossant une Afrique du Sud marshmallow où Noirs et Blancs finissent par littéralement s’aimer, la comédie musicale Madiba donne à voir un conte pour enfants auquel nous aimerions croire. C’est l’image d’une population métissée mais unie qui veut rassurer dans une France en plein tiraillement identitaire.
>> Madiba est en tournée française durant toute l’année 2016. Les dates sur : madiba-musical.com
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