Saïd Chabane Foot, mayonnaise et charcuterie

Président-fondateur du groupe d’agroalimentaire Cosnelle, ce Franco-Algérien dirige le petit club de football d’Angers, très performant en Ligue 1.

Said Chabane, le président du club de football d’Angers © AFP

Said Chabane, le président du club de football d’Angers © AFP

Alexis Billebault

Publié le 20 février 2016 Lecture : 4 minutes.

Christophe Béchu, le sénateur-maire (Les Républicains) d’Angers (ouest de la France), a appris à prendre ses précautions quand il assiste à une rencontre de l’Angers SCO au côté de Saïd Chabane. « C’est un passionné. Il vit ses matchs. Il vaut mieux ne pas avoir un verre à la main », s’amuse l’élu. Le président du club angevin (50 ans) serait donc un faux calme, et cela expliquerait pourquoi les employés de son entreprise l’ont surnommé Mayonnaise, pour sa propension à monter dans les tours. « Qui vous a dit ça, que je le mette dehors ? » s’inquiète faussement le dirigeant, souvent présenté comme un homme peu bavard, limite taiseux.

Chabane détient aujourd’hui 93 % du capital du SCO, quatre ans après en avoir pris le contrôle. « C’est un président ambitieux mais raisonnable. Cela fait plusieurs années que je le connais, car il fut d’abord vice-président. C’est un chef d’entreprise qui ne va pas faire n’importe quoi avec les finances du club et ce n’est pas le genre d’homme à céder à la folie des grandeurs ou à mettre son nez dans la composition de l’équipe », poursuit le premier magistrat d’Angers.

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« Un vrai boss »

« Il sait ce qu’il veut. C’est un vrai boss. Il est à l’écoute, proche des joueurs. C’est un affectif, mais, à la fin, c’est lui qui décide. Il s’investit beaucoup dans la gestion du club, il avait pour projet de le structurer et il le fait », analyse le défenseur franco-algérien Karim Djellabi, aujourd’hui à Clermont-Ferrand après dix-neuf années passées à Angers. « Pourquoi irais-je m’enflammer ? Je sais que le football peut faire tourner les têtes, mais en ce qui me concerne, mon seul objectif est de faire progresser le club. Il y a eu le centre d’entraînement, le centre de formation et l’accession en Ligue 1 en mai dernier. Y être, c’est bien. Y rester, c’est mieux », martèle l’industriel.

Lequel, en se montrant favorable à une réforme des accessions et des relégations entre la Ligue 1 et la Ligue 2 qui ne sera sans doute pas mise en application avant la saison prochaine, s’est mis à dos la quasi-totalité des présidents de L2. « À peine arrivé dans l’élite, il a oublié d’où il venait. Défendre son club, d’accord, mais il aurait pu afficher une certaine solidarité », explique l’un d’eux sous le couvert de l’anonymat.

Mais Saïd Chabane, qui assure que le « malentendu se dissipera rapidement », est aussi très à l’aise pour parler du parcours qui l’a mené à la tête de Cosnelle, une florissante entreprise d’agroalimentaire (800 salariés et 100 millions d’euros de chiffre d’affaires) spécialisée dans le négoce de charcuterie. Né à Alger, dans le quartier du Telemly, d’un père avocat et d’une mère bien assez occupée par l’éducation de ses sept enfants (quatre garçons, trois filles) pour ne pas avoir à travailler, le petit Saïd, « un peu turbulent », s’imagine pilote d’avion.

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Supporter de la JS Kabylie

D’origine kabyle, il soutient la JS Kabylie plutôt qu’un des nombreux clubs de la capitale. Ses études algéroises, qu’il achèvera par un passage réussi à Polytechnique, l’éloignent de ses rêves d’altitude. « Je suis venu en France avec des copains, mais j’avais l’intention de rentrer en Algérie, alors qu’ils voulaient rester à Paris. C’est exactement l’inverse qui s’est produit, après l’obtention de mon diplôme à l’École des mines de Fontainebleau. Mais je ne m’attendais pas à ce que la suite soit si compliquée… » Parti d’Alger avec un petit pécule personnel mais sans bourse de l’État algérien, Saïd Chabane travaille plusieurs heures par semaine dans un fast-food sur les Champs-Élysées. « On nous donnait des invitations pour aller dans les boîtes de nuit de l’avenue. »

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Le plus dur, pourtant, est devant lui. Malgré son CV, Chabane, qui intègre pendant un an une école de consulting en stratégie d’entreprise à Angers, a du mal à trouver un emploi stable. « J’ai alterné les périodes de chômage et d’activité. Il y a des moments où j’ai pensé rentrer en Algérie. » Jusqu’à ce qu’une société d’agroalimentaire fasse appel à ses services « pour travailler sur l’étiquette d’un produit – des merguez – destiné essentiellement à la population maghrébine d’Île-de-France ».

À Angers, les origines du patron du club local ne semblent déranger personne

En 1997, Chabane, qui a abandonné l’idée de prendre un aller simple pour Alger, se met à son compte. « J’ai acheté une usine en 1999, celle appartenant à un groupe qui m’avait licencié quelques années plus tôt, au motif que je n’étais pas un homme de terrain. Et je me suis lancé dans l’agroalimentaire en fondant Cosnelle [dont le siège est situé dans la Sarthe, à La Ferté-Bernard]. »

Musulman non pratiquant, l’homme d’affaires se demande parfois si ses origines ont pu le desservir. « Disons que, venant de l’étranger, j’ai dû me battre plus qu’un local. Cela fait partie des règles, je les ai respectées. Je me suis adapté », explique l’industriel, sans jamais prononcer les mots « racisme » ou « discrimination ». À Angers, les origines du patron du club local ne semblent déranger personne. « En tout cas, je n’ai jamais rien entendu à ce propos, affirme Christophe Béchu. De là à savoir ce que pensent les gens… »

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