Hong Kong : le cercle des libraires disparus

Où sont passés les cinq dissidents accusés par les autorités chinoises d’« activités illégales » ? Dans l’ex-colonie britannique, la psychose s’installe.

Au siège désormais désert de la maison d’édition Mighty Current, le 2 janvier, dans le quartier de Causeway Bay, à Hong Kong. © ANTHONY KWAN/GETTY IMAGES

Au siège désormais désert de la maison d’édition Mighty Current, le 2 janvier, dans le quartier de Causeway Bay, à Hong Kong. © ANTHONY KWAN/GETTY IMAGES

Publié le 18 février 2016 Lecture : 3 minutes.

Chaque jour, des dizaines de curieux se pressent à l’entrée du siège de Mighty Current, petite maison d’édition du quartier de Causeway Bay, à Hong Kong. Mais en haut du minuscule escalier qui conduit à ses bureaux, la porte blindée reste obstinément close depuis la disparition, à l’automne 2015, de plusieurs de ses employés et dirigeants.

Gui Minhai, par exemple, l’un des propriétaires, est parti en voyage en Thaïlande et n’en est jamais revenu : il aurait été enlevé par des barbouzes venues de Pékin. Quatre autres employés se sont volatilisés alors qu’ils s’apprêtaient à publier un brûlot sur la vie privée du président Xi Jinping, l’un de ces ouvrages au vitriol contre le PC chinois dont Mighty Current s’était fait une spécialité. La semaine dernière, la police a pour la première fois admis avoir arrêté trois de ces hommes : accusés d’« activités illégales », ils sont détenus en Chine continentale. Mais on est sans nouvelles des deux autres.

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Répression accrue contre les organes d’expression

Mighty Current est le symbole de cette relative liberté d’expression dont jouit encore l’ancienne colonie britannique rétrocédée à la République populaire en 1997. Mais cette liberté se réduit comme peau de chagrin. Avant l’enlèvement des libraires par les services chinois, il y eut en effet l’étouffement de la « révolution des parapluies », qui, en septembre 2014, fit descendre dans la rue des centaines de milliers de Hongkongais désireux de pouvoir voter librement.

Puis, quelques mois plus tard, dans le cadre d’une reprise en main générale des médias, le rachat du South China Morning Post, le plus ancien quotidien local, par le milliardaire Jack Ma, patron d’Alibaba (richissime société de commerce en ligne) et proche du PCC. Des dizaines de journalistes choisirent ou furent contraints de démissionner.

Plus incroyable encore, Gui Minhai, qui a également la nationalité suédoise, a récemment fait à la télévision d’État (CCTV) une sidérante confession dans laquelle il affirme s’être rendu de son plein gré en Chine continentale pour assumer ses « responsabilités légales » dans une obscure affaire d’accident de la route, il y a plus de dix ans. Par ailleurs, dans une lettre adressée à la police de Hong Kong, un service du département de la sécurité publique de la province du Guangdong, dans le sud du pays, a fait savoir que trois des cinq libraires, les nommés Lui Por, Cheung Chi-ping et Lam Wing-kee, avaient été arrêtés en raison de leur implication présumée dans des activités illégales sur le continent en liaison avec « un certain Gui ».

Malgré les protestations du Département d’État américain, de l’Union européenne et du gouvernement suédois, les libraires « disparus » restent détenus quelque part en Chine

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L’affaire tourne décidément au mauvais thriller. Ce courrier était accompagné d’une lettre manuscrite de Lee Bo, le cinquième « disparu ». Son cas est peut-être celui qui a le plus choqué les Hongkongais, car il s’est volatilisé à Hong Kong même, une région semi-autonome où la police chinoise n’a théoriquement pas le droit d’intervenir.

L’affaire des libraires disparus fait depuis presque quotidiennement la une des médias locaux. Devant chez Mighty Current, les curieux ne sont pas nombreux à vouloir s’exprimer. « On ne sait pas ce qu’il s’est passé », nous explique une jeune femme. « C’est incroyable de penser que la police chinoise puisse venir jusqu’ici arrêter nos compatriotes », lance un étudiant encore sous le choc.

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De nombreuses voix s’élèvent pour accuser Pékin de piétiner le principe « un pays, deux systèmes » institué avant la rétrocession, en 1997. Il avait alors été entendu que Hong Kong conserverait son mode de vie et ses libertés pendant une période de cinquante ans…

Mais Pékin n’en a cure. Malgré les protestations du Département d’État américain, de l’Union européenne et du gouvernement suédois, les libraires « disparus » restent détenus quelque part en Chine. Selon toute apparence, ils le resteront longtemps encore.

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