Le Bénin, c’est leur affaire : cinq favoris pour succéder à Yayi Boni
Il est décidément bien loin le temps du marxisme-léninisme façon Kérékou. Les cinq favoris à la présidentielle du 6 mars, sont tous banquiers, hommes d’affaires ou économistes. Et tous rêvent du fauteuil de Boni Yayi.
Cet article a été publié dans le numéro 2875 de Jeune Afrique, paru le 13 février.
Fin janvier, les candidats à l’élection présidentielle ont semblé marquer un temps d’arrêt, comme pour reprendre leur souffle. On les comprend : véritable course de fond, cette campagne est pour eux épuisante. Elle a tout juste débutée officiellement, mais le scrutin est dans toutes les têtes depuis des mois maintenant. Des mois que les alliances se négocient au prix fort, qu’il faut occuper le terrain – médiatique surtout – et que l’on se rend coup pour coup. D’ici au premier tour, finalement reporté au 6 mars, personne ne se fera de cadeau.
Les milieux économiques reviennent en force
De loin, cette élection, avec ses 36 candidatures validées, ressemble à une énorme kermesse électorale. La multiplication des prétendants, exceptionnellement nombreux (ils n’étaient que 14 en 2011), s’explique notamment par la perte de vitesse des partis politiques traditionnels, affaiblis par l’omniprésence de Boni Yayi (dix années durant, le chef de l’État a paru concentrer tous les pouvoirs, se passant aisément de Premier ministre et accréditant l’idée que rien ne se décidait sans lui).
Les rangs commencent toutefois à se clairsemer : trois candidats ont déjà jeté l’éponge, Éric Houndété, Victor Topanou et Célestine Zanou, et d’autres pourraient leur emboîter le pas. Surtout, à trois semaines du scrutin, seules cinq personnalités paraissent avoir une chance de l’emporter : Lionel Zinsou, Patrice Talon, Sébastien Ajavon, Pascal Irénée Koupaki et Abdoulaye Bio Tchané. Ils ont distancé le général Robert Gbian, qui, faute de soutiens et de moyens financiers suffisants, a perdu du terrain.
Fait particulier : les cinq favoris sont tous issus des milieux économiques et ont une vision plutôt libérale du développement. Comme le président Thomas Boni Yayi, l’ancien Premier ministre Koupaki et l’ex-patron de la BOAD Bio Tchané ont arpenté les couloirs de la BCEAO. Âgés respectivement de 64 ans et de 63 ans, ils ont des profils analogues : chacun a gravi les échelons de l’institution financière régionale avant d’être nommé ministre de l’Économie et des Finances au Bénin. Talon, le roi du coton, Ajavon, l’empereur du poulet, et Zinsou, le financier passé par la banque Rothschild et PAI Partners, viennent compléter ce quintette. Le règne du social-nationalisme, qui façonna le Bénin des années 1970 et 1980, semble bien révolu.
Incertains jeux d’alliance
Dans cette longue course à la magistrature suprême, il y a un avant- et un après-12 janvier. Ce jour-là, vers 18 heures, Lionel Zinsou dépose son dossier de candidature à la commission électorale en compagnie de Léhady Soglo et d’Adrien Houngbédji. L’instant, immortalisé par deux photos de famille qui feront rapidement le tour des réseaux sociaux, scellera la création d’une coalition avec leurs partis respectifs : la Renaissance du Bénin (RB) et le Parti du renouveau démocratique (PRD). Une alliance historique, ratissant dans le Sud, le Centre et le Nord.
Rendue possible par les amitiés de la famille Zinsou, elle permet au candidat des Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE, mouvance présidentielle) de compenser son absence d’implantation locale. La coalition s’est rapidement concrétisée sur le terrain : les présidents du PRD et de la RB ont été nommés directeurs de campagne régionaux, leurs cadres ont été chargés d’expliquer la candidature du Franco-Béninois. Ainsi, le 6 février, c’est le maire de Bohicon et secrétaire exécutif du parti de Léhady Soglo, Luc Atrokpo, qui était sur le pont dans le Zou (Centre). Étoile montante de la RB, bénéficiant de bonnes relations avec le président Yayi et avec Zinsou, il devrait être amené à jouer un rôle déterminant.
Lors des dernières législatives, les FCBE, la RB et le PRD ont, à eux trois, raflé 50 des 83 sièges à pourvoir. Pourtant, le Premier ministre est loin d’avoir gagné la partie. « Sa candidature n’est pas vraiment comprise, certains estiment que c’est une erreur de casting », analyse un observateur de la vie politique béninoise. Zinsou réussira-t-il à gommer cette image de « Blanc » et de « candidat de l’étranger » qui lui colle encore à la peau ? Il a troqué ses costumes parisiens contre d’amples boubous et peut désormais scander en langues locales les slogans des partis qui le soutiennent, mais il faudra attendre les résultats du premier tour pour voir s’il est parvenu à convaincre.
Et qu’en est-il des autres prétendants ? Ont-ils obtenu des soutiens de poids ? Pas vraiment en ce qui concerne Koupaki et Bio Tchané. Le premier a certes rallié à lui le médiateur de la République, Albert Tévoédjrè, mais la multiplication des candidatures du Sud ne lui permet pas de ratisser large. Il a également parcouru le pays pour défendre sa « nouvelle conscience », mais aura du mal à faire oublier qu’il a accompagné Boni Yayi pendant sept ans (il fut successivement son ministre du Développement puis son Premier ministre). Quant à Bio Tchané, il bénéficie d’une bonne image au sein de la population et pourra s’appuyer sur son Alliance pour un Bénin triomphant, assez bien implantée dans le Nord. Mais il n’est pas sûr que cela suffise : aux dernières législatives, son parti n’a remporté que deux sièges de député.
De son côté, Ajavon a mené une campagne très convaincante. Conséquence : il peut se prévaloir des ralliements de Rachidi Gbadamassi, l’influent député FCBE de Parakou (dans le Nord), de Valentin Aditi Houdé et de son Alliance nationale pour la démocratie et le développement (AND), de Séverin Adjovi, le maire de Ouidah (dans le Sud), et de Claudine Afiavi Prudencio, une députée proche de l’homme d’affaires Samuel Dossou-Aworet et nièce de l’ancien président Émile Derlin Zinsou.
Et Talon ? En dépit de sa puissance financière, il dispose d’une base politique plutôt faible, avec seulement quelques députés qui lui sont ouvertement favorables, dont Joseph Djobénou (qui est aussi son avocat) et Cyprien Tognou, de l’AND. Il a compensé en faisant le choix d’une campagne de terrain : il s’est attaché les services d’hommes et de femmes politiques d’horizons divers et qu’il côtoie depuis des années. Il est aujourd’hui à la tête d’une structure bien huilée, très méthodique, dont les ramifications s’étendent au-delà de son Ouidah natal. Son siège de campagne de Cotonou est d’ailleurs actif depuis des mois, et ses militants sont constamment sur le terrain. Comme Ajavon, il se présentera en candidat indépendant.
Les mystères du Nord
Treize candidats sont originaires du Nord, mais seul Bio Tchané figure parmi les favoris. Or le Septentrion pèse lourd dans les urnes et, depuis près de quatre décennies, tous les présidents élus, exception faite de Nicéphore Soglo, étaient originaires de l’un des quatre départements qui composent le « grand Nord », régions arides où les populations ont tendance à privilégier l’enfant du pays. Celles-ci pourraient-elles porter leur choix sur un candidat du Sud ? Abdoulaye Bio Tchané, technocrate respecté, originaire de Parakou et disposant d’un très bon carnet d’adresses, parviendra-t-il à rallier à sa cause les autres candidats nordistes ? C’est l’une des principales inconnues de ce scrutin.
Yayi, faiseur de rois ?
Fidèle à lui-même, le président Thomas Boni Yayi a longtemps brouillé les pistes. Ovni politique insaisissable, il a surpris son monde en faisant de Zinsou son Premier ministre, puis en le parachutant candidat de la mouvance présidentielle. Encore récemment, on s’interrogeait dans certains cercles diplomatiques sur ses véritables intentions. Aujourd’hui, les doutes sont levés. Boni Yayi est même l’un des acteurs centraux de la campagne : depuis plusieurs semaines, il a remis ses verres fumés, parcourt les quatre départements du Nord et charme tour à tour les électeurs du Zou (Nord) ou du Couffo (Sud-Ouest).
« Laissez-moi faire ! » répète-t-il à ses visiteurs, persuadé qu’il parviendra à imposer son choix dans ce Nord dont lui-même est originaire. Redoutant l’incertitude d’un second tour, Yayi s’occupe de tout : il s’est personnellement employé à convaincre les députés FCBE refroidis par le choix de Zinsou. C’est lui aussi qui supervise la communication de son candidat, qui lui intime de s’entretenir avec telle ou telle personnalité. Et c’est encore lui qui, début février, a pris son téléphone pour demander au patron de l’ORTB, la télévision nationale, de couvrir les activités de Zinsou.
Talon a pu rentrer à Cotonou après trois années d’exil en France pour se présenter à la présidentielle
Un de ses visiteurs du soir, qui l’a vu plusieurs fois le mois dernier, ajoute qu’il est obsédé par la candidature de Patrice Talon : « Yayi parle de lui tout le temps ! » L’ancien magnat du coton, né à Ouidah, fut longtemps l’un de ses proches. Talon l’a d’ailleurs soutenu financièrement lors de la campagne pour la présidentielle de 2006 – coup de pouce que l’homme d’affaires n’aura pas à regretter puisqu’il récupérera, deux ans plus tard, la gestion des usines d’égrenage de coton de la Société nationale de promotion agricole (Sonapra).
L’idylle prendra brutalement fin en 2012 sur fond d’accusations de corruption et de tentative d’empoisonnement. Aujourd’hui, Talon a pu rentrer à Cotonou après trois années d’exil en France pour se présenter à la présidentielle, mais Boni Yayi ne veut pas entendre parler d’une victoire de son pire ennemi. « De mon vivant, jamais ce type ne prendra le pouvoir, l’entend-on vociférer au palais de la Marina. Talon, je le connais. On se connaît. C’est un dictateur ! »
L’argent, nerf de la guerre
L’entrée dans la compétition de deux des principaux financiers de la vie politique béninoise de ces dernières années – Patrice Talon et Sébastien Ajavon – a changé la donne autant qu’elle semble avoir fait sauter certains verrous. Dans cette campagne, l’argent est partout. Il a dicté des ralliements et a sans doute été l’un des critères du choix Zinsou : capable d’injecter chaque année 1 million d’euros dans la fondation dirigée par sa fille, l’ancien banquier est le seul à pouvoir rivaliser avec la puissance financière de Talon ou d’Ajavon. Rares seront les candidats à respecter le plafond des dépenses de campagne fixé par le code électoral : 2,5 milliards de F CFA (3,8 millions d’euros).
Habitués à participer activement au financement des élections, Talon et Ajavon savent mieux que quiconque comment utiliser leur argent. Ils connaissent par cœur le système des grands électeurs – ces personnalités politiques, sociales ou même culturelles dont le soutien dans telle ou telle circonscription est déterminant. Ils ont déjà beaucoup dépensé, mais pas sans compter. « Ils savent les hommes politiques versatiles, explique un proche d’Ajavon. Ils ne se contentent pas de permettre au leader d’une circonscription de faire campagne pour eux, mais prennent soin d’impliquer aussi les chefs d’arrondissements, des célébrités ou des responsables d’organisation. »
Tous deux ont également fait de leur réussite financière et personnelle le socle de leur campagne. Talon, le flambeur venu déposer son dossier de candidature en Porsche, a bâti son empire cotonnier avec seulement un Deug de mathématiques en poche. Issu d’une famille de commerçants, Ajavon, lui, a fait de la poissonnerie familiale un empire agroalimentaire (le groupe Cajaf-Camon) sans avoir obtenu un seul diplôme.
« La sous-région nous observe ! »
Le 6 mars, l’Afrique de l’Ouest regardera la présidentielle béninoise avec plus d’intérêt qu’à l’accoutumée. D’abord parce que les principaux candidats sont des figures connues dans la sous-région. Bio Tchané est un proche de Blaise Compaoré, auquel il rendait régulièrement visite à Ouagadougou. Il a été reçu par Faure Gnassingbé à la mi-janvier, à Lomé, mais ne bénéficiera sans doute pas du soutien officiel du président togolais, dont les liens forts avec son homologue béninois sont connus.
Koupaki jouit de l’estime d’Alassane Ouattara, avec lequel il a travaillé pendant six ans : il fut son assistant à la BCEAO, puis son directeur adjoint de cabinet à la primature et enfin son conseiller au FMI. Proche de l’émir de Kano, Sanusi Lamido Sanusi, Lionel Zinsou a ses entrées au Nigeria, où il s’est rendu plusieurs fois depuis qu’il est à la primature. Il tient en haute estime le président Muhammadu Buhari et cite volontiers la Côte d’Ivoire de Ouattara comme un modèle de développement.
En revanche, si Patrice Talon a grâce à ses affaires des connexions dans la sous-région et s’est assuré auprès de Dakar et d’Abidjan que sa sécurité serait garantie une fois rentré à Cotonou, sa candidature recueille peu de soutiens officiels. C’est également le cas de Sébastien Ajavon. Certains voient même d’un mauvais œil l’arrivée dans l’arène politique de ces opérateurs économiques majeurs, redoutant que le phénomène ne fasse tache d’huile. Boni Yayi affirme d’ailleurs que ses pairs l’auraient mis en garde contre les dangers d’un tel scénario. « La sous-région nous observe ! » aime-t-il répéter.
BATAILLE DE COMMUNICANTS
La campagne du Premier ministre sera pilotée par l’agence de communication Voodoo – un accord entre les parties a été trouvé mais le contrat n’est pas encore signé. Si son directeur général, Fabrice Sawegnon, est ivoiro-béninois et a participé à la campagne de Mathieu Kérékou en 2001, l’arrivée de Voodoo est la conséquence directe du ralliement d’Éric Houndété à Lionel Zinsou. Son frère Arnaud Houndété est en effet actionnaire de l’agence de communication dont il a financé la création en 1999.
Sébastien Ajavon a, lui, choisit Havas, qui avait fait la campagne de Thomas Boni Yayi, pour l’accompagner. Un choix au premier abord surprenant : l’agence française est contrôlée depuis 2005 par le groupe de Vincent Bolloré, dont le projet de boucle ferroviaire est actuellement bloqué au Bénin par le contentieux qui l’oppose au groupe Pétrolin de Samuel Dossou-Aworet, le milliardaire béninois dont le soutien à Ajavon est un secret de polichinelle. Enfin, si Pascal Koupaki ne dispose pas des moyens financiers des deux premiers, il peut s’appuyer sur les conseils d’AG Partners, agence associée depuis 2012 à la branche africaine de Publicis et qui s’est notamment occupée de la dernière campagne de Faure Gnassingbé au Togo.
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