Braises incandescentes
Je maintiens mon pronostic de la semaine dernière : il y a des « lueurs d’espoir » à moyen terme pour le monde arabo-musulman. Mais l’horizon immédiat du Moyen-Orient est lourd de menaces, et les braises incandescentes de cette malheureuse région pourraient retomber sur le sol africain dès les prochaines semaines. L’engrenage me paraît devoir être le suivant.
Dans le dernier « Ce que je crois », j’ai indiqué que l’Arabie saoudite est désormais gouvernée par un jeune aventuriste de 30 ans, Mohamed Ibn Salman (MBS), auquel son père, le nouveau roi du pays, a délégué, sans précautions, trop de pouvoirs.
Bien que le pétrole, principale ressource du royaume, ait perdu les deux tiers de son prix, l’Arabie saoudite est encore riche.
Toujours hors du siècle, ce pays est entre les mains d’un « prince » inexpérimenté mais propulsé ministre de la Guerre. Poussé par d’autres ou de sa propre initiative, il se prépare à engager son armée de terre en Syrie.
Attendu dans les prochaines semaines, un tel développement est espéré par certains (dont Al-Qaïda !) et redouté par la plupart, car il aura des conséquences imprévisibles et, déjà, soulève d’innombrables questions :
La Turquie va-t-elle envoyer des troupes pour occuper les zones tenues par les Kurdes ? L’Arabie saoudite va-t-elle se borner à attaquer Daesh ou frappera-t-elle également les combattants iraniens et ceux du Hezbollah ? L’Iran va-t-il envoyer davantage de troupes ? Que fera l’armée américaine ? Comment réagiront les Russes si leur allié syrien est attaqué ? Feront-ils feu sur les chars turcs ? Cibleront-ils les -avions de chasse d’Ankara avec les systèmes de défense sol-air S-400 qu’ils ont installés sur le terrain ? Moscou fournira-t-il des armes aux Kurdes de Turquie ?
Si l’une de ces éventualités se produisait, l’Otan ne serait-elle pas conduite à invoquer l’article aux termes duquel une attaque contre un seul allié est assimilée à une attaque contre tous les alliés ?
Si les États-Unis et la Russie ne s’entendent pas pour empêcher le pire, la guerre civile syrienne, déjà comparable à la guerre civile espagnole de 1936-1939, pourrait échapper à tout contrôle dans les trois mois.
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En tout cas, elle est en train de se déplacer vers l’Afrique pour s’installer dans la rive sud de la Méditerranée, et nous allons beaucoup entendre parler de Syrte dans les prochaines semaines.
Syrte est la ville de Mouammar Kadhafi : il y est né, voulait en faire la capitale de l’Afrique, et c’est dans ses environs qu’il s’était réfugié et où il est mort assassiné.
Ironie du sort ou facétie de l’Histoire ? Les enfants de Saddam Hussein, qui ont formé Daesh et qui le dirigent depuis trois ans, ont choisi Syrte pour y transposer leur capitale lorsqu’ils devront quitter Raqqa, la ville syrienne qui leur sert, à ce jour, de chef-lieu.
Et ce sont donc les enfants de Mouammar Kadhafi qui se préparent à accueillir à Syrte les enfants de Saddam Hussein !
Autre facétie de l’Histoire : les uns et les autres sont passés de l’anti-islamisme originel et proclamé de Saddam Hussein comme de Kadhafi à l’islamisme le plus radical et le plus violent : celui de Daesh.
Pour l’heure, aucun psychanalyste ne nous a expliqué cette conversion, ce passage d’un extrême à l’autre.
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Beaucoup soutiennent, avec de solides arguments, que si les Américains n’avaient pas renversé et fait tuer Saddam Hussein, si les Français et les Britanniques n’en avaient pas fait de même avec Mouammar Kadhafi, l’Irak et la Libye se porteraient mieux.
Et nous aussi.
Je professe le contraire, car je crois que toute dictature porte en elle le mal absolu et, tôt ou tard, finit dans le sang.
Devions-nous supporter nos dictatures indéfiniment ? Fallait-il accepter que les dictateurs transmettent leurs pouvoirs à l’un de leurs enfants, comme Hafez al-Assad a pu le faire en Syrie avec les résultats que nous voyons ? Trois fois non.
Si l’Irak, la Libye, et derrière eux la Tunisie ou la Syrie, ou le Burkina, ou même la Somalie ont tant de mal à se relever de l’ère de la dictature, au point d’en arriver à la regretter, c’est que leurs dictatures ont été déboulonnées vingt ou même vingt-cinq ans trop tard.
Si Saddam Hussein était tombé en 1980, il n’y aurait eu ni la guerre Irak-Iran (un million de morts), ni l’occupation du Koweït, ni la guerre de 1991.
Si Kadhafi avait été écarté en 1980, le terrorisme lui-même n’aurait peut-être pas été réinventé et relancé.
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Quoi qu’il en soit, la Libye post-Kadhafi risque d’être, dès les prochaines semaines, le champ de bataille où s’affronteront les néoterroristes de Daesh et ceux qui s’efforcent de les défaire.
Parce que l’Europe est elle-même menacée, c’est elle qui conduira l’affrontement, avec à ses côtés l’Otan, c’est-à-dire les États-Unis.
Leurs forces spéciales, celles de la France, de l’Italie et du Royaume-Uni sont déjà sur le terrain en Libye.
L’Algérie, l’Égypte et, en Libye, le général Khalifa Haftar seront appelés à participer à l’opération.
Les autres pays africains limitrophes de la Libye seront, avec les risques que cela comporte, aux premières loges ; pour certains d’entre eux, dont la Tunisie, sur la ligne du front…
C’est, je pense, ce que nous verrons se réaliser à partir des mois de mars ou d’avril prochains.
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Pour finir, une information moins anxiogène que nous livre la Banque centrale européenne (BCE), émettrice et gardienne de l’euro.
L’euro est la monnaie commune de dix-neuf pays européens. Mais le franc CFA est librement convertible (à parité fixe) en euros, devenu en quinze ans d’existence une monnaie internationale de réserve aussi recherchée que le dollar.
L’euro papier circule sous la forme de billets de sept valeurs différentes, allant de 5 à 500 euros.
Quels sont les billets les plus utilisés et quel pourcentage de la valeur totale chacun des sept représente-t-il ?
L’information donnée par la BCE est résumée dans le graphique ci-dessous : le billet de 50 € est celui qui est le plus connu et le plus utilisé, tandis que celui de 500 €, peu connu du commun des utilisateurs, représente tout de même 30 % de la valeur totale des euros en circulation.
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