Livres – « KO à la 8e reprise » : cinquante jours dans le Zaïre halluciné de Mobutu

Dans « KO à la 8e reprise », le journaliste américain Bill Cardoso fait le récit halluciné de ses cinquante jours passés à Kinshasa en 1974 à l’occasion du combat de boxe entre Muhammad Ali et George Foreman.

La nuit du 30 octobre 1974, Ali devient le plus grand boxeur de tous les temps. © ED KOLENOVSKY/AP/SIPA

La nuit du 30 octobre 1974, Ali devient le plus grand boxeur de tous les temps. © ED KOLENOVSKY/AP/SIPA

Publié le 16 février 2016 Lecture : 3 minutes.

L’ histoire est devenue légende. C’est dans la nuit chaude et humide du 30 octobre 1974 que le boxeur américain Muhammad Ali terrasse son adversaire George Foreman à Kinshasa et brandit la ceinture de champion du monde des poids lourds. Il devient alors le plus grand boxeur de tous les temps. Dans KO à la 8e reprise, le journaliste américain Bill Cardoso fait le récit de son périple au Zaïre alors qu’il est l’envoyé spécial du New Times pour couvrir l’événement que le monde entier attend. Le combat qui était initialement prévu le 24 septembre est repoussé en raison d’une blessure que Foreman s’est faite à l’arcade lors d’un entraînement. Le journaliste attendra donc sur place, « à ses risques et périls », pendant cinquante jours et cinquante nuits dans le Zaïre de Mobutu.

Dans ce récit à la première personne, l’auteur raconte l’envers de la légende, depuis les coulisses. Des coulisses dans lesquelles suinte la folie du régime de Mobutu, qui érige l’« authenticité » en valeur suprême, et « qui s’apparente à un futur effroyable, où le capitalisme, le communisme, le fascisme et le racisme ne formeraient qu’une seule et même entité menaçante, tout droit sortie du tiers-monde ». Dans une prose syncopée, la psyché de Cardoso dopée à la ritaline, assommée à la « ganja congolaise » et enivrée au châteauneuf-du-pape offre le récit halluciné, mais au ras de l’existence, de la vie zaïroise au milieu des années 1970.

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Son séjour au Zaïre

On y croise des magouilleurs en tout genre – qu’ils soient membres du personnel d’Air Zaïre ou de l’ambassade américaine, journalistes étrangers ou joueur de conga espérant influer sur le jeu de jambes de Muhammad Ali -, l’écrivain Budd Schulberg défoncé essayant d’échapper aux iguanes ou encore les veilleurs de nuit kinois et leurs feux sacrés pour éloigner les mauvais esprits. Ici, même le « malfrat affairiste » Donald King (qui ressemblait à « un Martien » avec ses tenues ouest-africaines en pleine Afrique centrale !) apparaît « comme un homme vulnérable perdant chaque jour de sa superbe, régulièrement piétiné par Bula Mandungu, le sbire de Mobutu, contraint comme nous tous, individuellement ou collectivement, à vivre privé de toute dignité humaine ».

Cardoso se laisse porter par la folie, enchaîne les lignes d’écriture et de cocaïne, écume les bars et les boîtes de nuit avec Ali père

Dans ce brouhaha existentiel, Cardoso se laisse porter par la folie, enchaîne les lignes d’écriture et de cocaïne, écume les bars et les boîtes de nuit avec Ali père. Mais il fait la connaissance du pays, ne se privant pas de tacler ses confrères : « Il paraît que Mailer [Norman, l’écrivain-journaliste] a été aperçu au zoo en train d’observer des gazelles et des lions, probablement à la recherche d’une métaphore obscure sur la manière dont le lion dévore toujours la gazelle mais, quelquefois, c’est la gazelle qui mange le lion, pour finir par dire qu’ils ont tous deux des souris et des bactéries qui courent dans tous les sens dans leur ventre. Bref je ne pense pas que Plimpton et Mailer peuvent vous parler de cette atmosphère de tension et de relâchement qui règne au Zaïre. »

Escroqué de son billet retour, Cardoso aura le plus grand mal à quitter le pays, et ne sera jamais publié par le New Times. Pour tout un tas de raisons qu’on peut aisément imaginer. D’abord parce que c’est politiquement incorrect, malpoli. Mais aussi parce que son texte est foutraque, traversé par une multitude de tensions, de fulgurances, d’inachèvements. Pourtant, impossible de le lâcher. C’est un texte au sens barthésien du terme, une arme contre l’oubli et la tromperie de la parole, un véritable tissu, qui porte en filigrane le motif du démon politique. « Je crois qu’aucun de nous n’est revenu en un seul morceau du Zaïre, nous y avons tous un peu laissé de notre âme. » Que le lecteur trouvera en supplément dans ce livre inclassable.

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>> KO à la 8e reprise, de Bill Cardoso, éd. Allia, 110 pages, 7,50 euros

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