Roger Sebbagh, l’homme qui se vante d’avoir encouragé Diendéré en plein putsch

Inconnu du grand public, l’homme se targue de prodiguer ses conseils aux quatre coins du continent. Jusqu’à encourager le général Diendéré, alors en plein putsch, à résister. Et il assume !

Roger Sebbagh, nostalgique assumé des plus belles années de la Françafrique de Foccart. © Glez / J.A.

Roger Sebbagh, nostalgique assumé des plus belles années de la Françafrique de Foccart. © Glez / J.A.

Publié le 4 mars 2016 Lecture : 5 minutes.

Petit, avec un léger embonpoint et le front dégarni, Roger Sebbagh est un homme au physique plutôt banal. Un peu comme cet immeuble de Montrouge, en banlieue parisienne, où se trouve son bureau. Pas de numéro d’interphone. Il préfère, en ce jour pluvieux de février, venir chercher lui-même ses hôtes à l’entrée du bâtiment.

Roger Sebbagh est occupé, « overbooké » même. Il reçoit beaucoup et tient à le faire remarquer en pointant du doigt les chaises et les gobelets usagés qui s’entassent dans son bureau, au milieu d’un invraisemblable fatras de sirènes de police, de talkie-walkie, de valises et de magazines d’équipement militaire. Il enchaîne les coups de fil aussi. Cette fois-ci, c’est « un ministre » qu’il tente de joindre, alors qu’il vient de parler « à un préfet ». « Je n’arrête pas », soupire-t-il. Et ce n’est pas sa soudaine célébrité qui a arrangé les choses.

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Fin janvier, rebondissant sur l’affaire dite des écoutes téléphoniques qui a ébranlé les relations ivoiro-burkinabè, RFI a diffusé l’enregistrement d’une conversation qu’auraient eu le général Diendéré et Roger Sebbagh. Le Français est un inconnu du grand public, mais ne nie pas s’être entretenu avec le chef des putschistes burkinabè, en septembre. D’ailleurs, des amis l’ont « appelé de partout pour dire qu’ils avaient reconnu [sa] voix ».

Qu’apprend-on lors de cet enregistrement ?

L’extrait rendu public est court, mais la bande que Jeune Afrique a pu écouter fait une quinzaine de minutes. Et c’est effectivement bien la voix de Sebbagh, pleine d’aigus et de condescendance, que l’on y entend prodiguer des conseils à Diendéré. Il lui recommande « de réaliser en urgence cette opération de neutralisation, totalement, de plusieurs membres de ce gouvernement transitoire ». Et ajoute : « Il faudrait qu’une partie des hommes prennent une direction. Par contre, d’autres hommes foncent, je dis bien foncent, sur les cibles désignées pendant que des commandos, eux, sont déjà infiltrés. » À l’autre bout du fil, le général approuve. « Oui », « d’accord », « c’est vrai ». Sebbagh veut que le pouvoir revienne à « un gouvernement de salut public, constitué de militaires et de civils », dirigé par Djibrill Bassolé. De l’ancien ministre burkinabè des Affaires étrangères (accusé de complicité avec les putschistes et incarcéré depuis le 29 septembre 2015), Sebbagh dit aujourd’hui volontiers qu’il est « un ami et un frère ».

Diendéré tout de même paraît hésiter. Et là, le Français riposte : « Attention, il ne faut pas que la réflexion tue l’action. Eh oui, mon ami ! […] Dites-moi, si vous restez inactif comme ça… Alors ? Je vous écoute ! Qu’est-ce qui se passe ? » Finalement, le général n’appliquera aucun de ses conseils. Pourquoi ? « Peut-être a-t-il eu peur. Mais, s’il m’avait écouté, il serait aujourd’hui au pouvoir. » Comme le Centrafricain Armelle Sayo, explique-t-il, qu’il a reçu dans son bureau « alors qu’il n’était plus rien ». Brandissant une photo de ce dernier, il affirme ne pas être étranger à sa nomination au poste de ministre de la Jeunesse et des Sports de la transition, en août 2014. Mais « il aurait pu être beaucoup plus s’il n’avait pas été trahi par un membre de sa famille » et s’il l’avait, lui aussi, davantage écouté.

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Dommage, tout de même, pour qui se dit conseiller de présidents, de ministres et de militaires, de ne pas être plus entendu. « Les Africains ont cette tendance à ne pas écouter », ose ce nostalgique assumé des années Foccart : « La Françafrique permettait de contrôler les chefs d’État et il y avait moins de coups d’État. »

Un homme qui cultive le secret

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Ce continent, il y a tant d’amis. Tout comme il a plein d’anecdotes – pour la plupart invérifiables – où il est question de sorciers vaudous au Bénin, de militaires en Guinée, de rebelles en Centrafrique et de francs-maçons en Côte d’Ivoire… Et depuis quand officie-t-il comme conseiller, lui qui est au demeurant très bien informé ?

Il ne souhaite pas s’étendre – pas plus qu’il n’acceptera d’être pris en photo. Sebbagh cultive le secret et brouille les pistes. Le titre sous lequel il se présente (« administrateur général des services d’État au sein du Service de coopération internationale », selon son profil LinkedIn) et que lui a plusieurs fois attribué La Lettre du continent, comme il tient à le préciser lui-même, est une totale invention. Même chose pour son adresse mail, qui comporte un « .gouv », entretenant la confusion avec les services officiels. Impossible enfin de savoir son âge, s’il est marié ou s’il a des enfants – « des questions bien féminines », ose-t-il encore.

Scoop ! Courant 2016, il lancera, en partenariat avec le Front populaire ivoirien (FPI, opposition), un comité pour la paix et la réconciliation qui organisera des réunions et des marches pacifiques

Ses activités au Burkina, Sebbagh compte bien les poursuivre puisqu’il « faudra bien libérer Djibrill » : « Il sait que je pense à lui et que je travaille pour lui ! » Il compte aussi s’impliquer d’avantage en Côte d’Ivoire. Scoop ! Courant 2016, il lancera, en partenariat avec le Front populaire ivoirien (FPI, opposition), un comité pour la paix et la réconciliation qui organisera des réunions et des marches pacifiques. Mais, au FPI, personne ne semble au courant.

Contactés par J.A., Georges Aka, représentant du FPI en France, et Laurent Akoun, cacique du parti à Abidjan, affirment n’avoir même jamais entendu son nom. Tout comme nombre de diplomates chevronnés de la sous-région, qui ne peuvent – ou ne veulent – se souvenir de l’avoir croisé. Selon une source proche des renseignements français, Sebbagh a un temps « été signalé dans le nord de la Côte d’Ivoire, en lien avec des hauts responsables de la rébellion d’alors et intéressé par les ressources minières de la zone, mais ses affaires n’ont jamais eu une grande envergure. »

Seule Henriette Lagou, candidate à la présidentielle ivoirienne de 2015, confirme le connaître – il l’aurait coachée dans la perspective de l’élection. « C’est un monsieur très averti, très positif, qui donne beaucoup de conseils », déclare-t-elle, ajoutant avoir été surprise par la teneur de ses échanges avec Diendéré. « Avec moi, il a toujours eu à cœur de mettre en avant la paix et la réconciliation. » Mais l’histoire ne dit pas si les conseils de Roger Sebbagh ont influé sur le score final d’Henriette Lagou à la présidentielle : 0,89 %.

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