Football : ce que le successeur de Blatter doit changer à la Fifa

Comment le successeur de Joseph Blatter élu ce 26 février devrait-il s’y prendre pour réformer en profondeur la Fifa et restaurer sa crédibilité perdue ? Quatre personnalités répondent.

Préparation d’une conférence de presse au siège de la Fifa, à Zurich, en juillet 2015. © ENNIO LEANZA/AP/SIPA

Préparation d’une conférence de presse au siège de la Fifa, à Zurich, en juillet 2015. © ENNIO LEANZA/AP/SIPA

Alexis Billebault

Publié le 25 février 2016 Lecture : 6 minutes.

Des membres de la Fifa tirés du lit par la police dans un palace zurichois… D’autres traqués par la justice américaine… Un président élu (Joseph Blatter) qui démissionne quelques jours après sa réélection avant d’être suspendu en même temps que Michel Platini, son héritier présomptif, par une commission d’éthique qu’il avait lui-même mise en place… Une image profondément dégradée par les scandales de corruption à répétition…

Tout, ou presque, a été dit de la tempête qui balaie le gouvernement du football mondial depuis près d’un an. L’élection d’un nouveau président, le 26 février à Zurich, marquera sans nul doute le début d’une nouvelle ère : la Fifa sans Blatter. Mais quelle organisation les acteurs du football mondial appellent-ils de leurs vœux ?

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Jeune Afrique a posé cette question à quatre d’entre eux : Jean-Marc Adjovi-Boco, ancien international béninois et cofondateur de l’académie Diambars, au Sénégal ; Claude Le Roy, ex-entraîneur de nombre de sélections africaines (Cameroun, Sénégal, RD Congo, Ghana, Congo) ; Abdeslam Ouaddou, ancien international marocain ; et Augustin Senghor, président de la Fédération sénégalaise de football (FSF).

Tous s’accordent pour admettre que Blatter a beaucoup fait pour le football. « Notamment africain », insiste Le Roy. Mais qu’il a aussi largement contribué à mettre en place un système devenu fou. En tout cas, totalement incontrôlable. Outre une lutte enfin sans concession contre la corruption, qu’attendent ces éminents spécialistes de la nouvelle Fifa ?

1. Limitation du nombre des mandats présidentiels

Blatter a présidé la Fifa de 1998 à 2015. Et le Brésilien João Havelange, son prédécesseur, de 1974 à 1998. Augustin Senghor plaide donc, logiquement, pour une limitation du nombre et de la durée des mandats présidentiels. « Trois mandats de cinq ans, au lieu de quatre ans aujourd’hui, cela me semble être un bon compromis. Il faut du temps pour mettre en place un programme, et cela garantirait une certaine stabilité. Le président serait davantage dans l’action, moins dans une posture électoraliste », explique le Sénégalais, qui souhaite aussi que « les associations nationales élisent le président [qui l’est actuellement par le Congrès] et les membres du comité exécutif [qui l’est par les associations et les confédérations continentales] ».

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Adjovi-Boco penche pour sa part pour trois mandats de quatre ans, et Le Roy, qui fut quinze ans durant expert à la Fifa, pour deux mandats de quatre ans. Ouaddou partage ce point de vue mais souhaite en outre que le nombre des mandats des membres du Comité exécutif soit le même que celui du président.

2. Maintien du principe « un pays, une voix »

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Les opposants à cette règle adoptée par Blatter estiment que les grandes puissances du football mondial doivent être privilégiées par rapport aux petits pays. Nos spécialistes ne sont pas, mais alors pas du tout d’accord. « C’est un principe d’égalité auquel il ne faut pas toucher », s’insurge Senghor. « C’est la démocratie même. Les voix des Comores ou du Bhoutan pèsent autant que celles du Brésil ou de la France. D’ailleurs, ce ne sont pas les petits pays qui ont fait parler d’eux dans les récents scandales », ironise Le Roy. « Si je suis millionnaire, pourquoi ma voix aurait-elle plus d’importance que celle d’un pauvre ? » renchérit Adjovi-Boco.

Et tout le monde de tomber d’accord pour augmenter le nombre des équipes africaines dans les phases finales de la Coupe du monde (cinq actuellement).

3. Plus grande ouverture sur le monde extérieur

L’institution donne souvent une désagréable impression d’entre-soi propice à toutes les dérives. « Il faut davantage s’ouvrir sur le monde extérieur, intégrer des gens compétents qui connaissent et comprennent le foot, mais en prenant garde à ne pas trop politiser la gestion », estime Adjovi-Boco. Le Roy souhaite aussi la création d’une « juridiction indépendante qui prenne en charge la lutte contre la corruption et/ou le dopage. » Ouaddou est sur la même longueur d’onde : « La Fifa devrait ouvrir certaines de ses commissions – marketing, finances, etc. – à des personnalités extérieures aux compétences reconnues. »

4. Meilleure traçabilité de l’argent versé

Depuis la création du programme Goal, en 1999, la Fifa a financé un peu plus de mille projets à travers le monde afin de permettre aux fédérations affiliées d’améliorer leurs structures, de construire des sièges, des terrains, des centres de formation… Mais il arrive trop souvent qu’une partie de l’argent versé atterrisse sur des comptes numérotés dans quelque paradis fiscal, ce qui, on l’imagine, ne contribue pas à redorer le blason de l’organisation.

« On ne peut pas continuer ainsi. Trop de projets ne vont pas à leur terme parce qu’une partie de l’argent s’évapore en cours de route », tranche Adjovi-Boco. « Améliorer la lutte contre la corruption passe par un suivi plus rigoureux des circuits financiers. La Fifa doit mettre en place un système de traçabilité de l’argent qu’elle verse. Celui-ci doit servir à financer des projets, pas à favoriser le clientélisme en vue de s’assurer des voix aux élections », ajoute Ouaddou. Le Roy reste favorable au renforcement de l’aide au développement, sous certaines conditions : « La Fifa dispose de moyens considérables qui doivent être mieux utilisés, donc mieux suivis. »

5. Professionnalisation du foot africain

À l’instar des Sud-Américains, les Africains s’exportent en masse en Europe ou en Asie, mais pas toujours dans les meilleures conditions sportives et financières. La réduction de cet exode massif, conséquence de l’organisation défaillante de la plupart des championnats locaux, passe par une professionnalisation accrue. « L’argent des programmes Goal peut en partie servir à cela. Si on organise mieux les championnats, si on propose aux joueurs des salaires attractifs, beaucoup seront incités à rester », assure Le Roy. « Avec des championnats mieux structurés, des entraîneurs mieux formés et de meilleurs terrains, le niveau d’ensemble s’élèvera et les sponsors investiront davantage », plaide Adjovi-Boco.

6. Publication du rapport Garcia dans son intégralité

Le rapport que l’Américain Michael Garcia a consacré aux conditions d’attribution des Coupes du monde 2018 et 2022 n’a jamais été publié dans son intégralité. « Il serait souhaitable que le nouveau président remédie à cette carence », admet Le Roy. « S’il y a eu des malversations, nous devons le savoir. Pour l’instant, il est surtout question des conditions de travail des ouvriers qui construisent les stades au Qatar », regrette Senghor. Plus virulent, Ouaddou considère que cette publication « serait le signe d’un vrai changement à la Fifa ». Et que si elle révèle des irrégularités, « il faudra revoter ».

CINQ CANDIDATS, DEUX FAVORIS

Gianni Infantino, Suisse, 45 ans

Le secrétaire général de l’UEFA s’est prononcé pour l’élection d’un nouveau comité exécutif, la limitation du nombre des mandats présidentiels, le renforcement des programmes de développement et l’organisation des Coupes du monde par plusieurs pays géographiquement proches.

Ali Ben Al-Hussein, Jordanie, 40 ans

Déjà candidat en mai 2015, le prince s’engage en cas d’élection à publier intégralement le rapport Garcia, à divulguer les comptes de la Fifa et à rendre publics les votes des membres du Comité exécutif lors de l’attribution des Coupes du monde.

Jérôme Champagne, France, 57 ans

Cet ancien de la Fifa plaide, entre autres, pour un renforcement des programmes de développement, la réduction des déséquilibres entre riches et pauvres et la révision du système des transferts.

Tokyo Sexwale, Afrique du Sud, 62 ans

Membre de la commission antiracisme de la Fifa, l’ancien compagnon de Nelson Mandela en prison met l’accent sur l’assainissement des finances. Il veut notamment que la publicité soit autorisée sur les maillots des sélections nationales afin d’augmenter les ressources des fédérations.

Salma Bin Ibrahim Al-Khalifa, Bahreïn, 50 ans

Favori du scrutin avec Infantino, le président de la Confédération asiatique veut séparer la Fifa en deux entités (football et business), et augmenter le nombre des équipes admises à participer à la phase finale de la Coupe du monde.

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