États-Unis : la question raciale envahit le débat politique

Dans la foulée du mouvement de protestation contre le meurtre d’adolescents africains-américains par des policiers blancs, la question raciale envahit le débat politique. Et tourne au phénomène de mode.

Manifestation devant le siège
de la police d’Oakland (Californie), en décembre 2014. © TNS/ZUMA/REA

Manifestation devant le siège de la police d’Oakland (Californie), en décembre 2014. © TNS/ZUMA/REA

Publié le 23 février 2016 Lecture : 6 minutes.

Quelque chose a changé en Amérique, qui n’a jamais semblé aussi désireuse de se purger du racisme anti-Noirs dont elle souffre depuis le « péché originel » – le mot est de Barack Obama – de l’esclavage. Bien sûr, les violences policières contre les Noirs sont loin d’avoir disparu. Bien sûr, le taux d’incarcération de ces derniers constitue un triste record : un homme noir sur trois a connu la prison. Bien sûr, leur situation économique reste précaire : le taux de chômage des Noirs (10 %) est le double de celui des Blancs. Mais la grande nouveauté est que ces questions dominent désormais le débat national.

La raison ? L’émergence du mouvement Black Lives Matter en août 2013, après le meurtre d’un adolescent noir, Michael Brown, par un policier blanc à Ferguson (Missouri). Omniprésent sur les réseaux sociaux, ce groupe d’activistes sans leader déclaré a renouvelé en profondeur les termes du débat, ce qui n’est pas anodin dans la perspective de l’élection présidentielle, en novembre. Un épisode crucial de la campagne des primaires aura lieu les 20 et 27 février en Caroline du Sud, où la moitié de l’électorat démocrate est noire. Or Bernie Sanders et Hillary Clinton, les candidats de ce parti, ont fait de la réduction du taux d’incarcération des Noirs une priorité. Ils ont même tendance à faire de la surenchère pour s’attirer les faveurs des Africains-Américains, dont le vote, avec celui des Latinos, sera décisif dans la course à l’investiture.

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Un débat au cœur de la campagne pour la présidentielle

Début février, Clinton s’est ainsi déplacée à Flint, ville déshéritée du Michigan actuellement secouée par un scandale : les autorités locales ont sciemment distribué de l’eau courante qu’elles savaient impropre à la consommation. Flint étant à 60 % noire, certains y ont vu le signe d’un véritable « racisme environnemental ». Seule personnalité d’envergure à avoir demandé la tête de Rick Snyder, le gouverneur du Michigan, en raison de sa passivité dans cette triste affaire, Bernie Sanders est de plus en plus apprécié par les Africains-Américains. Socialiste revendiqué, le sénateur du Vermont vient ainsi de recevoir l’appui de l’écrivain Ta-Nehisi Coates, auteur de Between the World and Me (en français : Une colère noire), livre récompensé par le National Book Award.

Le 15 février, Sanders a également publié une vidéo très émouvante dans laquelle Erica Garner, la fille aînée d’Eric Garner, cet homme noir étranglé par un policier blanc à Staten Island (New York), en 2014, lui apporte son soutien. « Ils ne savent pas ce qu’ils nous ont pris », dit Erica en serrant contre elle sa propre petite fille, vêtue d’un sweat-shirt sur lequel on peut lire I can’t breathe (« je ne peux plus respirer »). Ce sont les derniers mots prononcés par Garner avant sa mort. Ils sont devenus le cri de ralliement des activistes de Black Lives Matter.

De Barack Obama aux célébrités, les voix s’élèvent 

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Les grandes voix noires sont de plus en plus enclines à louer la « dignité monumentale » de leur communauté, pour reprendre une célèbre formule de James Baldwin. À l’approche de la fin de son mandat, Barack Obama ne s’est ainsi jamais montré aussi disert sur la question raciale. Dans le droit fil de l’extraordinaire discours qu’il prononça dans une église de Charleston après le meurtre de neuf paroissiens par un extrémiste blanc, le président prend aujourd’hui la défense de Black Lives Matter, que beaucoup, côté républicain, accusent d’être antipolice.

« Compte tenu de son histoire, notre société doit prendre ce mouvement au sérieux », dit-il. Devenu la nouvelle conscience morale de la communauté noire, Coates a de son côté réussi à faire prévaloir ses thèses, pourtant audacieuses. Convaincu par exemple que la société américaine est fondée sur la destruction systématique du corps noir, il souhaite l’octroi de dédommagements pour les conséquences de l’esclavage.

Le basketteur LeBron James est apparu lors d’un entraînement en 2014 vêtu d’un tee-shirt I can’t breathe

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Les sportifs ne sont pas en reste. Star parmi les stars de la NBA, le basketteur LeBron James est apparu lors d’un entraînement en 2014 vêtu d’un tee-shirt I can’t breathe. Son collègue Stephen Curry a quant à lui participé à une campagne de publicité contre les armes à feu, ce fléau de la communauté noire. Ladite campagne a été lancée à l’initiative du cinéaste Spike Lee, qui a joué un rôle de premier plan dans la polémique suscitée par les Oscars. On sait que, pour la deuxième année consécutive, ces derniers ne comptent aucun nominé noir… Pour protester contre ces #oscarssowhite, hashtag ultrapopulaire sur les réseaux sociaux, l’auteur de Do the Right Thing a décidé de boycotter la cérémonie du 28 février.

Diverses personnalités lui ont emboîté le pas. Certaines sont noires, comme les acteurs Will Smith et Jada Pinkett Smith, son épouse. D’autres sont blanches, comme Sylvester Stallone ou George Clooney. D’autres encore se sont pris les pieds dans le tapis. C’est le cas de l’actrice britannique Charlotte Rampling, qui ne voit dans la polémique en cours qu’une manifestation de racisme antiblanc.

Formation, le titre interprété par la chanteuse lors du Super Bowl. © CAPTURE D’ÉCRAN

Formation, le titre interprété par la chanteuse lors du Super Bowl. © CAPTURE D’ÉCRAN

Toujours au rayon showbiz, Beyoncé a sorti le 6 février une vidéo célébrant la culture noire américaine. Il faut savoir qu’aux États-Unis le mois de février est traditionnellement consacré à l’Histoire noire… Cette vidéo est la propriété de Tidal, plateforme de streaming fondée par Jay Z, son mari, qui a pour sa part annoncé son intention de faire don de 1,5 million de dollars (1,3 million d’euros) à divers mouvements du type Black Lives Matter.

Des abus dénoncés par la presse

Cette prise de conscience de la société se traduit peu à peu par des actes concrets. Chaque arrestation abusive, chaque bavure policière est désormais relatée par les journaux. La dernière en date est l’arrestation d’Imani Perry, une jeune professeure noire de Princeton qui accuse la police locale de l’avoir menottée à une table pour une simple amende impayée.

Le 11 février, fait rarissime, un policier new-yorkais nommé Peter Liang a été reconnu coupable du meurtre d’Akai Gurley. Il avait fait usage de son arme dans la cage d’escalier d’un immeuble de Brooklyn, et la balle, après avoir ricoché contre un mur, avait mortellement frappé le jeune Noir. Liang, dont la peine sera annoncée le 14 avril, risque jusqu’à quinze ans de réclusion.

Les activistes noirs y voient la récompense de leurs efforts. « Ce verdict montre que le statu quo n’est plus tolérable », a commenté l’un d’eux dans le New York Times. Non moins symboliquement, le ministère de la Justice a ouvert une enquête criminelle contre la municipalité de Ferguson en raison de son refus réitéré de mettre un terme aux pratiques discriminatoires de la police locale. Last but not least, les activistes de Black Lives Matter n’hésitent plus à se lancer en politique. DeRay McKesson, 30 ans, brigue ainsi la mairie de Baltimore, sa ville natale, qui fut le théâtre de graves émeutes après le meurtre de Freddie Gray par un policier, en avril 2015. McKesson s’était fait un nom en 2013 avec ses tweets couvrant en direct les événements de Ferguson. Ceux depuis lesquels l’Amérique n’est plus vraiment la même.

QUAND BEYONCÉ RETROUVE SES RACINES

« Mon papa Alabama, ma maman Louisiana, Mélange ce nègre avec cette créole, le résultat est un vrai plouc. J’aime les cheveux de mon bébé, avec ses petites mèches afro, J’aime mon nez de nègre et mes narines à la Jackson Five. J’ai gagné tout cet argent, mais mon pays reste en moi. J’ai de la sauce pimentée dans mon sac, swag. »

Formation, la vidéo de Beyoncé dévoilée la veille du Super Bowl, la finale du championnat de foot américain, est la plus « noire » de la carrière de la chanteuse. Elle y rend hommage à ses racines, à l’héritage des esclaves, aux luttes noires et à La Nouvelle-Orléans post-Katrina. Un plan montre même une rangée de policiers blancs avec ce graffiti sans équivoque : « Stop Shooting Us » (« arrêtez de nous tirer dessus »). Sa prestation lors du Super Bowl a suscité un tollé dans l’Amérique conservatrice, qui l’accuse d’être antipolice.

Depuis, d’autres artistes se sont engouffrés dans la brèche. C’est le cas du rappeur Kendrick Lamar, qui, sur la scène des Grammy Awards, le 15 février, a chanté, menotté et habillé en prisonnier, sa fierté d’être noir.

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