Odon Vallet : « Aux yeux de l’Église, tout maçon est un pécheur »

Auteur de nombreux ouvrages, dont Dieu et les religions en 101 questions-réponses (Albin Michel, 2012), il revient pour Jeune Afrique sur les relations conflictuelles qu’entretient l’Église catholique avec les francs-maçons. Bien que ces derniers ne risquent plus l’excommunication, cette querelle séculaire continue d’agiter les Loges. Mais l’Afrique cultive sa petite exception. Explications.

Odon Vallet, écrivain et spécialiste des religions © VINCENT FOURNIER/J.A.

Odon Vallet, écrivain et spécialiste des religions © VINCENT FOURNIER/J.A.

Clarisse

Publié le 2 mars 2016 Lecture : 3 minutes.

Les symboles francs-maçonniques. © AFP
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Les francs-maçons africains au pied du mur

Bien que nombre de chefs d’État francophones s’y côtoient, les Loges africaines apparaissent toujours comme un lieu de pouvoir occulte et semblent impuissantes à désamorcer les conflits qui déchirent le continent.

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Jeune Afrique : Peut-on être catholique et franc-maçon ?

Odon Vallet : Alors que rien n’empêche juifs et protestants d’être maçons, musulmans et catholiques, en théorie, ne le peuvent pas. En France, le Grand Orient a été agnostique dès ses premières heures, et la franc-maçonnerie a été interdite aux catholiques dès 1738 par le pape Clément XII. Bien qu’aujourd’hui on ne parle plus d’excommunication, cette interdiction est régulièrement rappelée, et les fidèles qui intègrent les Loges maçonniques sont toujours considérés comme en état de « péché grave ». L’Église catholique se montre plus sévère avec ses propres serviteurs. En 2013, un prêtre du diocèse de Nancy qui se présentait comme maçon a été relevé de ses fonctions. Au Bénin, la démission, en 2010, de l’archevêque de Cotonou, Marcel Agboton, serait en partie liée à son appartenance à une Loge maçonnique.

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Est-ce également le cas chez les Anglo-Saxons ?

En Écosse, où elle est née, la franc-maçonnerie se tient à l’écart de ces polémiques. Profondément spiritualiste, elle n’est ni antireligieuse ni confessionnelle. Sa quête de spiritualité est magnifiée par le rite dit écossais, au travers des religions monothéistes. C’est d’ailleurs ce qui s’exprime dans le premier amendement de la Constitution américaine, lequel stipule qu’il n’y a pas de religion établie ou officielle et qu’on ne peut en interdire aucune.

Plusieurs chefs d’État maçons ont changé de religion dans leur vie, tels que le Gabonais Omar Bongo Ondimba et le Béninois Mathieu Kérékou

Sur un continent aussi religieux que l’Afrique, comment les fidèles s’accommodent-ils de cet interdit ?

Les francs-maçons africains sont moins à cheval que les européens sur les dogmes et les règles de l’Église catholique. Ainsi, dans la mesure où ils ont souvent le choix entre diverses Églises chrétiennes, lorsque la position de celle qu’ils fréquentent ne leur convient plus, ils n’hésitent pas à en changer. C’est le cas de certains catholiques, mais aussi de protestants des Églises anglicanes et méthodistes, qui sont considérées à tort comme plus tolérantes. Plusieurs chefs d’État maçons ont changé de religion dans leur vie, tels que le Gabonais Omar Bongo Ondimba et le Béninois Mathieu Kérékou, qui se sont respectivement convertis à l’islam et au protestantisme.

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Un franc-maçon peut-il communier ?

Logiquement, il ne devrait pas. Car il lui faudrait au préalable se confesser, ce qui suppose, évidemment, s’engager à ne plus pécher, donc se résoudre à quitter sa loge maçonnique. Résultat, ils sont, dans l’ensemble, peu nombreux à accomplir ce sacrement.

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Les maçons ne s’affichent pas comme tels. Comment l’Église s’y prend-elle pour les mettre à l’index ? En a-t-elle les moyens et le droit ?

Dans les années 1930, un ouvrage publié par un éditeur catholique donnait les noms et les adresses de maçons français. Il a servi au gouvernement de Vichy pour les poursuivre et les livrer aux Allemands pendant la guerre. Depuis, on évite toute dénonciation.

Les paravents de la pensée ou du dialogue philosophique peuvent rendre la franc-maçonnerie attrayante

Comment les prêtres maçons justifient-ils leur adhésion aux Loges ?

Ils évoquent régulièrement la liberté de conscience. Les paravents de la pensée ou du dialogue philosophique peuvent rendre la franc-maçonnerie attrayante. Son côté discret attire aussi certains prélats, qui peuvent prendre des positions sans courir le risque de les voir reproduites dans les médias dès le lendemain. S’il est interdit aux prêtres d’adhérer à une Loge, ils peuvent en revanche participer à des réunions de dialogue (nuits blanches) avec les maçons.

Certains y ont même eu des missions officielles, comme le père jésuite Michel Riquet, après la Seconde Guerre mondiale. Ancien déporté, il avait été chargé d’une mission de dialogue avec les francs-maçons. Au Bénin, lors de la grande Conférence nationale présidée par Mgr Isidore de Souza en février 1990, les maçons auraient permis de trouver une solution pacifique.

Quels griefs l’Église a-t-elle à l’égard de la franc-maçonnerie ?

Elle lui reproche essentiellement son culte du secret. Le fait qu’on ne sache pas qui en est, ce qui se fait et se dit dans les Loges, alors que tout le monde a accès aux églises. Les maçons ont eux aussi leurs griefs, mais ils ne s’en prennent plus frontalement à l’Église.

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